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Après 20 jours dans les profondeurs du Cap Corse, l’expédition Gombessa 6 remonte à la surface


La rédaction le Jeudi 22 Juillet 2021 à 11:12

Après 20 jours d’exploration des fonds marins au nord-est du Cap Corse, Laurent Ballesta et ses trois coéquipiers aquanautes sont sortis ce mardi 20 juillet des 5m² de leur Station Bathyale. De nombreuses études, à près de 120 mètres de profondeur, ont pu être réalisées et pourraient permettre de percer le mystère des anneaux de corail.



Sortie Expédition Gombessa 6 CAP CORSE ©Jordi Chias, Expéditions Gombessa 6
Sortie Expédition Gombessa 6 CAP CORSE ©Jordi Chias, Expéditions Gombessa 6
Et la porte de la Station Bathyale s’est ouverte. Après 20 jours enfermés dans leur capsule de vie de 5m2, Laurent Ballesta, chef d'expéditions sous-marines, biologiste et photographe, accompagné de trois autres aquanautes, Antonin Guilbert, Thibault Rauby et Roberto Rinaldi, ont pu ce mardi, dans le port de Monaco, retrouver leurs proches et toute l’équipe de la mission Gombessa 6.

Depuis le 1er juillet, les quatre hommes étaient partis tenter de percer le mystère d’étranges anneaux de corail localisés à 120 mètres de profondeur, au nord-est du Cap Corse. Découverts il y a dix ans par l’IFREMER et l’Université de Corte dans le Parc Naturel Marin du Cap Corse et de l'Agriate, dans une zone de 4 km2, ces anneaux d’une circonférence parfois proche de 30 mètres, n’avaient jamais été approchés par l’homme. « La mission se termine avec comme pour toutes les expéditions son lot de choses dont nous sommes fiers mais aussi de la frustration, confie Laurent Ballesta. On a approché de nouveaux horizons que l’on n’avait pas imaginés et ça nous donne l’envie d’aller plus loin. Mais les objectifs ont été atteints et c’est merveilleux. Scientifiquement, il y avait d’abord en priorité l’énigme de ces anneaux. Nous avons réussi à réaliser des carottages parfois à plus d’un mètre pour percer la roche au coeur de ces anneaux. C’était loin d’être gagné d’avance car nous n’avions pas la possibilité de tester ces manoeuvres avant. Cela a pu être possible grâce à une collaboration avec la Sephismer, cellule de plongée humaine de la Marine nationale. Nous avons constaté que les noyaux étaient colonisés par des gorgones d’un genre qu’on voit habituellement dans d’autres milieux. Les Callogorgia par exemple se trouvent généralement dans des eaux bien plus profondes. Nous avons aussi trouvé dans les gorgones pas mal de faune associée qui vit au milieu des branches. Il y a aussi des porcelaines, ces petits coquillages nacrés que l’on croyait réservés aux récifs tropicaux. Nous espérons que les résultats de nos recherches permettront de comprendre l’origine de des anneaux, leur fonctionnement, leur âge, etc. Et il y a encore tellement de choses à découvrir. »


Une limace qui appartient à une espèce nouvelle
Au-delà de la satisfaction d’avoir rempli les objectifs scientifiques, l’équipe a connu d’autres bonheurs. « Nous avons retrouvé une petite limace de mer nudibranche que nous avions déjà aperçue lors d’une plongée précédente et qui s’avère être une espèce nouvelle. Nous allons avoir le privilège de lui donner un nom et c’est une grande fierté. Ce sera très certainement le prénom de ma fille… »


Dans les derniers jours de l’expédition, une autre rencontre a particulièrement ému l’équipe
 « Nous sommes d’abord tombés sur un alignement de grottes sous-marines qui méritent de plus amples explorations, poursuit le chef d’expédition. Et lors de notre dernière plongée, à l’entrée d’une de ces grottes, nous avons une chance incroyable en tombant sur un mérou à dents de chien, une espèce excessivement rare que je n’avais pour l’instant vue que dans de vieux livres. C’était un peu comme un message : ‘’revenez-nous voir, on a encore plein de surprises pour vous’’. » Même satisfaction du côté des trois aquanautes. « Ce qui a été exceptionnel c’est de découvrir des lieux auxquels nous n’étions pas habitués, explique Thibaut Rauby. Avant le début de l’expédition, j’avais peur que passer 20 jours autour d’un fond de sable finisse vite par être lassant. Mais nous avons découvert une biodiversité incroyable. Ce fut une très bonne surprise. Nous avons l’impression d’avoir seulement entrevu quelque chose d’incroyable et, forcément, ça donne envie d’y retourner. »

La mission Cap Corse Gombessa 6 ne s’arrête pas à la sortie de la Station Bathyale
 « Nous allons d’abord devoir analyser toutes nos recherches scientifiques, avance le chef d’exploration. Et puis nous ramenons aussi beaucoup d’images qui vont nous permettre de réaliser un film (avec Arte), un livre et alimenter des conférences. » Avec toujours à l’esprit l’objectif de sensibiliser à la protection environnementale, combat partagé avec l’Office Français de biodiversité, également partenaire. « Nous avons un peu croisé le pire et le meilleur. Nous sommes tombés sur des amphores peut-être vieilles de plusieurs milliers d’années, mais aussi sur des déchets plastiques… »
Il sera ensuite temps de repartir vers de nouvelles explorations : « Je ne me pose pas la question d’un endroit, je me pose la question du mystère, répond Laurent Ballesta au moment d’évoquer la prochaine destination. Est-ce qu’il y a quelque chose que nous n’avons pas encore compris, quelque chose que nous n’avons encore jamais vu ? Souvent, là où on mesure le mieux ce qu’on ne connait pas, c’est précisément ce que l’on prétend le mieux connaitre. Nous nous sommes formés en Méditerranée, c’est là que nous sommes devenus des biologistes. C’est la mer que nous connaissons le mieux et c’est donc là que nous mesurons le mieux les mystères potentiels à résoudre. Mais il est probable que les années à venir nous amènent aussi ailleurs. En revanche, ce qui est sûr c’est que je compte continuer des missions autour de la Corse où nous avons découvert beaucoup de choses ces deux dernières années qui vont mériter d’autres voyages. »

Les fonds marins réservent encore tellement de mystères…
 

Le premiers résultats de la mission en septembre

Sortie Expédition Gombessa 6 CAP CORSE ©Jordi Chias, Expéditions Gombessa
Sortie Expédition Gombessa 6 CAP CORSE ©Jordi Chias, Expéditions Gombessa
Malgré une météo difficile qui a imposé quatre jours de stand-by, Julie Deter, Directrice Scientifique de l’expédition, dresse un bilan très positif de la mission. « Nous avons réalisé de nombreuses opérations comme nous l’avions espéré, confie-t-elle. Les plongées ont permis de réaliser trois carottages parfois à plus de 1 mètre de profondeur sur différents noyaux, une dizaine de prélèvements de sédiments sur deux anneaux ou encore une dizaine de prélèvements d’espèces dont trois semblent encore non identifiées. Des prélèvements d’ADN ont été également réalisés sur trois anneaux, les plongeurs ont posé des hydrophones et des courantomètres. Des modélisations 3D ont été produites sur quatre anneaux dont un qui avait été modélisé il y a 7 ans par la COMEX (Compagnie Maritime d’Expertise). On pourra ainsi voir d’éventuelles évolutions. Nous avons encore cartographié la zone et nous pourrons comparer avec le sonar d’il y a 7 ans et observer si les anneaux se sont déplacés. »
Dès septembre, les premiers résultats devraient commencer à donner quelques réponses aux nombreuses questions posées par ces anneaux. D’ici la fin de l’année, arriveront les résultats d’analyses d’ADN, avant, dans un an, la dernière salve de résultats. « On espère bien percer le mystère », pronostique la directrice scientifique. Mais d’ores et déjà, la mission a réservé quelques surprises. « Nous nous attendions à davantage d’homogénéité entre les anneaux, souligne Julie Deter. Or, nous avons constaté une multitude de formes, tout n’est pas aussi parfaitement dessiné que nous avions imaginé. Il y a plein de choses différentes. La première analyse des carottages montre aussi des couches différentes selon les prélèvements. Cela signifie qu’il s’est passé des choses différentes selon les endroits. »
Gérer 35 chercheurs français et étrangers sur le même projet était un autre défi de l’opération. « Il fallait répondre aux demandes de tout le monde, confirme la directrice scientifique. Toutes les études devaient être complémentaires. Nous devions aussi éviter une trop grosse compétitivité. Tout le monde s’est bien entendu avant. Par exemple, nous avons partagé les prélèvements sur les Gorgones entre l’Université de Marseille, l’Université de Montpellier et le Centre scientifique de Monaco. Nous avons aussi dû adapter les protocoles car d’ordinaire les recherches se font sur des profondeurs moins importantes. »