Corse Net Infos - Pure player corse

Aleria : Sous la nécropole romaine, la découverte rare d’une tombe étrusque


Nicole Mari le Mardi 26 Mars 2019 à 18:46

La tombe étrusque, découverte sous une nécropole romaine sur la commune d’Aleria au lieu-dit Lamajone, dans le cadre d’une fouille archéologique préventive sur un terrain privé, commence à révéler ses secrets enfouis depuis plus de 25 siècles. L’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), qui mène ces fouilles hors normes depuis juin 2018, a mis au jour un ensemble de vestiges antiques remarquables datant du 4ème et du 3ème siècles avant J.C., notamment une nécropole romaine et, au dessous, une tombe étrusque et son mobilier coloré, remarquablement bien conservé. Cette découverte, rare en France, est la première du genre depuis 40 ans.



Le mobilier et les vases polychromes de la tombe étrusque découverte sur le site de Lamajone sur la commune d'Aleria en Corse. Crédit photo : Denis Gliksman, Inrap.
Le mobilier et les vases polychromes de la tombe étrusque découverte sur le site de Lamajone sur la commune d'Aleria en Corse. Crédit photo : Denis Gliksman, Inrap.
« C’est une découverte rare. Depuis les fouilles de Jean Jehasse, personne n’a vu un hypogée étrusque, pas seulement en Corse, mais même sur le continent ! Il n’y a même pas eu de recherches récentes en Italie. D’archéologue en activité, personne n’en a jamais vu ! Encore moins de cet ordre, une densité pareille de vases… » Laurent Sévègnes, conservateur régional d’archéologie, n’aime pas beaucoup les superlatifs, pas plus que les archéologues de l’INRAP, les qualitatifs dithyrambiques sur leurs découvertes, mais il avoue : « La rareté fait l’événement ». Si la prudence et la rigueur sont de mise, c’est avec des mines gourmandes et une vraie excitation qu’avec les représentants du service des affaires culturelles corses, tous attendent, oublieux de la pluie et du froid, les pieds dans la boue, de soulever la bâche pour nous dévoiler les premières découvertes. « Nous avons mis au jour une tombe d’époque étrusque qui était recouverte par plus d’une centaine de tombes d’époque romaine que nous fouillons depuis le mois de septembre », indique Laurent Vidal, responsable des fouilles préventives sur le site Aleria-Lamajone.

Crédit photo : Denis Gliksman, Inrap
Crédit photo : Denis Gliksman, Inrap
Une chambre avec couloir
La découverte d’une nécropole romaine et de deux tronçons de voies de circulation avait été révélée en février par l’INRAP. « Nous avions entraperçu la présence d’une tombe étrusque souterraine parce que nous avions trouvé les escaliers et le couloir d’accès à la chambre funéraire », poursuit Laurent Vidal. Il salue, lui aussi, « une découverte importante qui est aussi une exception à l’échelle de la France parce que ce modèle de tombe à chambre avec un couloir n’existe qu’en Italie et en Corse. La chambre funéraire bénéficie d’un très grand couloir d’accès qui mesure six mètres environ pour 1,10 mètre de large. Jean Jehasse avait mis en évidence des couloirs de cette taille, mais qui desservait des chambres un peu plus grandes que celle que l’on vient de découvrir ». Dans les années 1960-80, l’archéologue, qui semble être la référence suprême, avait exhumé plus d’une centaine de tombes à quelques encablure de là sur le site de Casabianda. Depuis 40 ans, aucune tombe de ce type ne l’a été. « Jean Jehasse a fait avec les moyens de l’époque. Aujourd’hui, nous disposons de techniques de pointe qui allient beaucoup d’analyses à la fouille de terrain ».

Des vases en bichromie
Le couloir creusé dans la terre aboutit à une porte en terre tassée qui ouvre sur la chambre funéraire. « Le corps est déposé dans une alvéole creusée à même la terre et est entouré de dépôts funéraires. On peut tout imaginer dans le rituel d’inhumation. La porte en terre est refermée, mais il est possible qu’elle soit rouverte, un peu comme ce qui se passe aujourd’hui dans certains pays du monde où l’on revient dans les cimetières rendre visite aux morts une fois par an. On revient, peut-être à l’époque, faire un banquet funéraire sur la tombe autour du mort. On n’a pas une preuve archéologique de cette pratique, mais c’est une hypothèse », commente Laurent Sévègnes. « Nous avons pu mettre en évidence la personne qui y était ensevelie. Elle a été déposée sur le côté. Autour du corps sont disposés toute une série de vases », ajoute Laurent Vidal. Parmi les vases qui sont apparus et n’ont pas encore été prélevés, certains présentent des décors de couleur, une polychromie déjà notée dans d’autres fouilles. Ce mobilier rattache, apparemment, le défunt à la sphère culturelle étrusque. Ce n’est qu’une fois que le mobilier sera entièrement prélevé, nettoyé et analysé que l’on pourra savoir quel est le statut social de la personne ensevelie ».
 
Des informations précieuses
C’est tout l’enjeu de l’enquête anthropologique menée par Catherine Rigeade. Le contenu des vases devrait aussi donner des informations sur les pratiques funéraires. L’analyse des ossements permettra de définir si le défunt était un homme ou une femme. Mais d’autres questions se posent, plus difficile à résoudre : le défunt était-il étrusque ou était-il un insulaire assimilé aux us et coutumes de l’envahisseur ?  Si le mobilier est assez disant, il fournit peu d’éclairage sur les personnes ensevelies. Les tombes, découvertes par Jean Jehasse, ont livré des armes, des épées, des casques en bronze, des cnémides… tout un matériel qui n’a pas appris grand chose sur le guerrier qui les portait. « On connaît les Etrusques en Corse à travers le mobilier des tombes et les inscriptions de la nécropole de Casabianda, mais il reste beaucoup à apprendre sur la façon qu’ils avaient d’habiter la cité, d’occuper le territoire et de le gérer. On n’a pratiquement aucune connaissance sur les personnes ! On connaît le mobilier archéologique, mais pas son usage. On ne connaît pas les pratiques culinaires ou funéraires. On ne sait pratiquement rien sur l’habitat, sur la vie quotidienne des gens, sur l’état de la société, sur son fonctionnement », explique Laurent Vidal. Les informations seront d’autant plus précieuses qu’Aleria est le seul secteur non calcaire de Corse où l’on retrouve des ossements.

Crédit photo : Denis Gliksman, Inrap
Crédit photo : Denis Gliksman, Inrap
Une longue occupation
Si la découverte est rare, elle n’a, pour autant, rien de surprenant. « Dans le contexte d’Aleria et des découvertes de Jean Jehasse, il fallait s’attendre, un jour ou l’autre, à retrouver une tombe étrusque dans le secteur », se réjouit le responsable des fouilles. « La nécropole d’époque romaine, qui a été recouverte postérieurement par celle de Casabianda, s’est développée le long d’une voie de direction Est-Ouest qui devait mener de la ville grecque et étrusque d’Aleria vers les étangs ou l’embouchure du fleuve. Elle est située dans la périphérie, à 200 mètres du site historique et des portes de la ville. C’est nettement la nécropole des habitants d’Aleria ». L’occupation du site historique s’étend du 5ème siècle avant Jésus-Christ au 3ème siècle après J.C. Entre 300 et 400 avant J.C., Aleria est sous contrôle étrusque. Vers 259 avant J.C., la ville est conquise par les Romains qui en deviennent les maîtres politiques. La découverte de tombes attestent de leur présence jusqu’aux années 220 après J.C..
 
Des enclos familiaux
L’événement ferait presque oublié que le site de Lamajone a, d’abord, divulgué une nécropole romaine abritant une centaine de tombes familiales et des ossements assez bien conservés. « Les tombes romaines révèlent des familles ensevelies dans le cadre probable de petits enclos familiaux. Quelques enclos ont été conservés. Les tombes se recoupent, mais avec un respect pour les tombes qui sont recouvertes. Les défunts, qui étaient précédemment enterrés, ne sont pas relégués ailleurs. C’est un peu comme dans nos cimetières actuels. Quand on ensevelit dans un cadre familial, on respecte les tombes des ainés ». Cette pratique de tombes étagées a été favorisée par la géographie du sol. « Le site est un peu compliqué avec un phénomène d’atterrissement. La terre s’accumule dans un creux, ce qui fait que le sol s’exhausse. Au cours des diverses phases d’utilisation de la nécropole, le sol s’est légèrement exhaussé, ce qui fait que les tombes s’empilent les unes sur les autres. Ce qui, dans une certaine mesure, préserve les tombes les plus anciennes ».

Crédit photo : Denis Gliksman, Inrap
Crédit photo : Denis Gliksman, Inrap
Des fouilles à-venir
Les fouilles, qui ont débuté en juin 2018, s’achèvent dans une quinzaine de jours. Le terrain sera, ensuite, remblayé, remis en état et restitué à son propriétaire qui désirait initialement y construire une maison individuelle. Les objets découverts seront étudiés par divers spécialistes pendant 4 à 5 ans avant d’être exposés au musée d’Aleria. En attendant d’autres fouilles sont en ligne de mire sur le secteur, notamment de l’autre côté de la route territoriale, près de la mer. « Chaque opération archéologique nouvelle apportera des données nouvelles sur Aleria, d’autant que l’occupation qui dure aussi longtemps, depuis le 6ème siècle avant J.C. jusqu’à 18ème siècle avec son avatar ultime qui est le hameau du fort de Matra. Nous connaissons très peu de choses sur l’organisation des voies autour de la ville. Cette opération de Lamajone a permis de mettre au jour deux nouvelles voies qui n’était pas connues » affirme Laurent Vidal. Lamajone abrite-t-il d’autres nécropoles étrusques inviolées ? « Pour l’instant, dans toute la zone que nous avons fouillée - le terrain géologique est apparent quasi-partout -, il n’y a pas d’autres tombes. Mais, dix mètres, en dehors de l’emprise de fouilles, il peut y en avoir d’autres. Aujourd’hui, on ne peut pas le savoir ». D’autant qu’Aleria est le seul site étrusque clairement identifié en Corse. C’est aussi un site avec des occupations fortes, diverses et très anciennes. Les collines d’Aleria, du pénitencier de Casabianda jusqu’au fort de Matra, étaient occupées depuis au moins le Néolithique et attestent même du premier travail du cuivre dans l’île. Ce site exceptionnel, très complexe et très vaste, qui s’étend sur une dizaine d’hectares, est, donc, loin d’avoir tout dit.
 
N.M.