Corse Net Infos - Pure player corse

Aleria 75 : Un 47ème anniversaire, un devoir de mémoire et un combat plus que jamais d’actualité


Nicole Mari le Lundi 22 Août 2022 à 22:01

Les 21 et 22 août 1975, le Dr Edmond Simeoni et une douzaine de militants de l’ARC (Action régionaliste corse) occupent la cave Depeille à Aleria pour dénoncer un scandale vinicole. Cet acte, qui tourne au drame, va transformer, de manière radicale, les relations entre l’île et Paris. 47 ans après les faits, la portée politique et symbolique de ce qui fut l’acte fondateur du nationalisme corse reste intacte. A l’appel du Collectif « Aleria 75 », une centaine de militants nationalistes a, comme tous les 22 août, commémoré ces évènements devant la stèle posée en août 2014 sur les lieux du drame.



La stèle commémorative des évènements d'Aleria.
La stèle commémorative des évènements d'Aleria.
Le 21 août 1975, une douzaine de militants de l’ARC (Action régionaliste corse), emmenés par le Dr Edmond Simeoni, occupent la cave Depeille à Aleria. Ce n’est, au départ, qu’une simple opération politique et médiatique pour dénoncer les fraudes vinicoles, la spoliation des terres agricoles et le colonialisme. La situation économique de l’île était très mauvaise et le mécontentement grandissant depuis l’affaire des boues rouges de la Montedison, comme l’expliquait 39 ans après, en août 2014, Edmond Simeoni, dans nos colonnes, à l’occasion de l’inauguration de la stèle commémorative des évènements. « Aleria n’est ni un événement fortuit, ni un coup de tête ! », déclarait-il, alors. « Pendant deux siècles, la France n’a jamais fait les travaux nécessaires. Le plan d’action de 1957 privilégie le tourisme et l’agriculture qui, de facto, échappent aux Corses. Quand, en 1962, se pose le problème des rapatriés, l’affaire, traitée de façon inéquitable, crée un contentieux agricole. Après la naissance de l’ARC en 1967, la contestation s’intensifie avec les manifestations pour la terre, notamment dans le Fiumorbu et à Porto… La fraude électorale sévit. Il n’y a pas un scrutin qui ne soit entaché de fraude ! L’inquiétude est maximale et le mécontentement profond. En 1973, l’affaire des boues rouges est le premier exutoire à ce mécontentement ». Deux ans plus tard, éclate le scandale de la chaptalisation du vin qui détruit l’image de la viticulture corse. « Si on y ajoute la spoliation au niveau du tourisme et de l’agriculture, le schéma d’aménagement qui prévoit la création de 200 000 lits touristiques à l’horizon 1985…, on comprend pourquoi la situation est explosive ».

Edmond Simeoni le 22 août 1975 à Aleria.
Edmond Simeoni le 22 août 1975 à Aleria.
Des militants déterminés
La décision de passer à l’action est prise, trois jours avant, par l’Exécutif de l’ARC après de longues discussions dans un climat tendu avec les premiers attentats. « Nous prenons la décision d’occuper cette terre qui est, à la fois, le symbole fort du colonialisme agricole et le lieu où sévit la malfaçon du vin », précisait Edmond Simeoni. Avec trois objectifs clairs : le premier est de « dénoncer une situation coloniale en matière d’agriculture, faire cesser la dépossession de la terre et la malfaçon viti-vinicole ». Le deuxième est de « dire notre refus d’accepter l’arbitraire ». Le troisième est « d’expliquer aux Corses qu’il faut changer de politique et sortir de cette situation coloniale hypercentralisée ». Les Autonomistes sont déterminés et veulent le faire savoir. Pour des raisons de sécurité, l’opération est circonscrite à une vingtaine de personnes, des militants éprouvés et des dirigeants d’organisation syndicale. « Comme nous ne voulons pas être expulsés par trois grenades lacrymogènes et deux gifles, nous prenons des fusils de chasse avec la conviction certaine et partagée que nous ne les utiliserons pas. Ils sont un élément de dissuasion vis-à-vis des forces de l’ordre ». Pourtant, l’occupation de la cave et l’opération de communication, qui devaient durer quatre jours, virent dès le lendemain au drame. Le 22 août, à l’aube, un assaut inattendu et désordonné des forces de l’ordre cause deux morts, un blessé et la reddition d’Edmond Simeoni qui endosse, seul, la responsabilité des évènements. Il devient le symbole du nationalisme corse.

Les militants le 22 août 2022 à Aleria.
Les militants le 22 août 2022 à Aleria.
L’acte fondateur
C’est, ce qu’on appelle depuis : « le choc d’Aleria ». A partir de là, plus rien n'est pareil dans les relations entre la Corse et l’Etat. « Aleria est le point de rencontre entre deux volontés inébranlables : d’un côté, la volonté de l’Etat de ne pas permettre à la Corse de s’émanciper, de l’autre, la volonté du peuple corse de se libérer. Aleria a été une fracture contre le colonialisme. C’est le symbole de la lutte contre la colonisation agricole et touristique et du combat pour l’identité. C’est un acte de résistance. C’est même l’acte fondateur de la résistance contemporaine », résumait Edmond Simeoni. 47 ans après, Aleria marque toujours les consciences et le devoir de mémoire est toujours aussi vivace : « Aleria a d’abord été un évènement qui a marqué l’opinion publique, puis la pensée collective en a fait une page d’histoire contemporaine. Il a été le facteur déclenchant de nos consciences. Aujourd’hui, il appartient à tous, tout le monde se revendique de ce moment historique », estimait, toujours dans nos colonnes, Bernard Pantalacci, président de l’Associu Aleria 75.
 

Gilles Simeoni.
Gilles Simeoni.
Une détermination intacte
Le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, l’a rappelé ce 22 août in lingua nustrale : « In 47 anni hè cambiata a Corsica, hé cambiata a Francia, hé cambiata u Mondu. U tempu chi passa ci alluntaneghja da ste stonde. Mà ùn allegerisce nè sguassa nunda. A cuntrariu, l’anni chi scorrenu è tuttu cio chi hè accadutu dipoi tandu, ùn anu fattu chè rinfurza a nostra certezza chi un ci era, in quelle annate, altru chjassu da piglià, di pettu à a viulenza primu di u Statu è di a so pulitica, chè quellu di a rivolta ». Les années, poursuit-il, n’ont fait que renforcer la nécessité du devoir de mémoire et la détermination de continuer le combat engagé il y a un demi-siècle : « nostra déterminazione à esse fidi à l’ingagiamenti pigliati in u discorsu di Corti a vigilia di l’evenimenti d’Aleria è à u filu storicu d’una lotta chi si deve purtà à l’emancipazione, à a demucrazia è à a ricunniscenza di u Populu Corsu in a so essezza è in i so diritti ». Gilles Simeoni rappelle que le projet de construire un parcours mémoriel sur une partie de la défunte cave Depeille en collaboration avec la Collectivité de Corse et l’université est toujours d’actualité. L’idée est de se souvenir et de comprendre que « l’injustice ne peut conduire qu’à la révolte » et de « perpétuer le souvenir des sacrifices consentis ».  En ce jour d’anniversaire, il réaffirme sa volonté d’aller au bout du combat : « purtendu à u so fine vitturiosu u cumbattu iniziatu chi so 50 anni avà, per a Corsica, per a ricunniscenza di u nostru Populu, per l’autunumia è per a demucrazia ».
 


L’hommage sur les réseaux

Depuis deux jours, de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux pour commémorer ces évènements, des leaders nationalistes aux simples militants :