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"A Flauta incantata" : Mozart en langue corse, en plein cœur de la Castagniccia


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Dimanche 10 Juillet 2022 à 18:21

Les 12 et 13 août prochains, Cervioni et son couvent seront l’écrin d’un spectacle exceptionnel : la représentation d’un opéra de Mozart.
Pas n’importe quel opéra, puisqu’il s’agit d’un des plus emblématiques du compositeur : la Flûte enchantée ! Et pas sous n’importe quelle forme : puisque, oublié l’allemand qui en constitue la langue d’origine, c’est en corse pour le chant et en français – émaillé d’expressions corses – pour les dialogues parlés, que les amateurs de belles voix pourront l’apprécier ! Un projet ambitieux, fignolé avec soin et passion…



Passion, bonne humeur et professionnalisme
Samedi 2 juillet, couvent Saint-François, sous un soleil de plomb… Des notes de musique s’échappent d’une des salles ; des voix superbes, des chants, des rires qui fusent…  Une scène est dressée au milieu d’une pièce sombre. La metteure en scène, Emma Loriaut-Clauss, évolue au milieu des interprètes, mimant avec expression ce qu’elle attend de chacun. Les chants reprennent… Puis c’est la pause : Papageno, l’un des rôles phares de l’opéra, et Emma Loriaut-Clauss, en aparté, ajustent encore la mise en scène. On discute, on propose… Passion, humour et bonne humeur n’excluent pas professionnalisme et rigueur : le Story Board, sorte de livret qui décrit minutieusement, acte par acte, les positionnements des interprètes sur la scène, sera corrigé pour intégrer les dernières modifications… Chacun s’active, car tout doit être au point pour le jour J !
 
Versailles et un baryton corse…
Un opéra de Mozart en langue corse, n’est-ce pas un projet un peu fou ? « L’idée m’en est venue en janvier 2020, à l’opéra royal de Versailles où j’étais invitée pour la Générale de La Flûte enchantée, sous la direction d’Hervé Niquet, explique Viviane Loriaut-Damiani, l’organisatrice de l’évènement. Le rôle le plus marquant, celui de Papageno, était chanté par le Bastiais Marc Scoffoni, un grand baryton ! Voir un Corse interpréter ce rôle m’a donné envie de monter cet opéra en langue corse ! En fait, à l’origine de ce très beau projet, il y a l’amour de Mozart, l’amour de la Corse et l’amour de ce couvent ! ». Un amour qu’elle partage avec sa fille Emma, la metteure en scène.
 
La langue corse à l’honneur
Viviane Loriaut-Damiani n’est pas une novice en la matière : organiste et pianiste de profession, ancienne enseignante du Conservatoire de Bastia (CRD) puis de celui de Paris (CRR), elle est également cheffe de chœur à Cervione et directrice artistique de l’association Voci è Organu in CErvioni – autrement dit “VOCE” – qui a déjà produit deux opéras.
Cette fois pourtant, le choix du corse ajoute une difficulté supplémentaire : il faut une traduction. C’est Marie-Laure Ferracci, l’une des choristes de Cervione, qui s’y attelle. Un long travail : « Je l’ai fait pour la Corse, pour les Corses, pour le nom que je porte. C’est ma fierté ! J’ai appris le corse avant d’apprendre le français ! ». Viviane Loriaut-Damiani et elle se voient trois demi-journées par semaine durant un an et demi pour parfaire le texte : « Il fallait l’adapter à la musique, parce que les accents toniques étaient différents. Musicalement parlant, il fallait placer les bons accents toniques sur les bonnes syllabes ! C’était passionnant ! », explique la directrice artistique.
 
La langue corse… pour s’adresser aux Corses…
Traduire un opéra dans une autre langue n’est pas un problème en soit : « Les Allemands chantent tout en allemand ! Dans les années soixante, en France, tout était traduit en français ! Et à l’époque de Mozart, tout se chantait en italien ! Mozart et son librettiste ont voulu écrire la Flûte enchantée en allemand parce qu’ils voulaient s’adresser au peuple. Alors, pourquoi ne pas faire la même chose en Corse ? C’est un bel hommage à la langue corse. Tous ceux que j’ai contacté pour les rôles ont été emballés ! Il y a eu de très belles réactions ! ».
Même si l’un des choristes, un Autrichien, parle mieux le corse que bien des Corses d’origine, reste que beaucoup des interprètes ne sont pas corsophones. Plus encore : les 24 choristes ne sont pas des professionnels. Le chœur a été constitué par des amateurs des chœurs de Cardo, Bastia – avec le Conservatoire – et Cervione. « Il fallait un apprentissage de la scène pour les choristes, et une appropriation du rôle pour les solistes ». Les répétitions ont donc été particulièrement nombreuses : le chœur, Voce di core, répète une fois par semaine depuis novembre. S’ajoute à cela un week-end par mois, avec la mise en scène : « La costumière est venue très tôt prendre les mesures et faire les essayages des couleurs… ». Quatre jours encore de répétition en juillet, avec un planning très strict établi par la metteure en scène en fonction des dispositions et des ensembles qu’elle veut travailler, et en intérieur : parce qu’elles durent du matin au soir et que la chaleur interdit de travailler dans le cloître où aura lieu la représentation.
Viendront enfin les dernières répétitions, du 1er au 11 août, qui, elles, auront lieu de nuit, dans le cloître, en situation réelle. « C’est un opéra plus lourd que ceux qu’on a montés jusque-là. Plus de travail, de rôles, d’instruments… beaucoup d’entrées et sorties de scènes », analyse Olivier Pailly, président de l’association et également membre du chœur et soliste. « J’ai posé mes congés ! », macagne celui qui est également directeur de l’unité expérimentale Citrus de l’INRA, à San-Ghjulianu. 
 
Des solistes d’ici et d’ailleurs
 Trouver 16 solistes – principalement des Corses – était également une gageure : « J’ai d’abord contacté les gloires locales », relate Viviane Loriaut-Damiani. Notamment Guy Luciani, qui jouera Sarastro, et Julia Knecht qui interprètera la Reine de la Nuit. Puis j’ai élargi, sur le continent, en fonction des personnes disponibles. » Ainsi, le rôle de Papageno est-il tenu par un italien : « Quand il parle français, son accent donne un cachet particulier tout à fait adapté à son rôle : un personnage qui roule un peu des mécaniques mais qui rate toutes les épreuves ! Il m’a été présenté par un percussionniste de la Verdi de Milan. C’est un chanteur formidable ! » Un ami ténor écossais, Stuart Patterson, qui enseigne à la Haute École de Musique de Neuchâtel la dirige vers deux de ses élèves. L’un d’eux jouera Monostatos. L’autre Tamino : « Je l’ai contacté en avril. Et là, il sait déjà tout par cœur, en corse ! C’est le top ! ». Une partie des 12 musiciens viendra également du continent, pour compléter l’équipe corse. Et puis il y aura les “3 génies”, interprétés par des adolescents du Conservatoire de Bastia :  « Ils ont une part importante à jouer. Et ils sont magnifiques ! ».
 
Une mise en scène à « l’esthétique minimaliste »
 La mise en scène, avec une scène rétroéclairée, réservera quelques surprises, alliant « danse chant, et théâtre dans une vision contemporaine », nous éclaire Olivier Pailly. Plus qu’une mise en scène, c’est même une “mise en espace” : les comédiens apparaîtront parfois à l’étage ; ou arriveront par le public qui, lui, sera installé en U, avec l’orchestre en arrière-plan, sur deux niveaux.
Cette mise en espace, Emma Loriaut-Clauss l’a en effet voulu épurée, avec cette « scène centrale, comme un ring où un combat intérieur sera livré », explique-t-elle. Au-delà de la traditionnelle présentation d’une initiation maçonnique, avec tous les symboles associés, elle nous offre son interprétation de cette œuvre majeure : une interprétation où les « singularités propres à la Corse » prennent toute leur place, mais également une interprétation féministe, Mozart « se positionnant en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ». S’appuyant sur les « valeurs populaires, égalitaires, spirituelles et humanistes » de l’époque – Mozart écrit en pleine Révolution –, c’est aussi « le chemin de l’adolescence vers la maturité […] lorsque l’individu se met en quête du sens et de lui-même », un chemin semé d’épreuves mais dont chacun, à sa façon, sortira heureux et grandi.  
 
Les amateurs d’opéra devraient être comblés !

En pratique

Les billets sont en vente sur le site HelloAsso – spectacle : A Flauta incantata (Penser à apporter un justificatif pour les tarifs réduits)
Avant le spectacle et pendant l’entracte, une petite restauration et des produits locaux seront proposés sur la place du couvent.
Les personnes intéressées pourront se procurer le livret édité en bilingue corse/français.
Stationnement : une navette gratuite permettra de rejoindre le couvent à partir du COSEC de Cervioni (parking gratuit)
Une troisième représentation est également programmée à Bastia (sans compter un spectacle pour les scolaires).

Distribution et origine des interprètes et des musiciens

Interprètes 
La Reine de la nuit  :          Julia KNECHT             Bastia/Sartène
Tamino     :                    Mali ZIVKOVIC             Besançon/Genève
Pamina          :               Clara GUILLON             Paris
Sarastro        :                 Guy LUCIANI             Erbalunga
Monostatos    :                     Quentin MONTEIL             Neuchâtel
Papageno      :                    Roberto MAIETTA            Bergamo
Papagena         :                 Ursula MARIAN            Bastia/Paris
Les trois dames    :         Françoise LUCIANI, Anne-Laure ALLEGRE, Anne-Marie GRISONI Bastia/Erbalunga
Les trois génies    :         Cécilia AUBERT, Jean-Raphaël DERIN PERALDI, Ange VIOLAT Bastia
L’Officiant       :                  Laurent GRAUER Bor et Bar
Les surveillants  :           Olivier PAILLY, David SAINT-PASTOU Taglio Isolaccio/Bastia
Choeur  des initié(es) ; VOCE di CORE Cervione/Bastia/Cardo

Orchestre QUINTA D’ISULA
Direction    :                     Xavier DELETTE             Paris/Lausanne
Violon 1   :                   Christophe GIOVANINETTI             Paris
Violon 2   :                   Isabelle ROBERT             Valence
Alto           :                  Myriam BIS CAMBRELING             Lyon
Violoncelle  :               Anne GAMBINI             Sisco/Marseille
Contrebasse :                           Mathieu MARTIN             Toulon
Flûte  :                                     Christine VIGNOUD             Brando
Hautbois :                               Irina DOPONT             Le Puy
Clarinette :                   Victor GUÉMY             Paris
Cor   :                                      Marie COLLEMARE             Paris
Basson   :                                 Jérémie DA CONCEIÇÃO             Paris
Timbales  :                   Romain GIANELLI             Bastia/Nice
Harmonium  :                          Elise LANCEROTTO             Bastia
Chef de chant :                        Eléonore LUCIANI                         Erbalunga/Helsinki