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80e anniversaire de la libération de la Corse : "un peuple déterminé à récupérer sa liberté"


David Ravier le Samedi 9 Septembre 2023 à 07:30

Le 8 septembre 1943, la population corse entreprend, seule, les combats qui lui permettront de devenir le premier département français libre un mois plus tard avec le soutien des Alliés venus d’Algérie et les troupes italiennes. À l’occasion des 80 ans de la commémoration de ces évènements, Sylvain Gregori, le directeur du musée de Bastia, revient pour CNI sur la singularité du mouvement insulaire qui a mené à la libération de l’île.



Sylvain Gregori, le directeur du musée de Bastia.
Sylvain Gregori, le directeur du musée de Bastia.
- Dans la soirée du 8 au 9 septembre 1943, la radio alliée diffuse l’annonce de l’armistice italien, signé quatre jours plus tôt; c’est le début de l’opération Vésuve, destinée à libérer la Corse. Ici, ce sont les résistants eux-mêmes qui ont débuté les opérations de reprise du territoire, comment cela s’explique-t-il?
- Une des spécificités de cette libération, c’est qu’elle s’est produite en marge de la France combattante et des plans des alliés, ce qui est différent des débarquements de Normandie et de Provence. L’insurrection n’a pas été décidée du jour au lendemain, c’est une action mûrement réfléchie par le parti communiste clandestin corse qui comprit à la chute de Benito Mussolini en juillet 1943 que l’armistice italien serait inéluctable et qu’à l’annonce de celui-ci, l’insurrection armée serait déclenchée. Ce plan était d’ailleurs opposé à la stratégie du commandant Henri Giraud qui avait armé la résistance insulaire dans l’optique que la résistance déclenche un soulèvement à partir du moment où le débarquement allié est effectif. Pendant tout l’été 1943, Alger larguera des tracts sur la Corse, appelant la population insulaire à ne pas se soulever.

 

- Pour autant, les Corses n’écoutent personne et partent au front seuls pour se libérer. Comment ont-ils réussi à l’emporter face à l’envahisseur allemand?
- Au cours des combats, des résistants combattront seuls les Allemands, notamment dans l’Alta Rocca. Ils seront rejoints par la suite par les troupes libératrices venues d’Alger. L’autre grande spécificité de la libération corse, c’est l’appui de l’armée italienne qui passe de puissance occupante à puissance co-belligérante. Juste après l’armistice italien, certains soldats transalpins combattront spontanément avec les résistants contre l’ancien allié allemand. Les choses seront mises en place plus officiellement à partir du 20 septembre, avec des unités organisées beaucoup plus conséquentes qui porteront appui aux troupes venues d’Alger et qui seront placées sous les ordres du commandement français. C’est une spécificité qui ne se retrouvera dans aucun autre département français occupé par les Italiens.

 

- Qu’est-ce qui explique ce retournement de situation de la part des troupes italiennes?
- Il y a un faisceau de phénomènes qui expliquent ce ralliement des Italiens envers les Corses. D’abord, les ordres du général Pietro Badoglio de se défendre de toute attaque extérieure ne sont pas clairs. Ce mot d’ordre sera appliqué en Corse, et notamment à Bastia dans la nuit du 8 au 9 septembre lorsque les Allemands tenteront de prendre des navires italiens dans le port. Là, il y a une action défensive des troupes italiennes qui les feront militairement passer du côté de la résistance. Le même phénomène se reproduira dans certaines microrégions de l’île où les Italiens attaqués par les Allemands se défendront et de fait, participeront à l’action de la résistance. Les choses seront officialisées à la fin du mois de septembre avec l’état-major du 7e corps d’armée italien qui se mettra à disposition des troupes françaises.

 

- Quels sont les ressorts sur lesquels s’appuie le mouvement de la résistance en Corse?
- La résistance en Corse s’appuie sur des aspects essentiellement identitaires, la propagande clandestine est construite sans lien avec le reste de la France puisque ces organisations seront rapidement coupées de leurs centres décisionnels sur le continent. Ils élaboreront leur propre discours qui se fondera sur la défense de l’identité insulaire menacée par l’occupation italienne. Cette défense de l’identité corse se manifestera à travers la mise en avant dans les tracts, les graffiti et les journaux clandestins des grandes figures du panthéon historique de l’île que sont Sampiero Corso ou encore Pasquale Paoli. Ces personnages serviront de transposition du passé d’opposition des Corses face à la domination génoise, qui se retrouvera actualisé à travers l’occupation italienne. Cette forte identité insulaire sera mise en avant par la résistance pour mobiliser la population.

 

- À vous entendre, il y a un fort ressentiment des Corses vis-à-vis des Italiens à cette période, comment cela s’explique-t-il?
- Pendant tout l’entre-deux-guerre, l’Italie développera officieusement toute une propagande irrédentiste qui vise à prouver, à la fois aux Italiens et aux Corses, que l’île est ethniquement, géographiquement et culturellement une terre italienne et qu’elle doit retourner à la nation italienne. Cette propagande trouvera son point d’orgue en novembre 1938 lorsque le Parlement italien revendiquera quasi officiellement la Corse, le tout dans un contexte tendu entre les démocraties occidentales et les régimes totalitaires. Il faut se rappeler que c’est à ce moment que sont signés les Accords de Munich, et que l’Allemagne nazie récupère les Sudètes sans que la France ou l’Angleterre s’y oppose. Les Corses ont alors peur que cela ne motive les Italiens à affirmer leur politique d’annexion de l’île. Lorsque l’Italie déclare la guerre à la France le 10 juin 1940 et que l’armistice est signé deux semaines plus tard, déclarant le régime fasciste vainqueur de la guerre, les insulaires redoutent de voir la Corse cédée par le régime de Vichy à l’Italie. C’est cette peur qui motivera les engagements individuels et collectifs à résister à l’envahisseur.    

 

- L’animosité envers les Italiens serait donc à l’origine du sentiment pro-français de la résistance?
- Ce qui motive cette volonté d’intégration à la France, c’est ce rejet de l’italianité de la Corse, car les habitants redoutent dès 1938 que l’île soit annexée par l’Italie, et cette peur perdurera jusqu’à la libération en 1943. D’ailleurs, lorsque les Italiens débarquent en 1942, les Corses ressentent cela comme une annexion déguisée de l’île à l’Italie fasciste. Au début de la guerre, les Corses se raccrocheront dans un premier temps à Philippe Pétain parce qu’il incarne à la fois l’unité nationale française et, pour les Corses, une opposition aux revendications irrédentistes de l’Italie sur l’île. Très vite, ils se rendront compte que le maréchal n’est pas ce bouclier protecteur qu’ils pensaient, ce qui les amènera à se tourner dès l’automne 1940 vers le général de Gaulle, qui incarne une autre identité française.

- Pour autant, Italiens et Corses finiront par combattre côte à côte pour chasser les Allemands...
- Dans les derniers mois de l’occupation, on assistera à deux prénomènes: le premier, c’est un rapprochement entre occupants et occupés. Les soldats italiens mobilisés en Corse se rapprocheront de la population civile parce qu’il y a une culture et une langue commune, il est donc plus facile d’échanger avec un occupant qui parle la même langue. La deuxième chose, c’est que l’année 1943 est catastrophique pour l’Italie fasciste puisqu’elle perd sur tous les fronts sur lesquelles elle est engagée, ce qui conduira à une démoralisation du soldat italien qui n’a qu’une envie, c’est de rentrer chez lui et retrouver la paix. Ces deux phénomènes expliquent cette co-belligerance italienne et le passage d’une armée italienne alliée des Allemands à une armée transalpine qui appuiera la résistance et les troupes françaises.