Corse Net Infos - Pure player corse

​Régulation des meublés de tourisme à Ajaccio : la majorité municipale temporise


Patrice Paquier Lorenzi le Vendredi 23 Février 2024 à 11:19

Consacrée au logement, la séance du conseil municipal s’est longuement prolongée autour du débat sur les meublés de tourisme. Si l’opposition souhaitait un « plan de régulation « dans l’urgence », Stéphane Sbraggia, le maire d’Ajaccio, et son équipe municipale, ont préféré remettre à plus tard la mise en application malgré une volonté affichée de réguler. En attendant, notamment, la promulgation de la loi « anti-Airbnb » au plan national.



Le débat sur les meublés de tourisme a cristallisé l'essentiel des débats (photo : Paule Santoni)
Le débat sur les meublés de tourisme a cristallisé l'essentiel des débats (photo : Paule Santoni)
« Le logement est un sujet important : c’est la préoccupation numéro 1 des Ajacciens. La question des meublés de tourisme est une question fondamentale. Cela crée des tensions pour tous ceux qui se souhaitent se loger à Ajaccio, car les prix de l’immobilier y sont trop chers ». Jean-François Casalta est le premier à se jeter dans l’arène municipale, après plusieurs délibérations adoptées concernant des modifications relatives au PLU, suite à l’annulation partielle décidée par la Cour d’appel de Marseille le 13 mars 2023.
« Le coût de la location à Ajaccio est de 15€/m2, ce qui très cher. Les gens désertent le centre-ville, ce qui provoque des déséquilibres économiques et nos petits commerces rencontrent des difficultés de plus en plus importantes. Aujourd’hui en France et même en Corse, 468 communes ont décidé de réguler ces meublés de tourisme dont 251 qui ont mis en place le principe de compensation. Ajaccio est une des villes dans le monde où le phénomène le plus marqué. La France est le 2e pays au monde concerné avec plus de 100 millions de nuitées. Il y a une urgence à agir. C’est pourquoi nous sommes là pour vous proposer un projet de réglementation ».
 
L’opposition presse la majorité « d’agir rapidement »
 
Le projet, quel est-il ? Pour l’opposition, il s’agit de récupérer sur le marché de la location annuelle près de la moitié des biens actuellement mis sur les différentes plateformes en ligne soit 3 200 annonces répertoriées. Pour cela, les membres d’ « Aiacciu pà Tutti » et « Pà Aiacciu » proposent notamment la mesure dite de compensation : s’l serait toujours possible de louer sa résidence principale pendant 120 jours maximum, il ne serait néanmoins plus possible de louer sa résidence secondaire en courte durée sans proposer un autre bien de superficie et de standing équivalent. Pour Jean-François Casalta, cette problématique des meublés de tourisme pose également d’autres soucis d’ordre économique cette fois-ci : « Ce problème concerne également l’Hôtellerie, particulièrement impacté par cette concurrence déloyale. Plus de 8% des logements du parc locatif ajaccien sont réservés à la location saisonnière et même 26% pour les studios ou T1. Aujourd’hui, à Ajaccio, il y a environ 3200 meublés de tourisme sur un parc d’environ 12 000 logements. Toutes les villes luttent contre ce phénomène. Pourquoi pas Ajaccio ? Apparemment un rapport a été commandé par la Ville, mais nous n’avons toujours pas pu le consulter malgré notre courrier en date du 13 décembre. Nous le regrettons. Une loi nationale est actuellement à l’étude par le Sénat qui donne des possibilités intéressantes, notamment la servitude des logements. Il y a une urgence, il faut mettre en place un calendrier pour faire au plus vite ».
 
« 55% des meublés de tourisme sont des résidences principales »
 
Christelle Combette, la présidente de l’OIT du Pays ajaccien lui répond : « La question de la régulation des meublés de tourisme constitue une priorité pour nous. Nous sommes à l’origine de la prise de conscience et de l’action à travers la délibération en avril 2021. Il y a en effet à peu près 3 000 meublés de tourisme à Ajaccio. Nous comptabilisons ainsi 21 annonces pour 1 000 habitants, soit un des plus faibles totaux parmi 50 villes sondées en France de même taille qu’Ajaccio. 55% des meublés de tourisme sont des résidences principales, ce qui génère des revenus complémentaires pour leurs propriétaires. 90% des loueurs ne proposent qu’un seul bien. Seuls 3% ont plus d’une annonce sur les différents sites. En moyenne, un meublé de tourisme à Ajaccio est loué seulement 35 jours par an, moins que ce qui est autorisé. La situation n’est pas aussi déséquilibrée que vous l’annoncez. En revanche, notre détermination est intacte à établir un dispositif efficace et équitable. Nous souhaitons appliquer prochainement les procédures de changements d’usage et d’enregistrement obligatoire sous réserve de la possibilité de la double fiscalité sur la taxe d’habitation des résidences secondaires et de la CFE, étudiée actuellement au niveau national ». Les débats se crispent, un moment choisi par Alain Nicolai pour les décrisper, sous forme de "macagna" : "Je suis contre les Airbnb, car je n'en ai pas, sinon je serais peut-être un peu plus mesuré !
 
« Des pertes fiscales estimées à 3 millions d’euros » pour la Ville d’Ajaccio
 
En attendant, Stéphane Sbraggia évoque, en cas de changement d’usage et de la mesure de compensation, « une perte fiscale cumulée de 3 millions d’euros pour la Ville d’Ajaccio ». Pas question donc d’agir dans la précipitation malgré la volonté affichée de l’opposition d’aller plus vite. Laurent Marcangeli, député de la Corse-du-Sud, rappelle « que les auteurs de la proposition de loi pour les meublés de tourisme sont venus à Ajaccio et connaissent parfaitement les enjeux et l’urgence de la situation. La promulgation de cette loi ne devrait plus tarder et donnera ainsi les outils qui manquent actuellement aux mairies ». 
 
L’Assemblée Nationale a, en effet, adopté en première lecture le 29 janvier 2024 une proposition de loi transpartisane (Renaissance et PS) « visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue ». Celle-ci est actuellement à l’étude au Sénat. Le texte prévoit notamment diminuer les abattements fiscaux (30% contre 70% auparavant), de leur imposer des diagnostics de performance énergétique, mais aussi de donner de nouveaux outils de régulation aux maires, comme la possibilité d’abaisser de 120 jours à 90 jours par an la durée maximale de location d’une résidence principale.
« Une proposition de loi intéressante, mais qui demandera de toute façon, aux mairies d’agir, pour bénéficier pleinement de ces dispositifs. C’est pourquoi il faut agir maintenant » insiste Jean-François Casalta. « Il faut être prudent, certains dispositifs que vous évoquez sont sans cesse attaqués devant les tribunaux. Nous ne pouvons pas prendre de décisions à la légère et je propose que nous remettions ce débat très prochainement sur la table afin d’étudier les réelles possibilités qui s’offrent à nous avec des certitudes sur les conséquences financières pour la Ville », conclut Stéphane Sbraggia. Après trois heures de débat, aucune décision ferme n’a donc été entérinée même si une volonté commune a été affichée afin de poursuivre les échanges et d’établir, dans les mois à venir, un véritable plan de régulation des meublés de tourisme dans la cité impériale.

Jean-François Casalta
Jean-François Casalta