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Venneri Santu : Près de 30 ans après, un ancien pénitent raconte son "calvaire"


JC le Vendredi 29 Mars 2024 à 07:27

Troublantes, mystiques, souvent impressionnantes. En Corse, les fêtes de Pâques sont un moment à part où religion et tradition se mêlent. Point d'orgue de la semaine c'est le vendredi saint où la Passion du Christ est célèbreé aux quatre coins de l'ile où moment prend une dimension particulière à travers u Catenacciu. Dans cette procession qui remonte au 13ème siècle et que l’on doit aux moines franciscains, un pénitent anonyme refait le chemin de croix de la condamnation au calvaire. Un ancien pénitent de l'Alta Rocca raconte pour CNI, ce moment intense où il a incarné le Christ jusqu'à sa crucifixion



Photo archives CNI
Photo archives CNI
Marc, 33 ans à l'époque, décide en 1996 de vivre le Chemin de Croix différemment. Habituellement présent à la procession du Vendredi Saint dans son village de l'Alta Rocca depuis son enfance, un événement bouleversant vient marquer sa vie : l'assassinat d'un ami. Cette perte le pousse à revêtir l'habit du Catenacciu. Près de 30 ans plus tard, ses souvenirs demeurent vifs : "L'année précédant ma décision, j'avais participé à la procession en encadrant le Catenacciu. Quelque temps plus tard, un de mes amis a été assassiné et j'en ai été bouleversé. raconte-t-il. Cette épreuve le décide l'année suivante à porter la Croix dans un autre village que le sien. "La Semaine Sainte est très importante pour moi, je suis descendant d'un chantre et l'image du Catenacciu est naturelle, elle fait partie de mon imaginaire familial. Pendant que je portais la Croix, ce qui m'a profondément ému, ce sont les vieilles femmes du village qui me parlaient corse, elles m'encourageaient, j'entendais 'arrizza ti'. C'est un souvenir très prégnant. Je me rappelle de la cagoule noire, des pieds nus et du bruit des chaînes. J'ai toujours du mal à l'évoquer. Je n'ai pas vraiment de souvenir des chants ; ce qui reste de cette épreuve, c'est une émotion qui comble tout."

Une émotion intacte 28 ans après
"Quand on fait le Catenacciu, ce n'est pas l'épreuve physique qui est dure, c'est plutôt de voir à travers sa cagoule la compassion des gens qui vous entourent. Chez les fidèles, je sentais un véritable amour et mon cœur était touché par le regard qu'ils portaient sur moi, c'est ça le génie du christianisme." se remémore l'ancien pénitent.

"Un véritable paradoxe" émerge alors. Bien qu'il ne connaisse pas le village dans lequel il déambulera, Marc est guidé par un confrère endossant le rôle de Simon de Cyrène, celui qui, selon les Évangiles, aide le Christ sur le chemin du Calvaire. Ce confrère lui indique le parcours pendant la procession : "J'avais près de moi un confrère qui me disait où aller, il me sussurait vers où me diriger. Il m'a soutenu pendant les 14 stations. Je ne connaissais pas l'intérieur du village, et encore moins les ruelles, c'est lui qui me montrait le chemin, je l'entends encore me dire ses indications. C'est étrange, il y a un véritable paradoxe quand tu endosses le rôle du Catenacciu, car tu es au centre de tous les regards et toi tu ne vois rien. Il y a un mois, je suis retourné dans cet endroit, j'ai retrouvé le chemin exact comme si mon corps en avait gardé la trace. C'est incroyable d'avoir reconnu ce chemin alors que je ne voyais pas où j'allais."

La fin d'une tranche de vie
Presque trente ans plus tard, il garde "les traces d'un souvenir sensitif." "Dans mon existence, cette expérience a été une initiation, c'était la fin d'une tranche de vie. Une transition que j'attendais, j'avais la conscience de ça, d'ailleurs il y a eu des répercussions immédiates, et j'ai pris très vite une décision personnelle. Dans mon quotidien, le Christ est présent. Un autre paradoxe me surprend toujours, quand on est le Catenacciu, on se rend compte de la fascination de la mort, car le Sauveur va mourir et en même temps, il y a une puissance de vie énorme. J'ai été transcendé et il reste toujours la marque affective de ceux qui, ce soir-là, m'ont accompagné."