Aller en Amazonie pour un anthropologue est une sorte de retour aux sources. En effet, c’est sur ce terrain, en vivant parmi des Indiens, que le fondateur de l’anthropologie francophone, Claude Levi Strauss, a bâti l’œuvre qu’il a écrit plus tard. Pour un anthropologue corse, cela a une saveur particulière. Un personnage de fiction de Jérôme Ferrari s’appelleThéodore Moracchini. C’est un anthropologue de l’Université de Corte qui va en Amazonie. Son parcours est avant tout comique. Suite à cette critique humoristique du monde universitaire qui vient de la littérature, partir de Corte pour faire de l’anthropologie en Amazonie est donc aussi l’occasion de mener une réflexion sur ce qu’est cette science sociale aujourd’hui telle qu’elle se pratique en Corse.
« Quand j’ai pris connaissance de la préparation de ce colloque, j’ai été très motivé pour y intervenir. Le thème est important. Le texte que j’ai proposé et qui a été accepté par le comité de sélection s’appelle, « Tourisme, patrimoine et street art en Corse. L’impossible politique publique ? » témoigne Pierre Bertoncini, anthropologue, chercheur associé à L’UMR LISA de l’Université de Corse.
« Au Brésil, dans une démarche comparatiste, j’ai pu observer des éléments semblables à ceux qui apparaissent dans mon dernier livre, « Anthropologie sociale de la Corse » (1). En effet, en quelques jours, je n’ai pas rencontré l’exotique ou pour me référer à une émission télévisée à la mode, il ne s’agissait pas d’un « rendez-vous en terre inconnue » : j’étais dans une ville bâtie par des Portugais. La citadelle construite au XVIIème siècle par un architecte italien ressemblait à celle de Calvi ! Comme à Bastia, à coté se trouve un port de pêche, un marché d’alimentation avec quelques stands pour les touristes, une église baroque avec une grande place publique. Comme à Ajaccio, une procession avec une statue de la vierge est un évènement très suivi. Bref, les conquistadors ont imposé au paysage un ordre colonial semblable à celui que les Génois ont imprimé sur les côtes corses. Belém, qui abrite plus d’un million d’habitants est donc un morceau de Méditerranée posé en Amazonie. Sur ce décor, comme en Corse, c’est sur quoi j’ai communiqué, de nos jours un street art de commande cohabite avec un street art rebelle.
Il y a cependant des différences entre ici et là-bas. Le nom d’un bateau qui propose des excursions touristiques, le « Tribo dos Kayapos » rappelle que cette tribu, dont je n’ai pas vu un seul membre, celle du chef Raoni, célèbre depuis sa tournée mondiale avec le chanteur Sting, est toujours vivante. Autre exemple, chose inimaginable dans notre pays, au Brésil, depuis peu, le ministère de la culture est rétrogradé en secrétariat d’Etat. Avec le Président Bolsonaro, la culture est placée sous la tutelle du ministère du tourisme !
Quelles questions se posent aujourd’hui mes collègues brésiliens, les habitants de Belém ? Comme chez nous, comment faire du tourisme respectueux du patrimoine culturel et naturel dans le contexte du néolibéralisme ? C’est ces réflexions qui seront publiées dans des actes à paraître. Ainsi, en me rendant directement sur le terrain, je n’ai pas vu les « Tristes tropiques » de Claude Levi Strauss. Je n’ai pas rencontré les Indiens Ti Gwai de Théodore Moracchini. Mais, j’ai observé de façon troublante à quel point la Corse et l’Amazonie se trouvent… sur la même planète ! ».
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(1) Bertoncini Pierre, Anthropologie sociale de la Corse. Objets, terrains, méthodes, Paris, L’Harmattan, 2018.