Dans son "Cantu Nustrale" G. de Zerbi livre les informations historiques essentielles sur cet hymne religieux devenu en1735 l'hymne national corse. L'auteure signale notamment une transformation dans la dernière strophe: "nemici vostri" (les ennemis de Marie) devient "nemici nostri" (nos ennemis, ceux du peuple corse), ce qui en fait donc un chant guerrier.
Citons cette première strophe: 1) "Dio vi salvi, Regina / E madre universale / PER CUI FAVOR si sale / Al paradiso". Nous ajouterons ici certains détails, concernant d'autres transformations que celles que nous venons de citer. Dans un ouvrage édité en 1764 ("Istruzioni in forma di Catechismo per la pratica della dottrina cristiana", https://books.google.fr/books?id=qfRS4LLuINEC ), l'auteur Pietro Maria Ferreri nous indique que dans la "chiesa del Gesù di Palermo" tous les écoliers commencent par se lever et font le signe de la Sainte Croix en chantant le "Notre Père". Puis, une fois assis, l'assistance chante "la Salve Regina": les paroles correspondent à peu près exactement à notre hymne corse aux paroles. À une petite différence près, sur laquelle nous reviendrons. Nous citerons aussi un document qui attribue à Don Antonio Martignoni, un prêtre mort en 1947, une autre version (paroles et musique) de la "Salve Regina".
En voici la première strophe: 2) "Dio ti salvi, regina / E madre universale, / PEL CUI FAVOR si sale / Al Paradiso". Un document italien plus récent ("Atti parlamentari" du 6 février 1907; http://storia.camera.it/regno/lavori/leg22/sed293.pdf ) nous informe sur un projet de loi concernant l'enseignement dispensé dans la "Regia accademia navale". Au cours de la discussion un député évoque une prière que les marins adressaient au ciel quand venait le crépuscule, moment "triste et poétique".
Nous reproduisons le texte de la "prière" telle qu'elle est retranscrite dans les actes cités: 3) "Salve Regina, o madre universale / PEL CUI FAVOR si sale in paradiso, / Voi siete gioja e vita di tanti sventurati / Di tutti i disgraziati unica speme". On reconnait une des multiples paraphrases de la "Salve regina". Mais comme dans d'autres versions précédemment citées, on aura noté un "PEL CUI" qui s'oppose au "PER CUI" présenté invariablement par les autres versions "officielles "plus ou moins récentes, publiées par l'Église non seulement en Corse ("messa nustrale", supplément "Église de Corse" n°9, Aiacciu, 1976) mais aussi en Italie. Par exemple un fidèle lecteur toscan de "Tuttorosario" (mai 2010) évoque certains souvenirs: "Nella mia terra in Valdichiana, al tempo dei nostri avi (insomma qualche generazione precedente) veniva cantata questa versione della "Salve Regina", molto rimaneggiata".
Dans cette version aussi on a "…PER CUI FAVOR…"
Alors, "PER CUI" ou "PEL CUI"? En réalité il faudrait lire "PEL", contraction de "PER IL". La disparition de l'article ("il") n'est pas une erreur de transcription dans la version chantée en Corse ("cui" n'existe pas en corse). Elle est sans doute due au fait que le type PEL (contraction de PER IL) n'est plus employé en en italien moderne ("ormai arcaiche le preposizioni sintetiche formate con PER: PEL (per il), PELLA (per la)" etc., cf. Serianni 1989). Or pour faire référence à l'antécédent du relatif ("favor", masculin, dans la phrase en question) l'expression de l'article est requise, faute de quoi la construction serait grammaticalement incorrecte, voire inintelligible et intraduisible. Des internautes ont bien résumé la chose: "pour que la phrase ait un sens il aurait fallu écrire "per IL cui favor si sale" (Clément-Joseph Franceschi); et aussi "in italiano corretto si dovrebbe dire "per il cui favor" cioe' in virtu' del favore o dell'intercessione della quale, ossia della madonna" (Giovannicarlo Filippi; (https://www.facebook.com/groups/CorsicaScrivi/permalink/934831609888605/).
La forme originale (et correcte) est donc bien la suivante: 4) "Regina e madre universale PEL CUI FAVOR si sale al Paradiso" Une des traductions possibles en français: "Reine et mère universelle PAR LA GRÂCE DE QUI on accède au paradis.
Aujourd'hui on dirait en italien "PER IL CUI FAVOR" ou bien "PER IL favor DELLA QUALE". Si la forme originale avec la "preposizione articolata" suivie du relatif (PEL CUI) a disparu pratiquement de tous les textes au profit de PER CUI (qui ne veut rien dire dans le contexte), elle est cependant présente ("PEL CUI favor si sale") dans certains ouvrages comme celui de J.B. Marcaggi "Lamenti, voceri, chansons populaires de la Corse" (1926, Ajaccio, Rombaldi). Il y a près d'un siècle le même auteur écrivait: "Le DIO VI SALVI REGINA, est chanté dans toutes les paroisses de l'île, depuis plus de trois siècles, dans les grandes solennités civiles et religieuses". C'est encore vrai aujourd'hui.
Récemment "le Dio" a été chanté par des insulaires à Rome en la Basilique de San Crisogono où a été célébrée une grand-messe en langue corse (http://www.corsenetinfos.fr/San-Grisogono-de-Rome-Une-grand-messe-en-langue-corse_a16408.html).
On ne s'étonnera pas des multiples variations de forme qui caractérisent (en Corse comme ailleurs) la transmission orale ou écrite de textes divers, souvent peu respectueuse de la grammaire (qui elle aussi évolue!).
Le "Dio", comme on l'appelle aujourd'hui, est un bon exemple des transformations perpétuelles de la "poésie populaire" vivante qui traverse le temps sous de multiples formes.
Jean Chiorboli, Università di Corsica 3 aout 2015
Citons cette première strophe: 1) "Dio vi salvi, Regina / E madre universale / PER CUI FAVOR si sale / Al paradiso". Nous ajouterons ici certains détails, concernant d'autres transformations que celles que nous venons de citer. Dans un ouvrage édité en 1764 ("Istruzioni in forma di Catechismo per la pratica della dottrina cristiana", https://books.google.fr/books?id=qfRS4LLuINEC ), l'auteur Pietro Maria Ferreri nous indique que dans la "chiesa del Gesù di Palermo" tous les écoliers commencent par se lever et font le signe de la Sainte Croix en chantant le "Notre Père". Puis, une fois assis, l'assistance chante "la Salve Regina": les paroles correspondent à peu près exactement à notre hymne corse aux paroles. À une petite différence près, sur laquelle nous reviendrons. Nous citerons aussi un document qui attribue à Don Antonio Martignoni, un prêtre mort en 1947, une autre version (paroles et musique) de la "Salve Regina".
En voici la première strophe: 2) "Dio ti salvi, regina / E madre universale, / PEL CUI FAVOR si sale / Al Paradiso". Un document italien plus récent ("Atti parlamentari" du 6 février 1907; http://storia.camera.it/regno/lavori/leg22/sed293.pdf ) nous informe sur un projet de loi concernant l'enseignement dispensé dans la "Regia accademia navale". Au cours de la discussion un député évoque une prière que les marins adressaient au ciel quand venait le crépuscule, moment "triste et poétique".
Nous reproduisons le texte de la "prière" telle qu'elle est retranscrite dans les actes cités: 3) "Salve Regina, o madre universale / PEL CUI FAVOR si sale in paradiso, / Voi siete gioja e vita di tanti sventurati / Di tutti i disgraziati unica speme". On reconnait une des multiples paraphrases de la "Salve regina". Mais comme dans d'autres versions précédemment citées, on aura noté un "PEL CUI" qui s'oppose au "PER CUI" présenté invariablement par les autres versions "officielles "plus ou moins récentes, publiées par l'Église non seulement en Corse ("messa nustrale", supplément "Église de Corse" n°9, Aiacciu, 1976) mais aussi en Italie. Par exemple un fidèle lecteur toscan de "Tuttorosario" (mai 2010) évoque certains souvenirs: "Nella mia terra in Valdichiana, al tempo dei nostri avi (insomma qualche generazione precedente) veniva cantata questa versione della "Salve Regina", molto rimaneggiata".
Dans cette version aussi on a "…PER CUI FAVOR…"
Alors, "PER CUI" ou "PEL CUI"? En réalité il faudrait lire "PEL", contraction de "PER IL". La disparition de l'article ("il") n'est pas une erreur de transcription dans la version chantée en Corse ("cui" n'existe pas en corse). Elle est sans doute due au fait que le type PEL (contraction de PER IL) n'est plus employé en en italien moderne ("ormai arcaiche le preposizioni sintetiche formate con PER: PEL (per il), PELLA (per la)" etc., cf. Serianni 1989). Or pour faire référence à l'antécédent du relatif ("favor", masculin, dans la phrase en question) l'expression de l'article est requise, faute de quoi la construction serait grammaticalement incorrecte, voire inintelligible et intraduisible. Des internautes ont bien résumé la chose: "pour que la phrase ait un sens il aurait fallu écrire "per IL cui favor si sale" (Clément-Joseph Franceschi); et aussi "in italiano corretto si dovrebbe dire "per il cui favor" cioe' in virtu' del favore o dell'intercessione della quale, ossia della madonna" (Giovannicarlo Filippi; (https://www.facebook.com/groups/CorsicaScrivi/permalink/934831609888605/).
La forme originale (et correcte) est donc bien la suivante: 4) "Regina e madre universale PEL CUI FAVOR si sale al Paradiso" Une des traductions possibles en français: "Reine et mère universelle PAR LA GRÂCE DE QUI on accède au paradis.
Aujourd'hui on dirait en italien "PER IL CUI FAVOR" ou bien "PER IL favor DELLA QUALE". Si la forme originale avec la "preposizione articolata" suivie du relatif (PEL CUI) a disparu pratiquement de tous les textes au profit de PER CUI (qui ne veut rien dire dans le contexte), elle est cependant présente ("PEL CUI favor si sale") dans certains ouvrages comme celui de J.B. Marcaggi "Lamenti, voceri, chansons populaires de la Corse" (1926, Ajaccio, Rombaldi). Il y a près d'un siècle le même auteur écrivait: "Le DIO VI SALVI REGINA, est chanté dans toutes les paroisses de l'île, depuis plus de trois siècles, dans les grandes solennités civiles et religieuses". C'est encore vrai aujourd'hui.
Récemment "le Dio" a été chanté par des insulaires à Rome en la Basilique de San Crisogono où a été célébrée une grand-messe en langue corse (http://www.corsenetinfos.fr/San-Grisogono-de-Rome-Une-grand-messe-en-langue-corse_a16408.html).
On ne s'étonnera pas des multiples variations de forme qui caractérisent (en Corse comme ailleurs) la transmission orale ou écrite de textes divers, souvent peu respectueuse de la grammaire (qui elle aussi évolue!).
Le "Dio", comme on l'appelle aujourd'hui, est un bon exemple des transformations perpétuelles de la "poésie populaire" vivante qui traverse le temps sous de multiples formes.
Jean Chiorboli, Università di Corsica 3 aout 2015