En janvier 2024, l’Association des producteurs d’huiles essentielles de Corse – APROHEC – déposait un dossier auprès de l’INAO – Institut National de l’Origine et de la Qualité –, pour l’obtention d’une IGP pour l’huile essentielle d’immortelle : un signe de qualité qui doit notamment permettre de protéger des contrefaçons ce produit à haute valeur ajoutée. Ces 26 et 27 juin, dans le cadre de la longue procédure qui conduit à ce label envié, l’association recevait une commission d’enquête mandatée par l’INAO.
Deux enquêteurs sur le terrain
« C’est un dossier très intéressant », confirme Valérie Keller, Responsable de l’INAO pour le Sud-Est, qui participait à cette rencontre aux côtés d’Amélia Marinenghi et Senia Bronzini, de l’antenne de Bastia. Un intérêt qui a conduit à la nomination de cette commission d’enquête de deux personnes : Jean-Marc Poigt, producteur de kiwis dans l’Adour, qui représente le monde de la production agricole et préside la commission à ce titre ; et Jean-Yves Guyon, ancien enseignant en lycée agricole et familier des démarches “qualité”, qui représente, lui, le monde des consommateurs.
Les deux enquêteurs avaient préalablement étudié le dossier. Plusieurs réunions en visioconférence avaient eu lieu avec l’INAO – qui accompagne la démarche – et l’APROHEC.
L’objectif du déplacement était triple : rencontrer les opérateurs – producteurs, apporteurs et/ou distillateurs ; apprécier les pratiques sur le terrain ; échanger de façon constructive avec les acteurs sur le cahier des charges final de l’IGP, sur le système de contrôle à élaborer et sur le groupement qui devra suivre collectivement le signe de qualité une fois qu’il sera enregistré au niveau européen.
La commission a ainsi visité cinq exploitations – certaines avec leur distillerie, beaucoup sur la Plaine orientale, mais également en Centre Corse dans la Pieve di Caccia, et dans le Niolu. « On a vu des choses absolument parfaites, des gens motivés, compétents », estime Jean-Yves Guyon, soulignant l’intérêt de l’insularité qui délimite clairement l’aire géographique, le produit d’exception qu’est l’immortelle dont le chimiotype semble parfait pour l’usage prévu, et « la caution académique qu’on ne retrouve jamais d’habitude » – avec le rôle joué, en Corse, par l’université, dans l’élaboration du dossier : autant d’éléments qui jouent favorablement.
Un dossier exceptionnel, avec une vraie valeur de conservation du patrimoine
« Nous ne sommes pas du tout des gendarmes, explique avec le sourire le président de la commission d’enquête. Nous sommes des témoins ! En fait, nous allons être les porte-parole du dossier. Nous allons le présenter devant le Comité et être les ambassadeurs du collectif. Le cahier des charges, on le connaît. Il y a des choses à revoir, mais ce sont des détails. En revanche, nous avons besoin de l’histoire dans toute son intégralité : le pourquoi, les raisons, l’intérêt, le but... Quelles sont les motivations ? Depuis deux jours, on s’en imprègne, et c’est ce qu’on va mettre en avant dans ce dossier qui est exceptionnel. Il y a une vraie valeur de conservation du patrimoine ! » « Des histoires d’hommes », comme il le résume, parce que « nous sommes des producteurs ». Jean-Marc Poigt pointe la défense du milieu naturel, avec une plante qui pousse dans toute la Corse et témoigne ainsi de la bonne santé des terres et de l’environnement, même si l’évolution climatique aura un impact. « On pense que, sur cette filière, il y a un très bel enjeu. » Un enjeu qu’il faut défendre contre les opportunistes de tout poil qui fraudent ou copient : et c’est bien là le rôle de l’IGP ! « C’est important de défendre ce patrimoine et ce savoir-faire ! Car aujourd’hui, il y a un vrai savoir-faire sur l’île, de vraies histoires de familles, et c’est ça qu’on va mettre en avant ! »
Le président de la commission s’est déclaré très satisfait des deux jours passés en Corse et de ce qu’il a pu découvrir dans ce pays qu’il connaît bien, puisqu’il vient régulièrement dans l’île, depuis vingt ans, sur des dossiers agrumes. Il a salué la « vraie prise de conscience de ces groupements de faire des choses en commun, de partager leur savoir et de transmettre aux jeunes – car c’est ça, notre métier, transmettre aux jeunes ».
Se structurer pour protéger le futur signe de qualité
L’important, maintenant, est que le futur Organisme de Défense et de Gestion qui verra le jour et sera propriétaire du “signe de qualité”, se prépare au gros travail qui va l’attendre une fois obtenue l’IGP : celui de le protéger. « Il va falloir qu’il monte au créneau, partout où il y aura un doute sur l’origine. C’est un très, très, très gros travail, permanent. » Il faudra donc que l’association se structure pour y faire face : c’est également l’objectif de la commission d’enquête de les y préparer : un travail qui ne pourra pas reposer sur le seul président. C’est un point important que souligne également Jean-Yves Guyon, par ailleurs membre de la commission nationale d’agriculture biologique et de la commission nationale des signes de qualité en tant que représentant des consommateurs : il attire l’attention sur le basculement qui présidera à l’obtention de l’IGP : « On entre dans un nouveau monde où c’est vous le patron de l’immortelle de Corse ! », avec le pouvoir qui va avec, mais aussi ses exigences, notamment de protection. Un monde qui nécessite d’être un rassembleur pour avoir la puissance et la cohésion nécessaires, puisque c’est une démarche éminemment collective.
Les prochaines étapes
Le travail s’est poursuivi vendredi après-midi, par une réunion de travail avec les exploitants qui a permis d’élaborer les dernières modifications à apporter au cahier des charges : elles seront proposées pour validation à la prochaine Assemblée générale prévue pour la première quinzaine de septembre. Le document définitif pourra alors être adressé à l’INAO afin que la commission d’enquête élabore son rapport destiné à la commission permanente. Le processus ne sera pas encore à son terme : il faudra passer par une “consultation nationale d’opposition” et répondre à toutes les remarques qui auront été formulées dans ce cadre. Restera enfin à bâtir le plan de contrôle. C’est seulement alors que l’INAO prendra sa décision qui, si elle est positive, conduira le ministère à approuver officiellement l’IGP. L’association ne sera pas pour autant au bout de ses peines, puisque s’engagera alors la procédure au niveau européen.
Un bilan très positif
« Nous n’avons aucun doute sur le fait que la commission d’enquête mettra toutes ses compétences et son énergie à défendre notre dossier », assure avec satisfaction Michel Dubost, Président de l’APROHEC. « Ils se sont montrés très favorablement impressionnés par tout ce qu’ils ont vu au cours de ces journées : le territoire, l’immortelle, la production, l’histoire des acteurs, la cohésion de la filière, le travail réalisé... Nous sommes extrêmement confiants ! »
Ces deux jours ont permis un véritable enrichissement réciproque entre la commission d’enquête, l’INAO et les membres de l’association qui repartent avec des éléments de réflexion à la fois pour parfaire leur organisation et pour projeter l’avenir de la filière.