Qu’est-ce qui vous a marqué depuis votre arrivée à Rome ?
Ce qui me frappe ici, c’est la force de l’affection du peuple romain. Toutes ces personnes qui viennent se recueillir, prier, manifester leur attachement au pape François… c’est impressionnant. On sent qu’il était profondément aimé.
Ce mercredi matin, vous avez accompagné la dépouille du pape François jusqu’à la basilique Saint-Pierre. Que retenez-vous de ce moment de recueillement ?
C’était un moment profondément émouvant. Nous avons accompagné un membre de notre famille spirituelle, quelqu’un que nous aimions et que nous voulions honorer. Le fait que tant de cardinaux et d’évêques aient été présents au milieu du peuple donne une dimension encore plus forte à cet hommage. Ce n’était pas seulement l’Église hiérarchique qui saluait le pape, mais tout un peuple uni dans la prière et la reconnaissance. Ce qui m’a particulièrement touché, c’est ce passage du pape, porté par d’autres, à travers la place Saint-Pierre. Ce même peuple, qui le jour de Pâques était là pour l’acclamer vivant, était là pour lui rendre hommage. Et quelque part, le pape qui était passé saluer son peuple, mercredi, il est passé aussi au milieu de son peuple, mais cette fois-ci porté par les autres et défunt, mais toujours avec cette logique de passer au milieu de son peuple. C’était émouvant et magique.
Comment vivez-vous ces journées, alors que l’Église se prépare à dire adieu au pape François ?
Avant toute chose, c’est un moment de deuil, de prière et de recueillement. On parle souvent du conclave, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’abord des funérailles du Saint-Père. Un homme est mort. Et pour nous, c’est un père, un frère, un guide que nous perdons. Il y a de la peine, bien sûr, mais aussi une profonde reconnaissance pour tout ce qu’il nous a laissé. Un patrimoine humain et spirituel immense. Ce double sentiment, de tristesse et de gratitude, est très fort.
Quels traits personnels du pape François souhaitez-vous que les fidèles retiennent ?
Ce qui me frappait le plus chez lui, c’était sa liberté. Il était profondément libre. Libre dans sa parole, dans ses choix, dans sa manière de gouverner. Un homme courageux, fort, qui a toujours voulu le bien de l’Église et qui a agi dans ce sens, sans jamais se laisser enfermer. Quand je pense à lui, c’est ce mot qui me revient immédiatement à l’esprit : la liberté.
Le pape François vous a nommé cardinal en 2023 et a même préfacé votre livre Le cœur ne se divise pas. Entreteniez-vous une relation privilégiée avec lui ?
Je ne sais pas si l’on peut parler de relation privilégiée, mais il y avait assurément un lien affectueux et respectueux. Pour moi, le pape reste le pape : je ne me permettais pas d’aller au-delà d’une certaine distance, par respect pour sa mission et sa position. Mais c’est vrai qu’il m’a manifesté des signes de confiance. Et cela, c’est très encourageant dans l’exercice de mon ministère.
Le pape est décédé au lendemain de Pâques, quelques heures après avoir encore salué la foule place Saint-Pierre. Comment avez-vous vécu ce moment ?
J’ai trouvé très beau qu’il parte ce jour-là. Voir le pape, le jour de Pâques, traverser la place Saint-Pierre pour bénir une dernière fois le peuple, puis mourir le lendemain... c’est très fort. C’est un signe puissant. Il n’avait presque plus de souffle, et je me suis dit qu’il avait littéralement donné jusqu’au dernier. C’est un acte de courage, de responsabilité.
La visite du pape François en Corse en décembre 2024, que vous avez organisée, a profondément marqué les esprits sur l'ile. Quel sens donnait-il à ce déplacement, qui fut son dernier voyage ?
Ce n’est pas anodin. Ce fut son dernier voyage, et ce choix de l’île de Beauté a tout son sens. Il a vécu cette venue comme un pèlerinage. Un pèlerinage vers une terre de foi, de tradition, de fraternité. Et quelques mois plus tard, il a accompli son pèlerinage définitif, ce lundi de Pâques, en rejoignant la maison du Père.
Vous allez participer pour la première fois à un conclave. Comment abordez-vous ce moment historique pour l’Église ?
C’est une découverte, d’abord. Je découvre les mécanismes des congrégations générales, qui précèdent le conclave. C’est très intéressant, car cela permet de mesurer la gravité de la tâche. La responsabilité ne consiste pas simplement à s’entendre entre cardinaux : elle consiste à penser à ces 1,4 milliard de catholiques dans le monde. Ce sont eux, avant tout, que nous avons à l’esprit.
Ressentez-vous le poids de cette responsabilité, au moment de devoir choisir un successeur à François ?
Il ne s’agit pas d’un poids, mais d’une véritable responsabilité. Certains cardinaux se connaissent bien, d’autres non, mais ce sera l’occasion d’échanger, d’écouter, de découvrir la richesse des sensibilités dans l’Église. C’est un moment de fraternité, mais aussi de discernement. Ce qui se joue ici, c’est une vision pour l’Église de demain. Et c’est cela qui est essentiel.
Ce n’est pas un privilège, mais une responsabilité immense. Nous serons 135 électeurs à devoir discerner ensemble, dans la prière et le dialogue. Ce n’est pas un jeu, ni un échange d’intérêts ou de sympathies. Il ne s’agit pas de voter pour un ami, pour un continent ou pour un passeport. Ce que nous portons, c’est l’attente d’un milliard quatre cents millions de catholiques à travers le monde. Notre mission, c’est de désigner un bon pasteur, un homme prêt à se donner entièrement. Un pape ne joue pas un rôle : il se consacre, il se sacrifie pour l’Église. Il faut un homme d’abnégation, habité par le désir sincère de servir.
Ce temps de préparation est aussi celui de la rencontre entre les cardinaux. Que vous apporte cette phase de dialogue et d’écoute ?
Ce temps de préparation est essentiel. Il ne s’agit pas de faire campagne ou de défendre un programme : nous ne sommes pas dans une logique politique. Ce sont des moments d’écoute et de discernement. On y découvre la vision des autres cardinaux, souvent issus de cultures et de contextes très différents. Pour ma part, c’est une première. Je suis là pour écouter, pour apprendre, pour comprendre les sensibilités, les réalités que vivent d’autres Églises. Ce processus de connaissance mutuelle est indispensable pour faire un choix éclairé.
Pour moi, c’est une découverte. Je n’ai jamais participé à un conclave, je suis donc très attentif. Ce moment est essentiel : il ne s’agit pas de faire campagne ou de présenter un programme. C’est une démarche de connaissance mutuelle. Nous venons de cultures, de contextes, de sensibilités très différents. Il faut s’écouter, comprendre les visions des uns et des autres sur l’Église, entendre les propositions, et discerner. C’est un moment de fraternité, mais aussi de lucidité sur les défis qui nous attendent.
Le pape François a promu une Église synodale, plus proche des fidèles et des périphéries. Cette orientation pèsera-t-elle, selon vous, dans le choix de son successeur ? Quels sont les critères qui guident les cardinaux dans cette décision ?
Le choix d’un pape se fait toujours dans un esprit de discernement, avec en tête une seule priorité : le bien de l’Église. Il ne s’agit pas d’élire un homme pour sa popularité ou ses idées, mais pour sa capacité à porter une mission au service de tous. Bien sûr, la synodalité, chère au pape François, fait partie des éléments à prendre en compte. Mais il y en a d'autres : l’unité, la fidélité à l’Évangile, la capacité à répondre aux défis du monde actuel. Ce que nous cherchons, c’est la personne la plus à même d’incarner ces priorités, d’accompagner l’Église là où elle est attendue.
Et justement, selon vous, quelles sont aujourd’hui les grandes priorités de l’Église ?L’unité, d’abord. C’est fondamental, car l’Église est composée de sensibilités diverses, parfois traversée par des tensions. Le risque serait de se diviser ou de se replier. L’unité ne veut pas dire uniformité : nous ne sommes ni une secte, ni des clones. Nous sommes un corps vivant. Ensuite, il y a la mission : aller à la rencontre de ceux qui cherchent un sens, une espérance, une colonne vertébrale spirituelle. Nous vivons dans une société en perte de repères, et l’Église peut être ce lieu où l’on se relève, où l’on retrouve de la solidité intérieure. Le prochain pape devra être prêt à se donner totalement. Il ne s’agit pas d’un rôle de représentation, mais d’un engagement radical, qui exige de mettre tout ce que l’on est au service des autres.