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A Bonifacio, une « Finestra » avec vue sur sur l’étoile Michelin d’un jeune chef italien


le Dimanche 4 Mai 2025 à 17:29

A même pas 30 ans, Edoardo Menna est entré dans la galaxie des étoilés Michelin le 31 mars dernier. Il est depuis juillet 2023 le chef exécutif du restaurant gastronomique bonifacien Finestra, ouvert sous le patronage d’Italo Bassi, orfèvre de la cuisine et italien comme lui.



Fin mars, Edoardo Menna est devenu à 29 ans chef étoilé par le guide Michelin pour son restaurant à Bonifacio, "Finestra".
Fin mars, Edoardo Menna est devenu à 29 ans chef étoilé par le guide Michelin pour son restaurant à Bonifacio, "Finestra".
Depuis un mois, les notifications s’affichent par milliers sur le téléphone d’Edoardo Menna : « Honnnêtement, j’ai dû avoir entre 2 000 et 3 000 messages de félicitations », savoure le jeune chef de Finestra. La reconnaissance du guide rouge ? « C’était un objectif, oui. » Mais pas une consécration. Edoardo Menna n’a que 29 ans et donc encore une longue carrière devant lui. Mais il apprend vite, depuis que son grand-père lui enseignait le goût des légumes dans le jardin familial à Montespertoli. 

C’est là qu’il a grandi, dans la campagne toscane, au milieu des vignes du Chianti. Et une passion est née : « Quand j’avais 10 ans, je cuisinais déjà pour mes parents et je faisais les biscuits de Noël à l’école. » Le jeune Edoardo n’a que 15 ans quand il commence à travailler dans un restaurant-pizzeria de son village. « J’ai jamais trop fait la fête, j’étais là pour cuisiner. » Son patron est soufflé par la sérieux de l’adolescent : « A 16 ans, j’avais les clés du resto. »  A 17 ans, il réalise deux stages dans les cuisines de deux palaces de Florence. L’un des deux, le Castello Del Nero, obtiendra à cette époque sa première étoile au guide Michelin. « J’étais commis, se souvient Edoardo Menna. C’est là que j’ai appris la rigueur, le fait qu’on ne doit pas se donner de marge d’erreur. » Il entre dans une école de cuisine en Toscane et travaille auprès du grand chef Luciano Zazzeri, réputé pour sa gastronomie marine. « C’est lui qui m’a vraiment formé », rend-il aujourd’hui hommage à son premier mentor, décédé en 2019. Il fait ses armes dans son restaurant de fruits de mer, sur la côte toscane, puis prendra du galon dans les terres, s’essayant à une cuisine de gibier dans le deuxième restaurant de Luciano Zazzeri. 







 

Avant Bonifacio, Italo Bassi et Edoardo Menna ont travaillé ensemble au "Confusion", le restaurant sarde du premier. PHOTO FRANCOIS-XAVIER SERAFINO
Avant Bonifacio, Italo Bassi et Edoardo Menna ont travaillé ensemble au "Confusion", le restaurant sarde du premier. PHOTO FRANCOIS-XAVIER SERAFINO
Edoardo Menna a 22 ans quand il décide de répondre à une annonce : « Je voulais connaître d’autres expériences et j’ai vu que le chef Italo Bassi recrutait pour son nouveau restaurant en Sardaigne. » Bassi, c’est une sommité de la gastronomie en Italie, chef de cuisine pendant des années d’un restaurant toscan affichant 3 étoiles au Michelin. Sur la Costa Smeralda, Edoardo Menna contribue en tant que chef de partie à décrocher la première étoile de Confusion, le restaurant d’Italo Bassi. Tout ce qu’il touche se transformerait-il en étoile ? « Je suis un ambitieux », sourit le jeune chef. 

Son ambition le mènera en France, à Paris. En 2018, le chef Alain Ducasse ouvre son bateau-resto, sur la Seine : Ducasse-sur-Seine. « On m’a contacté sur Linkedin. » Un aller-retour express en avion plus tard, il décide d’embarquer sur la péniche. « Ces premiers mois en France ont été très durs pour moi, se remémore-t-il. Je ne comprenais pas le français. Surtout, je ne comprenais pas la cuisine française ! » Soit les sauces : « En Italie, on rectifie les goûts des plats avec du sel, du poivre, de l’huile d’olive ou du piment à la rigueur. En France, on m’a dit de rectifier une sauce… avec du cognac ! » Son apprentissage de la cuisine française se poursuivra au pavillon Ledoyen du chef Yannick Alleno, au sein de l’établissement le plus étoilé au monde (six étoiles réparties entre trois restaurants). « Malheureusement, il y a eu le Covid, je n’y suis resté que quelques mois. » Edoardo Menna rentre en Italie, non sans avoir retenu du chef Alleno sa technique de l’extraction  « pour concentrer les goûts au maximum ».

A Finestra est situé quai Jérôme-Comparetti, sur la marine de Bonifacio.
A Finestra est situé quai Jérôme-Comparetti, sur la marine de Bonifacio.
En 2020, Italo Bassi le reprend à Confusion. « J’étais complètement changé ! Aujourd’hui, je mets la sauce au centre de l’assiette, car c’est elle qui donne de la gourmandise au plat. Alors qu’avant, pour un plat de poisson, j’aurais mis le goût du poisson en avant. » Les nouvelles influences parisiennes de son protégé font sourire Italo Bassi : « Il me taquinait, se souvient Edoardo Menna. Il me disait : "tes plats sont trop français, il faut les changer !" C’est un peu pour ça qu’il m’a proposé de venir ici. »

Ici ? Bonifacio. « C’est pas la France. C’est pas l’Italie. C’est la Corse », résume le chef Menna. Un été, Italo Bassi se lie d’amitié avec un restaurateur corse, Nicolas Panzani. Ce dernier possède le Da Passano, un resto qui a pignon sur la marine bonifacienne, quai Jérôme-Comparetti. Il est également propriétaire de l’étage du bâtiment. Panzani et Bassi s’entendront sur un projet commun, et après travaux, ce n’est pas un… mais trois restaurants qui vont cohabiter dans les mêmes murs : le Da Passano toujours, avec ses spécialités corses ; le D’Amore et Finestra, tous deux estampillés « by Italo Bassi ». A l’origine, l’idée était de faire un seul restaurant italien, sur deux niveaux, mais le potentiel du lieu les a convaincus de voir les choses autrement : « A l’étage, il y avait une vue magnifique sur le port, mais la fenêtre était petite. On l’a agrandie », raconte Edoardo Menna. Ainsi est né le restaurant gastronomique Finestra en juillet 2023, en même temps que D’Amore, table italienne plus abordable, s’établissait au rez-de-chaussée, à côté du Da Passano. Italo Bassi nomme Edoardo Menna chef exécutif des deux nouveaux restaurants. A ses côtés, prend place Maria-Elena Cugusi, talentueuse pâtissière italienne ayant travaillé au Confusion, aussi. Le duo, qui dit travailler de concert (tant sur la partie cuisine que sur la partie dessert), fait également évoluer la carte du Da Passano.

Dans la salle du restaurant étoilé, la petite fenêtre avec vue sur le port a été agrandie, pour offrir cette vue spectaculaire.
Dans la salle du restaurant étoilé, la petite fenêtre avec vue sur le port a été agrandie, pour offrir cette vue spectaculaire.
A l’étage, dans ce qui fut naguère un chantier naval sous la domination génoise, Finestra devient le restaurant amiral du projet Bassi-Panzani : le soir, 25 couverts y sont dressés. Pas plus, pour ne pas nuire à l’expérience feutrée, avec ses banquettes, sa moquette, dans une architecture de bateau inversé (avec hélices dorées au plafond). L’effet « Etoile Michelin » ne s’est pas fait attendre : « Depuis la réouverture le 24 avril, nous sommes complets tous les jours », se réjouit Edoardo Menna. La Corse, il ne la connaissait pas avant d’accepter la proposition d’Italo Bassi : « C’est une île magnifique, mais qui reste un peu à part car d’Italie, on ne peut pas s’y rendre en avion. Ce n’est pas pratique. » Ce qui l’a marqué en arrivant, c’est la richesse de la nature corse : « C’est une des îles avec la biodiversité la plus importante au monde. Napoléon disait reconnaître sa terre à l’odeur, et c’est vrai. » Finestra n’est pas un restaurant corse : son menu propose une synthèse harmonieuse des savoirs-faire d’Italo Bassi et d’Edoardo Menna, même si c’est ce dernier qui a la main sur la cuisine. 

Edoardo Menna, Maria-Elena Cugusi et leur brigade bonifacienne.
Edoardo Menna, Maria-Elena Cugusi et leur brigade bonifacienne.
Finestra n’est pas un restaurant corse, mais beaucoup de ses produits le sont, comme les langoustines pêchées au large de Bonifacio, et grâce auxquelles Edoardo Menna a pu élaborer son plat signature, la catalana de langoustines. On retrouve également au menu la traditionnelle soupe de roche, mêlant des techniques de cuisine apprises en Italie et en France. Le chef Menna a même imaginé un casgiu merzu.. qui n’en est pas un : « Il n’y a pas d’asticots dedans ! rassure-t-il. Mais c’est le même goût et la même texture. On le fait avec une tomme de brebis corse, un pecorino de Sardaigne et un bleu de Toscane. » Et lui l’Italien, ne jurant que par l’huile d’olive, a découvert en France le beurrre ! A son arrivée à Bonifacio, il a donc inventé… le beurre à l’huile d’olive, garanti sans origine animale. De l’huile d’olive, du beurre, du casgiu merzu… Il est comme ça Edoardo Menna, à réinventer continuellement sa cuisine au gré de ses pérégrinations culinaires. La Corse profitera-t-elle encore longtemps de son talent ? « J’adore la Corse, Bonifacio, la mer, mais le rêve de ma vie, c’est de rentrer en Toscane », avoue-t-il, montrant son poignet : « J’ai ici chevillé la campagne. » Où qu’elle s’écrive, son histoire est loin d’être terminée : n’oublions pas qu’Edoardo Menna n’a que 29 ans, et encore deux étoiles à décrocher.

La catalana de langoustines, le plat signature du chef Menna. PHOTO FRANCOIS-XAVIER SERAFINO
La catalana de langoustines, le plat signature du chef Menna. PHOTO FRANCOIS-XAVIER SERAFINO