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Riacquistu du vignoble corse : cinq cépages anciens retrouvés


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Dimanche 7 Mai 2023 à 17:56

En mars 2020, le CRVI, Centru di Ricerca Viticula di Corsica, implanté sur le Corsic’Agropôle de San-Giulianu depuis 2015, a fait inscrire cinq cépages anciens au catalogue : un travail de longue haleine, dans le cadre d’une démarche très cadrée, qui permet aujourd’hui aux vignerons et viticulteurs corses de planter et vinifier ces variétés aux caractéristiques très intéressantes. L’arrêté du 23 décembre 2021, venant boucler le processus officiel, a en effet autorisé leur vinification.



Nathalie Uscidda, directrice générale du CRVI.
Nathalie Uscidda, directrice générale du CRVI.

Retrouver ces anciens cépages, aujourd’hui oubliés, au milieu du maquis. Les caractériser, les assainir pour les débarrasser des virus dont ils sont porteurs, faire finalement en sorte que les vignerons corses puissent leur redonner vie sur leurs parcelles... : c’est plus de vingt ans d’un patient travail qui s’inscrit dans ce qui, historiquement, représenté la première mission du CRVI. 

 

Le fruit de l’histoire…

Créé en 1982, le CRVI qui vient de fêter ses 40 ans, est le fruit d’une longue histoireCelle de la vigne, implantée en Corse par les Grecs, et développée au fil des siècles : au Moyen-Âge, les vins de Corse sont déjà réputés. Les vignobles s’étendent jusqu’à couvrir de l’ordre de 30 000 hectares… avant que le phylloxéra, au XIXe siècle, ne vienne en détruire les trois-quarts. Les plants locaux sont finalement greffés sur des porte-greffes américains qui permettent ainsi de sauver les cépages : « C’est le trésor de guerre du vignoble corse », résume Nathalie Uscidda, directrice générale du CRVI. Un vignoble qui s’étend sur toute l’île et se conjugue, traditionnellement,avec la civilisation agro-pastorale. 

« Le génocide des deux guerres mondiales », marque un coup d’arrêt. Puis, en 1962, viendront les 17 000 rapatriés d’Algérie. Avec eux, le vignoble s’étend à nouveau – jusqu’à 32 000 hectares, concentrés en plaine orientale. « Mais ils ont fait ce qu’ils savaient faire : des vins de coupage, peu qualitatifs, avec des cépages qu’ils avaient importés avec eux. On buvait encore beaucoup à l’époque, et cela permettait de faire baisser le degré d’alcool d’autres vins. »

 

Le sursaut des producteurs corses

L’évènement qui va finalement déclencher la création du CRVI, est l’occupation de la cave d’Aleria, en 1975comme un « point de cristallisation du vignoble corse. Edmond Simeoni dénonce la politique de l’État français avec comme point de mire le cas d’Aléria, où il veut mettre en évidence des pratiques douteuses »Tout cela sur fond d’effondrement du marché des vins de coupage. C’est la crise. Elle conduit à des arrachages massifs : le vignoble corse ne couvre plus que 8000 hectares. 

Pourtant, au début des années quatre-vingt, les producteurs corses décident d’œuvrer pour le renouveau de leur filière. L’État diligente une mission de diagnostic. Deux options sont identifiées : opter pour des cépages continentaux qui ont fait leurs preuves ailleurs. Ou revenir à des cépages locaux disséminés dans la nature. « Une vision de court terme contre une vision de long terme », analyse Nathalie Uscidda. Pour faire le choix de la seconde, « il fallait de l’audace ! Mais les vignerons sont des gens audacieux ! ». La décision est prise et, pour la mettre en œuvre, les producteurs créent un centre qui va pouvoir les accompagner techniquement : le CRVI est né.

 

Un choix politique

Certains vignerons resteront longtemps réticents. Car le défi à relever est de taille : s’imposer avec des goûts nouveaux – puisque les cépages corses sont généralement inconnus – dans un contexte où la réputation de la Corse, en matière de vin, est calamiteuse. D’autres adhèreront d’emblée au projet, comme Christian Imbert, fondateur de Uva corse, François Mercury, Antoine Abbatucci, Jacques Bianchetti, Yves Leccia, ou encore Antoine Arena, qui présidera le CRVI pendant 25 ans. C’est ce vigneron de Patrimoniu qui se lancera le premier dans la plantation du Biancu gentile : un cépage rare, autochtone, dont la première vinification a été réalisée par le CRVI en 1987. Sa démarche fera décoller la carrière de tous les cépages corses dits “secondaires”. « Tous ces vignerons, et d’autres encore, ont compris immédiatement la valeur des cépages identitaires, leur pertinence. Ce choix a été une réussite technique. C’est la singularité du produit corse… Mais c’était aussi un choix politique », précise Nathalie Uscidda.

 

« Les gardiens du temple »

Aujourd’hui les cépages identitaires constituent le socle de la stratégie de développement et de promotion de la filière. C’est un choix “pionnier” qui a permis à la Revue du Vin de Franced’écrire que notre île « possède sans doute le vignoble le plus excitant et dynamique de France » et qu’avec la Sicile, elle « compte la plus importante diversité locale de variétés aptes à élaborer de beaux vins ». « Le terrain de jeu du consommateur de vin en Corse est incroyablement divers. Les 32 cépages identitaires que nous avons retrouvés, dont 10 autochtones, sont le socle de tout ce qui permet à la Corse de se singulariser », confirme la Directrice générale du CRVI. Le centre s’emploie aujourd’hui à promouvoir les cinq dernières variétés inscrites au catalogue qui, depuis 2021, sont déjà co-plantées dans plusieurs domaines de l’île, et poursuit l’expérimentation en évaluant leur capacité à s’adapter au changement climatique.

Ainsi, le CRVI – qui, dans les faits, se trouve être le seul distributeur de ces cépages anciens – se positionne en « gardien du temple, conservateur et valorisateur du patrimoine viticole corse » et œuvre pour une production identitaire qui s’appuie, tant pour les cépages principaux que pour les secondaires, sur les variétés corses. Des variétés dont certaines n’ont encore été retrouvées nulle part ailleurs En 2017, le centre a édité un petit livre destiné principalement aux professionnels de la vigne et du vin : Le Riacquistu des cépages de Corse. Ce document qui réalise la synthèse des connaissances disponibles sur le sujet devrait être actualisé courant 2024, pour compléter les données recueillies au fil des ans sur ces différents cépages.

 

Contribuer à redonner confiance à l’ensemble des filières agricoles

La qualité et la notoriété des vins de Corse n’ont pas cessé de croître depuis les premières années de cette renaissance. Aujourd’hui, la filière viticole est la première filière agricole corse en termes de surface, de signes de qualité – avec ses 9 AOP et son IGP – et de chiffre d’affaires. « Elle a donné l’impulsion, elle a été motrice, conclut Nathalie Uscidda. Son action fondatrice a donné confiance aux autres filières, parce qu’elle a montré que c’était possible, qu’on pouvait s’appuyer sur des productions identitaires pour élaborer des produits à valeur ajoutée, voire à haute valeur ajoutée. Elle a permis de créer une “pépinière” de filières qui ont par la suite développé leurs propres signes de qualité. Même si elle est parfois critiquée, elle a montré le chemin et continue de le montrer. »


Infos ++

Le vignoble et le vin corse en quelques chiffres (2021) :

5638 hectares répartis pratiquement moitié-moitié entre AOP et IGP

336 500 hectolitres de vin, dont 68 % de vin rosé

45 à 50 millions de bouteilles par an

Environ 1500 emplois directs

1 % de la production nationale

65 % des AOP corses sont consommées sur place

 

Les cépages identitaires de Corse inscrits au catalogue :

Cépages principaux en AOP et IGP : Niellucciu, Vermentinu, Sciaccarellu

Cépages secondaires en AOP et IGP : Cudivarta, Genovese, Biancu gentile, Aleaticu, Minustellu, Carcaghjolu neru, Barbarossa.

Cépages IGP : Carcaghjolu biancu, Paga Debiti, Riminese, Muresconu

 

Auxquels il faut ajouter les cinq anciens cépages mis au catalogue : Brustianu, Cualtacciu, Rossula Bianca, Uva Biancona, Vintaghju.