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Programme exceptionnel d'investissement : La Cour des comptes salue une « avancée de taille » pour la Corse


Nicole Mari le Jeudi 8 Juin 2023 à 14:36

La Cour des comptes a passé au crible le Programme exceptionnel d'investissements (PEI) en faveur de la Corse et son utilisation depuis 20 ans pour rattraper le retard infrastructurel de l’île. Si elle salue une « avancée de taille » et une « réussite » en matière de co-construction entre l'État et la Collectivité de Corse, elle pointe aussi des lacunes, notamment sur la gestion des déchets. Un satisfecit très nuancé par Matignon qui n’apprécie pas les critiques de la Cour sur la gestion du PTIC par l’ex-Préfet Lelarge. De quoi conforter l’Exécutif corse qui dénonce une méthode vouée à l’échec.



Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes.
Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes.
C’est un bilan plutôt positif que dresse la Cour des comptes des 20 ans d’existence et d’utilisation du Programme exceptionnel d'investissements (PEI) en faveur de la Corse qui a été lancé en 2002 dans le cadre du processus de Matignon et clôturé en 2020. Dans une publication livrée le 8 juin et présentée par son président Pierre Moscovici, elle tire les enseignements de ce « programme-charnière » censé sortir l’île « des impasses » dans laquelle elle s’engluait, des « handicaps » notamment liés à l’insularité et au relief qui entravaient son développement, et rattraper son lourd retard infrastructurel. Près de 2 milliards d’euros ont, donc, été investis en 20 ans, dont 70 % financés par l’Etat, sur trois priorités : le renforcement des infrastructures de base, l’amélioration des services collectifs et la mise en valeur de l’espace régional. « Ce plan exceptionnel par son ampleur fut une réponse apportée par l'État à un retard de développement de la Corse » et a constitué une « avancée de taille » dont « il ne faut pas perdre les acquis », commente Pierre Moscovici. Un satisfecit tempéré cependant par quelques bémols : « Un certain nombre de projets n’ont pas apporté tous les fruits qu’ils auraient dus. En regardant projet par projet, on constate que le plan n’a pas été une panacée ». Le rapport va s’efforcer sur une centaine de pages de faire, sur chaque point, la balance entre bénéfices et lacunes et de proposer six recommandations.

Une gouvernance complexe
Premier point : l’efficacité de la gouvernance partagée Etat-Collectivité de Corse. « Malgré certaines faiblesses, elle s’est révélée souple et durable » et « a été une des clés de réussite, en dépit des changements politiques intervenus au cours de ces deux décennies sur le plan national et insulaire ». Malgré ces atouts, la Cour des comptes estime que la mise en œuvre du PEI aurait pu être plus performante. « Les délais pour concevoir, décider et réaliser les opérations ont été souvent trop longs. Les opérations ont été réalisées dans un contexte de faible concurrence. Les priorités ont souvent été dictées plus par la maturité des projets que par leur importance stratégique, alors que d’autres investissements, sélectionnés dès l’origine, ont mis plus de dix ans à être réalisés ou dépriorisés ». Dans son viseur également, le pilotage qui s’est concentré plus sur la programmation que sur la performance. « Les évaluations prévues n'ont pas été réalisées et les bilans d'exécution attendus n'ont pas été présentés au Parlement. Certains des investissements les plus ambitieux n'ont pu être entrepris du fait des complexités inhérentes à la vie politique corse et des difficultés qui entouraient la conception de projets structurants en l'absence de choix politiques clairs ».

Le chemin de fer de la Corse. Photo CNI.
Le chemin de fer de la Corse. Photo CNI.
Une île mieux équipée
Deuxième point : l’efficacité des opérations engagées. La Cour des comptes est formelle : « Le PEI a contribué à mieux équiper la Corse et à mettre à niveau ses infrastructures ». Sur les 683 opérations réalisées, 70% concernent le rattrapage des infrastructures prioritaires des transports, de l'eau et de l'assainissement. Dans cette enveloppe, le secteur des transports a cumulé 835 millions d’euros dont 375,4 millions d’euros pour les routes, 137,8 millions d’euros pour le réseau ferré, 75,6 millions d’euros pour les équipements portuaires et 24,9 millions d’euros pour ceux aéroportuaires. Le secteur eau et assainissement a absorbé 467 millions d’euros, et le secteur sport-culture-patrimoine a bénéficié de 150 millions d’euros. « La qualité du réseau routier principal s’est significativement améliorée, même si cela ne suffit pas à désenclaver le territoire. Les Chemins de fer ont de nouveau trouvé leur public. L’alimentation en eau potable est bien meilleure – même si d’importants besoins persistent dans des communes rurales – et des efforts ont été réalisés pour mettre aux normes les stations d’épuration ou la gestion des déchets, sans toutefois trouver de solution pérenne », note la Cour des comptes. En précisant que dans un certain nombre de domaines, la Corse ne dispose toujours pas des infrastructures adéquates, « notamment parce que certains enjeux comme ceux liés à l’environnement, n’occupaient pas la même place dans les priorités des politiques publiques ou parce que les acteurs locaux ne sont pas parvenus à s’accorder sur les décisions à prendre ». Dans sa ligne de mire : le tri et l’élimination des déchets, la rationalisation des installations portuaires, la desserte intérieure par les transports en commun, l’alimentation en électricité et la formation professionnelle.
 
Un impact économique
Troisième point : les impacts du PEI sur le développement de l’île « identifiables, mais difficilement mesurables », sont perçus comme « indéniablement positifs ». Pour la Cour des comptes, « le PEI a accompagné la croissance économique et démographique sans résoudre tous les problèmes structurels ». En 20 ans, la population corse a cru de près d’un tiers, pour atteindre 340 000 habitants en 2019, et le PIB (Produit intérieur brut) a augmenté de plus de 56%. Le PEI y aurait contribué. « L’investissement public généré par les 740 millions d'euros de subventions de l’État et de ses opérateurs mandatés a représenté environ 1 % du PIB de la Corse. Il a soutenu le secteur du BTP et injecté dans l’économie insulaire un revenu supplémentaire appréciable. Ces investissements ont également conforté la qualité globale de l’offre touristique ». Grand gagnant du PEI à travers la commande publique, le BTP « a créé 3 200 emplois de 2003 à 2015, soit un quart des nouveaux emplois marchands créés en Corse sur la période. Cette croissance a été principalement portée jusqu’en 2010 par la demande de logements. Elle a également été significativement soutenue par les travaux publics et les bâtiments publics, représentant entre 2008 et 2015, des dépenses annuelles comprises entre 350 et 400 millions d’euros ». Le PEI a également permis aux grandes collectivités locales et aux entreprises de « se moderniser et développer leurs capacités de conduite de projets ». Sans pour autant, souligne le rapport, « générer le « choc » d’aménagement et de transformation attendu par certains et redouté par d’autres. La mise en valeur des atouts de l’île, tout comme la résorption de ses fragilités, demeurent un sujet pendant du débat public ».

Photo CNI.
Photo CNI.
Des déchets oubliés
Parmi les problèmes structurels non résolus : la gestion des déchets. La Cour des comptes estime que si le PEI a mis fin à « une situation anarchique » en finançant notamment la création des deux centres d’enfouissement de Vico et de Viggianellu, la réhabilitation des décharges anciennes et des trois déchèteries, « il n’a pas permis d’apporter une réponse pérenne au problème du traitement des déchets en Corse ». En cause, selon elle, l’abandon du projet de valorisation énergétique « sans qu’une alternative ne soit mise en œuvre. Les deux centres d’enfouissement en service, dont la capacité annuelle maximale autorisée doit être augmentée chaque année pour accueillir la totalité des déchets, seront saturés dans quelques années, alors qu’aucun nouvel équipement de ce type n’a pu être financé par le PEI avant le terme de sa programmation en 2020 ». Elle remarque également qu’avec un taux de 39 %, la part de déchets valorisés en Corse reste très loin des objectifs de 55 % en 2025 et de 65 % en 2035 fixés au niveau national par la Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. « Faute de projets aboutis, le PEI n’a pu contribuer à la création d’unités de sur tri des déchets permettant de réduire le volume orienté vers l’enfouissement. La Corse ne dispose pas en 2022 de solution de valorisation énergétique des déchets ménagers et assimilés alors que ce procédé doit concerner, dès 2025, au moins 70 % des déchets ne pouvant faire l’objet d’une valorisation matière ». Le rapport impute cette situation à une absence d'accord entre les acteurs locaux et de priorité dans les politiques publiques.
 
Un PTIC en suspens
Le programme s'est concentré sur « ce qui était urgent, plutôt que ce qui était indispensable à long terme », a résumé Pierre Moscovici. Il appelle à prendre en compte les six recommandations du rapport pour les investissements futurs en matière de gouvernance, de transparence, de pilotage des projets, de la mesure de leur efficience et de leur impact socio-économique. 300 millions d’euros n’ont toujours pas été sollicités. Le PEI a été remplacé en 2021 par le PTIC (Plan de transformation et d’investissement pour la Corse) d’un montant de 550 millions d’euros sur une durée de 7 ans. « Trois ans après son lancement, ce plan ne repose toujours pas sur un document de cadrage commun bien que près de la moitié de son enveloppe ait déjà fait l’objet de déclarations d’intention ou de contrats de projet. La difficulté pour les acteurs de s’accorder sur sa mise en œuvre trouve notamment son origine dans la rupture avec l’esprit de compromis installé par le PEI », déplore la Cour des comptes. Une manière bien diplomatique de souligner le bras de fer qui a opposé l’ancien Préfet Lelarge au président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, et la manière dont le premier a utilisé le PTIC pour tenter de savonner la planche politique du second.

L'ex-Préfet Lelarge et Gilles Simeoni. Photo CNI.
L'ex-Préfet Lelarge et Gilles Simeoni. Photo CNI.
Les critiques de Matignon
C’est dans cette querelle qu’il faut certainement trouver l’origine des critiques de la Première ministre Elisabeth Borne dans sa réponse publiée en annexe du rapport où elle cite le courrier de l’ex-Préfet qui liste les projets et les secteurs laissés de côté. « Dans dix domaines où les investissements publics présentent un caractère structurant et où les retards étaient réels, les résultats ont été jusqu’alors en deçà des ambitions. Dans huit autres domaines, où les investissements auraient pu être aidés autrement que par le PEI, l’intervention de celui-ci peine d’autant plus à se justifier que le saupoudrage des financements sur de nombreuses opérations a été fréquent. A contrario, les rattrapages structurels opérés en matière d’eau potable, de formation professionnelle ou d’abattoirs montrent qu’une conduite globale du programme plus rigoureuse aurait pu produire de meilleurs résultats ». La Première ministre tance même la Cour des comptes : « Etonnamment, ces multiples éléments, dont la liste est loin d’avoir exhaustive, n’ont pas amené votre juridiction à infléchir, ni même nuancer, le regard globalement fort positif porté sur la mise en œuvre du PEI ». Le bilan est, pour elle, « très mitigé » au niveau de la cogouvernance : « Le Gouvernement demeure très réservé quant à l'efficience de la gouvernance partagée entre l'État et la Collectivité de Corse qui s'est pratiquée tout au long du PEI ». Elle accuse même la Cour des comptes de donner raison au président de l’Exécutif corse en reprenant à son compte « nombre des critiques formulées par la Collectivité de Corse (CdC) à l’encontre de la gouvernance du PTIC, notamment dans le cadre de la délibération adoptée par l’Assemblée de Corse du 28 janvier 2021, en faisant largement abstraction du point de vue de l’État ». C’est quand même assez savoureux !
 
Le vœu du président Simeoni
Il est vrai que la Cour des Comptes n'hésite pas à blâmer ladite gestion du PTIC par le préfet Lelarge : « Les investissements engagés dès les premiers mois de la mise en œuvre du PTIC, sur la base d'une négociation avec le seul bloc communal et sans associer la CdC, ne correspondent pas à une stratégie de développement partagé. Conformément aux textes, la CdC est en effet chargée en principe d'élaborer et de conduire une stratégie pour le territoire et porte à ce titre la responsabilité de son action, même si celle-ci est tributaire du fonctionnement de l'État ». De quoi conforter le président de l’Exécutif corse qui, dans sa propre réponse, rejoint la Cour des comptes sur les carences et tacle « le déficit de vision stratégique globale », l’absence d’évaluation autant des besoins, des coûts que des performances. « Il est difficile de dire si le PEI a atteint ses objectifs dans la mesure où ceux-ci n'ont jamais été clairement définis, dans le cadre d'une vision stratégique partagée entre l'État et la CdC, à titre principal ». Gilles Simeoni explique que ses demandes pour mettre en place des indicateurs quantitatifs ou qualitatifs sont restées sans réponse. « Ceci est d'autant plus regrettable que la mesure de la performance des programmes opérationnels est un élément essentiel de leur efficacité ». Autant dire que le président de l’Exécutif « souscrit entièrement » aux préconisations proposées. Avant de formuler un vœu : « La méthode unilatéralement arrêtée par l'État, concernant la mise en œuvre du PTIC jusqu'à aujourd'hui, conduit inéluctablement à l'échec. Je forme le vœu que la fin de la mise en œuvre du PTIC, les prochains programmes à intervenir, et le processus de discussion engagé avec l'État permettent à la Corse et à son peuple de s'engager irréversiblement sur le chemin de la paix, du développement, et de l'émancipation ».
 
N.M.