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Loriani : quand Santa Maria fait monter les enchères


JC le Jeudi 15 Août 2024 à 08:53

Chaque année, le 15 août, le paisible hameau de Loriani, situé au cœur de la Castagniccia, se transforme en un lieu de ferveur religieuse intense autour du culte marial. En ce jour sacré, les habitants se rassemblent sur le parvis de l'église Santa Catalina pour participer à une tradition emblématique : l'enchère qui détermine celui ou celle qui aura l'honneur de porter la précieuse bannière processionnelle de Santa Maria. Jean-Pierre Isacco, ingénieur au Département d'archéologie de l’Université de Corse et résident du hameau voisin de San Quilicu, partage son regard sur cette coutume profondément enracinée dans la vie de Loriani



En Corse, la spiritualité et les croyances populaires sont étroitement liées, et le culte voué à Santa Maria y occupe une place prépondérante. Les sanctuaires marials, nombreux sur l'île, sont non seulement des lieux de prière, mais aussi des symboles d'une dévotion immense à Maria, Regina di Corsica. « Santa Maria est bien plus qu'une simple figure religieuse pour nous, » explique Jean-Pierre Isacco, ingénieur au Département d'archéologie de l'université de Corse et habitant de San Quilicu, un hameau voisin. « Elle représente le lien maternel, un aspect fondamental de notre culture. En Corse, la femme est au centre du social, de la famille, et Santa Maria en est l'incarnation spirituelle. » 

Si l'Assomption évoque la montée au ciel de Marie, à Loriani les enchères montent pour honorer la Sainte Mère de Dieu. Ce hameau est un bel exemple de la superposition d'une pratique profane adaptée au substrat religieux. De mémoire de Lorianinchi, Santa Maria a toujours été fêtée au village, les plus anciens foisonnent de souvenirs précieux. Passeurs de traditions ils ont laissé aux nouvelles générations une pratique singulière où le cultuel et le culturel ne font qu'un. 
 
"Ce ne sont pas des enchères à l'américaine"
Avant le début de la messe de l'Assomption, célébrée à 21 heures, la statue de la Vierge est déposée sur le parvis de l'église. C'est alors que commence l'enchère tant attendue. Les fidèles, rassemblés sur le parvis, enchérissent pour avoir l'honneur de porter la bannière de Santa Maria lors de la procession aux flambeaux qui parcourt les ruelles du village. « J'assiste à cette fête mariale depuis que je suis enfant, » raconte Jean-Pierre. « Une personne du village motive les enchérisseurs qui mettent dans une corbeille ce qu'ils veulent. Il n'y a pas de mise de départ, chacun enchérit selon ses moyens. Parfois, il y a une petite concurrence, car certains tiennent vraiment à gagner, mais il n'y a jamais d'animosité. Le gagnant est celui qui donne la dernière enchère, et c'est lui qui portera la bannière pendant la procession, même s'il peut choisir de la confier à un membre de sa famille. La plus haute somme que j'ai vue recueillir avoisinait les 2000 euros. »

Les sommes récoltées sont ensuite gérées par la paroisse centralisatrice de Ponte Leccia, et l'argent sert à financer les dépenses des églises du canton, la restauration du mobilier ou des œuvres, ou encore pour diverses réparations.  

Madeleine Guerrieri, 93 ans, enfant du village de Loriani, se rappelle avec émotion ce jour tant attendu de Santa Maria. « Mon père enchérissait tous les ans. Quand il gagnait, c'était ma sœur aînée qui portait la bannière. Mais, après son mariage, elle n'a plus eu le droit de la porter. En ce temps-là, seules les jeunes filles pouvaient avoir ce privilège. Et c'était vraiment un honneur de faire la procession avec la bannière. Plus tard, j'ai moi-même enchéri. La plus grosse somme que j'ai donnée était de 300 euros. J'ai aussi gagné, mais vu ma petite taille et le poids de la bannière, c'était un tour de force, car elle est lourde. J'ai laissé ma place. Une année, j'ai animé l'enchère, et comme j'ai très bien tenu mon rôle, nous avions récolté environ 5000 euros. Chez nous, ce ne sont pas des enchères à l'américaine. On ne surenchérit pas, mais simplement on enchérit, on donne ce qu'on veut jusqu'à ce que personne ne dépose plus d'argent dans la corbeille. C'est très sérieux, ça s'est toujours fait, c'est dans nos mœurs. »


Une procession chargée de sens
L'enchère terminée, la procession peut débuter. Une autre particularité de ce village est que, pendant tout le temps de la déambulation à travers les ruelles, une personne est chargée de sonner les cloches sans discontinuer. Selon les villageois, c'est un exercice physique exigeant, mais la foi fait surmonter toutes les difficultés sous le regard bienveillant de Santa Maria.