Jean-François Bernardini dédicaçait son dernier essai mercredi à la Fnac d'Ajaccio - Photo : Michel Luccioni
Après A nostra lingua more mà ùn pienghjimu micca sorti en février dernier dans lequel il était question des risques de la perte des repères culturels, le leader d’I Muvrini continue sa réflexion sur sa Corse natale. Dans son nouvel essai, le fondateur d’Umani aborde u la problématique Corse-Continent sous l'angle du troma.
-Comment présenteriez-vous votre ouvrage ?
-En petit chercheur de vérité, face à des portes condamnées depuis des décennies, j’ai fait appel à des concepts relevant de la recherche historique, de la sociologie, de la psychologie traumatique, de l’intelligence émotionnelle, de la communication non-violente pour questionner , au-delà des symptômes, des façades et des apparences. Voir et entendre autrement, ce que l’on a vu et entendu des milliers de fois.
-Pourquoi parlez-vous de trauma?
_Parce que c’est pour moi l’hypothèse qui permet de donner du sens à ce qui apparait insensé, inexplicable .Un sens autre que celui de « omerta, vendetta, culture et nature des corses qui ne sont pas comme nous », et des Français qui resteraient à tout jamais, « colons et oppresseurs dans l’âme ».Il y a entre Corsica et France un non-dit, un irréconcilié, un non-nommé. Des décennies de terreur après Ponte-Novu, des épisodes du Niolu, des déportés du Fiumorbu, de Maria Gentile…il n ‘y a à ce jour, aucun lieu de mémoire officielle et partagée, de commémoration partagée .Tout déni de mémoire laisse libre cours à la propagation du trauma de génération en génération. La tentation serait de dire que cela est « non lieu ».D’autres en ont abusé et ont fait carrière sur ce déni .Mais le « passé est imprévisible ». Le déni est d ‘une puissance volcanique.
L’histoire atteste de traces de blessures qui perdurent en nous et malgré nous , des deux côtés , et souvent inconsciemment. Inévitablement nous prolongeons ce qui ressemble quelquefois à un dialogue de sourds. Ce n’est en fait qu’un dialogue de blessés. La question est aujourd’hui de savoir, que voulons-nous, que faisons nous de cela? Le déni, la revanche ou la guérison ?
-Pourquoi une nouvelle enquête, en référence à celle de Petillon?
-Parce que vous comme moi , entendons dire de manière récurrente: la Corse est incompréhensible, illisible , ingouvernable …Que veut la Corse? Que se passe-t-il chez vous ? Pourquoi ces tensions ? Pourquoi le problème semble -t-il insoluble …Pourquoi la France nous en veut ?Pourquoi ils ne peuvent pas nous voir? Il y a vraiment matière à poser de nouvelles questions, à entrevoir le chemin des possibles .Si l’excellente BD« l’enquête corse » du regretté René Petillon a eu cet écho dans le public , c ‘est justement parce que derrière l’humour, il y a des réalités , des douleurs et des souffrances .D’ où vient toute cette souffrance ?Quelle enquête a un jour osé poser cette question? Effectivement, on a clôturé bien des enquêtes. Mais sans élucider l’affaire.
-Beaucoup de choses ont été écrites sur la relation Corse Continent. Que dites-vous de nouveau aujourd'hui ?
-Bien des choses ont été écrites, oui .Mais nous pourrions au moins nous questionner sur nos capacités à comprendre , faire comprendre , ouvrir d’ autres horizons et inventer le meilleur, pour sortir grandis des deux cotés.
Pour l’ heure, nous n’y parvenons pas , et le trauma continue son oeuvre.
Ce que je cherche à dire c’ est qu’ il y a souffrance des deux côtés.Ce que je cherche à dire c’ est que Corsica et France doivent sortir de ce figement traumatique qui mobilise toutes nos énergies. « Prouver que c’est l’ autre qui a tort, prouver que c’ est l’ autre le coupable, prouver que c’ est l’autre le méchant »… .Il y a des grands-brûlés dans les deux "camps" , et comment pourrait-il en être autrement .
Mais il y a aussi et surtout énormément de citoyens debout, des 2 côtés.Ils savent qu’il y a là une tragédie plus grande que leur propre souffrance ? Ceux-là , celles-là sont et seront capables de transformer le trauma en bénédiction, en chance pour aujourd’hui et pour les générations futures .
Pour ma part , je sais bien que dans tout contexte traumatique, tout ce qui peut être dit sera inévitablement interprété comme trahison pour un camp ou pour l’ autre . Le traumatisé n’entend que sa souffrance à lui , sa blessure à lui, ses morts à lui .Inévitablement, tout contexte traumatique valorise la violence. C’est un mécanisme biologique incontournable .On n’approche pas si aisément les plaies .
Dans un contexte ou guérison signifie pour certains, trahison, celui qui cherche la clef, la guérison , celui qui sort de l’aveuglement que nous impose le trauma , est souvent qualifié de traître à la cause ?
Difficile alors pour lui d’ouvrir un espace pour de nouveaux questionnements .
Je connais ce prix à payer pour oser penser autrement .Mais je suis convaincu de nos noblesses collectives à voir plus grand , plus haut, à nous accorder les uns aux autres ces « gouttes d’empathie » qui peuvent soulever les montagnes, parce qu’elles soulèvent les coeurs.Et l’empathie, noblesse de l ‘humain et du politique, ça fait des miracles.
-Pensez-vous que la France et la Corse sont réconciliables ?
-Votre question pourrait en choquer plus d’un. « Réconcilier de quoi ? Nous sommes réconciliés depuis des décennies … ».Le déni du trauma est aussi une logique de survie, une manière de croire s’en échapper. Et pourtant il y a des symptômes , des indicateurs qui attestent que ce couple Corsica-France est une famille dysfonctionnelle, où il y a des non-dits, des vieilles histoires de famille-tu ne reconnais pas mes morts, je ne reconnais pas les tiens - … des sujets tabous … A chaque déclencheur, sur un terrain de foot , autour d’un hymne ,une stèle ou un drapeau, des deux cotés, le trauma se réactive. C’est ce qui me fait dire, « il y a un éléphant dans le salon »… mais personne ne semble le voir .Tout est normalité, ou plutôt, normose .
Les solutions ? Je ne suis qu’un modeste petit serrurier. Mais ma réponse serait la vérité. Suffisamment d’humanité pour avoir envie de libérer l’autre autant que soi -même. De l’intelligence pour comprendre que ce ne sera possible qu’ainsi. Aucun vivant d’aujourd’hui n’est coupable des anciennes pesanteurs historiques . Des deux côtés comprend-on vraiment ce qui nous est arrivé, et ce que qui nous arrive ? Saurons-nous nous libérer des mensonges, des rumeurs, capables de surmonter ce narratif unique et « funèbre" si utile mais néfaste pour notre peuple, et qui perdure, depuis Mérimée ?
Si nous nions le trauma, si les éléphants ne sont ni vus ni remis en question, le trauma continuera à agir en nous tel un volcan , à abîmer bien des vies et des destins. D autres l’exploiteront , profiteront de l’aubaine, car le trauma a aussi ses profiteurs et ses bénéficiaires . Si par contre , nous acceptons l’ hypothèse et le poids d’ un trauma qui se transmet de génération en génération et des deux cotés, alors nous pouvons imaginer , inventer , créer autre chose .Peter Levine nous dit: « le trauma résolu est une bénédiction ».
-Quelle est la réception de votre livre auprès de vos lecteurs ? De la classe politique?
-Je reçois des premiers échos bouleversants, des réponses tellement en résonance avec l’espérance pour ce peuple. Des réactions qui m'inspirent et me confortent dans ma conviction qu'il y a mieux à faire que de rester paralysé par les mécanismes néfastes du poids traumatique. J’entends aussi les résignations bien apprises : « ça ne changera jamais ». Il y a toujours eu tant de docteurs éminents rassemblés autour du lit de la Corse souffrante. J’entends énoncer toujours les mêmes remèdes. Comme les « médecins de Molière », chacun vante les mérites de son traitement préféré.Chacun défend sa part de vérité . Mais les dégâts sont là, ils sont considérables. Les diagnostics usuels ne peuvent convaincre personne, ne nous guérissent pas et depuis longtemps.La guérison viendra du peuple, par des citoyens qui, en comprenant ce qui nous est arrivé et arrive, vont agir en connaissance des causes et effets, et reprendre en main leur propre destin. "Comprendre -" est la condition sine qua non d'un vrai changement durable, et en profondeur. Dans la cité, les politiques c’est nous tous , différents et plus intelligents, parce qu’ ‘ensemble et portés par l’esprit du bien commun, le souffle du bien pour tous .
-Comment présenteriez-vous votre ouvrage ?
-En petit chercheur de vérité, face à des portes condamnées depuis des décennies, j’ai fait appel à des concepts relevant de la recherche historique, de la sociologie, de la psychologie traumatique, de l’intelligence émotionnelle, de la communication non-violente pour questionner , au-delà des symptômes, des façades et des apparences. Voir et entendre autrement, ce que l’on a vu et entendu des milliers de fois.
-Pourquoi parlez-vous de trauma?
_Parce que c’est pour moi l’hypothèse qui permet de donner du sens à ce qui apparait insensé, inexplicable .Un sens autre que celui de « omerta, vendetta, culture et nature des corses qui ne sont pas comme nous », et des Français qui resteraient à tout jamais, « colons et oppresseurs dans l’âme ».Il y a entre Corsica et France un non-dit, un irréconcilié, un non-nommé. Des décennies de terreur après Ponte-Novu, des épisodes du Niolu, des déportés du Fiumorbu, de Maria Gentile…il n ‘y a à ce jour, aucun lieu de mémoire officielle et partagée, de commémoration partagée .Tout déni de mémoire laisse libre cours à la propagation du trauma de génération en génération. La tentation serait de dire que cela est « non lieu ».D’autres en ont abusé et ont fait carrière sur ce déni .Mais le « passé est imprévisible ». Le déni est d ‘une puissance volcanique.
L’histoire atteste de traces de blessures qui perdurent en nous et malgré nous , des deux côtés , et souvent inconsciemment. Inévitablement nous prolongeons ce qui ressemble quelquefois à un dialogue de sourds. Ce n’est en fait qu’un dialogue de blessés. La question est aujourd’hui de savoir, que voulons-nous, que faisons nous de cela? Le déni, la revanche ou la guérison ?
-Pourquoi une nouvelle enquête, en référence à celle de Petillon?
-Parce que vous comme moi , entendons dire de manière récurrente: la Corse est incompréhensible, illisible , ingouvernable …Que veut la Corse? Que se passe-t-il chez vous ? Pourquoi ces tensions ? Pourquoi le problème semble -t-il insoluble …Pourquoi la France nous en veut ?Pourquoi ils ne peuvent pas nous voir? Il y a vraiment matière à poser de nouvelles questions, à entrevoir le chemin des possibles .Si l’excellente BD« l’enquête corse » du regretté René Petillon a eu cet écho dans le public , c ‘est justement parce que derrière l’humour, il y a des réalités , des douleurs et des souffrances .D’ où vient toute cette souffrance ?Quelle enquête a un jour osé poser cette question? Effectivement, on a clôturé bien des enquêtes. Mais sans élucider l’affaire.
-Beaucoup de choses ont été écrites sur la relation Corse Continent. Que dites-vous de nouveau aujourd'hui ?
-Bien des choses ont été écrites, oui .Mais nous pourrions au moins nous questionner sur nos capacités à comprendre , faire comprendre , ouvrir d’ autres horizons et inventer le meilleur, pour sortir grandis des deux cotés.
Pour l’ heure, nous n’y parvenons pas , et le trauma continue son oeuvre.
Ce que je cherche à dire c’ est qu’ il y a souffrance des deux côtés.Ce que je cherche à dire c’ est que Corsica et France doivent sortir de ce figement traumatique qui mobilise toutes nos énergies. « Prouver que c’est l’ autre qui a tort, prouver que c’ est l’ autre le coupable, prouver que c’ est l’autre le méchant »… .Il y a des grands-brûlés dans les deux "camps" , et comment pourrait-il en être autrement .
Mais il y a aussi et surtout énormément de citoyens debout, des 2 côtés.Ils savent qu’il y a là une tragédie plus grande que leur propre souffrance ? Ceux-là , celles-là sont et seront capables de transformer le trauma en bénédiction, en chance pour aujourd’hui et pour les générations futures .
Pour ma part , je sais bien que dans tout contexte traumatique, tout ce qui peut être dit sera inévitablement interprété comme trahison pour un camp ou pour l’ autre . Le traumatisé n’entend que sa souffrance à lui , sa blessure à lui, ses morts à lui .Inévitablement, tout contexte traumatique valorise la violence. C’est un mécanisme biologique incontournable .On n’approche pas si aisément les plaies .
Dans un contexte ou guérison signifie pour certains, trahison, celui qui cherche la clef, la guérison , celui qui sort de l’aveuglement que nous impose le trauma , est souvent qualifié de traître à la cause ?
Difficile alors pour lui d’ouvrir un espace pour de nouveaux questionnements .
Je connais ce prix à payer pour oser penser autrement .Mais je suis convaincu de nos noblesses collectives à voir plus grand , plus haut, à nous accorder les uns aux autres ces « gouttes d’empathie » qui peuvent soulever les montagnes, parce qu’elles soulèvent les coeurs.Et l’empathie, noblesse de l ‘humain et du politique, ça fait des miracles.
-Pensez-vous que la France et la Corse sont réconciliables ?
-Votre question pourrait en choquer plus d’un. « Réconcilier de quoi ? Nous sommes réconciliés depuis des décennies … ».Le déni du trauma est aussi une logique de survie, une manière de croire s’en échapper. Et pourtant il y a des symptômes , des indicateurs qui attestent que ce couple Corsica-France est une famille dysfonctionnelle, où il y a des non-dits, des vieilles histoires de famille-tu ne reconnais pas mes morts, je ne reconnais pas les tiens - … des sujets tabous … A chaque déclencheur, sur un terrain de foot , autour d’un hymne ,une stèle ou un drapeau, des deux cotés, le trauma se réactive. C’est ce qui me fait dire, « il y a un éléphant dans le salon »… mais personne ne semble le voir .Tout est normalité, ou plutôt, normose .
Les solutions ? Je ne suis qu’un modeste petit serrurier. Mais ma réponse serait la vérité. Suffisamment d’humanité pour avoir envie de libérer l’autre autant que soi -même. De l’intelligence pour comprendre que ce ne sera possible qu’ainsi. Aucun vivant d’aujourd’hui n’est coupable des anciennes pesanteurs historiques . Des deux côtés comprend-on vraiment ce qui nous est arrivé, et ce que qui nous arrive ? Saurons-nous nous libérer des mensonges, des rumeurs, capables de surmonter ce narratif unique et « funèbre" si utile mais néfaste pour notre peuple, et qui perdure, depuis Mérimée ?
Si nous nions le trauma, si les éléphants ne sont ni vus ni remis en question, le trauma continuera à agir en nous tel un volcan , à abîmer bien des vies et des destins. D autres l’exploiteront , profiteront de l’aubaine, car le trauma a aussi ses profiteurs et ses bénéficiaires . Si par contre , nous acceptons l’ hypothèse et le poids d’ un trauma qui se transmet de génération en génération et des deux cotés, alors nous pouvons imaginer , inventer , créer autre chose .Peter Levine nous dit: « le trauma résolu est une bénédiction ».
-Quelle est la réception de votre livre auprès de vos lecteurs ? De la classe politique?
-Je reçois des premiers échos bouleversants, des réponses tellement en résonance avec l’espérance pour ce peuple. Des réactions qui m'inspirent et me confortent dans ma conviction qu'il y a mieux à faire que de rester paralysé par les mécanismes néfastes du poids traumatique. J’entends aussi les résignations bien apprises : « ça ne changera jamais ». Il y a toujours eu tant de docteurs éminents rassemblés autour du lit de la Corse souffrante. J’entends énoncer toujours les mêmes remèdes. Comme les « médecins de Molière », chacun vante les mérites de son traitement préféré.Chacun défend sa part de vérité . Mais les dégâts sont là, ils sont considérables. Les diagnostics usuels ne peuvent convaincre personne, ne nous guérissent pas et depuis longtemps.La guérison viendra du peuple, par des citoyens qui, en comprenant ce qui nous est arrivé et arrive, vont agir en connaissance des causes et effets, et reprendre en main leur propre destin. "Comprendre -" est la condition sine qua non d'un vrai changement durable, et en profondeur. Dans la cité, les politiques c’est nous tous , différents et plus intelligents, parce qu’ ‘ensemble et portés par l’esprit du bien commun, le souffle du bien pour tous .