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Julien Paolini : « L’opposition a voulu enterrer le plan Déchets, un dossier majeur pour l’avenir de la Corse »


Nicole Mari le Jeudi 4 Mars 2021 à 18:58

Après les tirs à boulets rouges de l’opposition contre le futur plan des déchets qui a été adopté vendredi dernier à l’Assemblée de Corse, la majorité territoriale monte au créneau pour défendre les orientations choisies et répliquer point par point aux critiques. Julien Paolini, conseiller territorial de Femu a Corsica et maire de Pietrosu, entend rétablir un certain nombre de vérités. « Stupéfié » par les propos du groupe Per L’Avvene, il explique à Corse Net Infos que l’opposition a voulu enterrer un dossier majeur pour l’île et n’assume pas son refus du tri. Il réaffirme les « choix clairs » de la majorité en termes de traitement des déchets.



Julien Paolini, conseiller territorial de Femu a Corsica et maire de Pietrosu.
Julien Paolini, conseiller territorial de Femu a Corsica et maire de Pietrosu.
- Le projet de plan sur les déchets a déchainé les critiques, même les vôtres. La majorité a refusé de le voter en Commission. Pourquoi un tel refus ?
- En décembre dernier, l’absence d’avis de la majorité territoriale en Commission du développement économique s’explique par la complexité du dossier et le volume conséquent du projet de plan - 577 pages. Face à l’importance du sujet, nous avons préconisé un délai supplémentaire de deux mois pour examiner les différents scénarii, clarifier la situation juridique et examiner toutes les incidences techniques et économiques. Il s’agissait également pour les élus de la majorité, d’une part de préciser et mettre en forme nos choix, car certains divergeaient radicalement de ceux préconisés dans le rapport, d’autre part, de respecter la procédure règlementaire relative à l’adoption du plan.
 
- Quelles inquiétudes ou quelles divergences, ce plan a-t-il soulevé dans les groupes de la majorité ?
- Il n’y a aucune divergence de fond au sein des groupes de la majorité sur la stratégie portée par le président de l’Office de l’environnement et le Conseil exécutif. J’en veux pour preuve la rédaction d’amendements communs Exécutif/Majorité déposés au cours de la session. En revanche, les divergences de vision avec l’opposition sont nombreuses et fondamentales. Enfin, sur la forme, l’opposition feint d’ignorer les aspects réglementaires de la procédure pourtant précisée à l’article L. 4424-37 du Code général des Collectivités territoriales. Cet article de loi indique que le projet de plan doit être élaboré sous l’égide d’une Commission installée à cet effet par l’Assemblée de Corse.
 
- L’opposition affirme que le rapport a été sauvé in-extrémis en Commission par un tour de passe-passe. Est-ce le cas ?
- Je suis stupéfié par les propos tenus par Marie-Thèrèse Mariotti, élue de Per l’Avvene. Ces propos relèvent, soit d’une profonde méconnaissance du dossier - ce que je n’ose penser d’une élue généralement compétente et rigoureuse dans ses analyses -, soit d’une manœuvre politicienne préélectorale sur un sujet qui mérite au contraire d’être traité avec le seul souci de l’intérêt général. J’opte plutôt pour cette dernière hypothèse tant les contre-vérités avancées par l’opposition sont nombreuses et les critiques totalement infondées. L’opposition a privé les Corses d’un débat capital sur le projet de plan. En privilégiant la politique de la chaise vide en Commission, elle a voulu enterrer un dossier majeur pour l’avenir de l’île.
 
- Elle affirme ne pas comprendre ce que vous proposez et tance un « catalogue de scénarii sans choix, sans chiffrage et sans calendrier » ?
- C’est une grosse erreur - pour ne pas dire une faute - de l’opposition ! Elle nous exhorte à mobilier, je cite « les forces vives et les experts », mais refuse de débattre d’un projet co-construit avec l’ensemble des acteurs - OEC, EPCI, Syvadec, Etat, associations - réunis au sein d’une Commission dédiée à l’élaboration du plan. L’opposition ne peut décemment pas nous reprocher d’avoir investigué le champ des possibles. Si nous étions arrivés avec un projet clé-en-mains, nos opposants nous auraient reproché un manque d’objectivité, voire de transparence, d’être dans le dogme ou de manquer d’impartialité. Pire encore, d’avoir tenu le stylo du bureau d’études. Il n’en a rien été ! Tous les scenarii ont été expertisés et, après débat en session, l’Assemblée a fait connaître son avis sur celui qu’elle souhaite être retenu.
 
- L’opposition tacle un « échec » de l’Exécutif, une « incapacité à trancher alors qu’il y a urgence ». Pourquoi avoir autant trainé ?
- L’opposition nous reproche l’absence de modifications sur le projet de plan depuis décembre ! Elle ne peut ignorer que la moindre modification du plan aurait grandement fragilisé la procédure d’adoption. A ce stade, nous ne sommes pas encore à l’adoption définitive du plan opposable et prescriptif. Nous avons agi en élus responsables, tandis que l’opposition en refusant d’examiner les amendements a eu une attitude fort dommageable sur les travaux de l’Assemblée de Corse, les débats ayant justement pour objet de donner un avis éclairé sur le projet de plan. Je précise enfin que le calendrier est fixé par la loi et que nous ne pouvions y déroger.

- L’opposition attend un « vrai plan avec des choix clairs et assumés » pour être opposable. Que répondez-vous ?
- Nos choix sont parfaitement clairs et nous les revendiquons. Ils sont développés et expliqués dans la délibération votée après le débat de vendredi dernier. Ils forment une vision globale de la chaîne de gestion des déchets : une maîtrise publique, la diminution des entrants et l’économie circulaire et, surtout la montée en puissance du tri à la source - notamment la collecte sélective 6 flux et le détournement des biodéchets. Cette montée en puissance sera favorisée par une priorisation des financements - PEI et PTIC - et par le déploiement généralisé de la fiscalité incitative à tous les niveaux - ECPI, ménages, professionnels. Enfin, deux centres de sur-tri configurés à nos objectifs de tri et excluant le traitement sur ordures brutes, ainsi que 4 à 5 centres de stockage pour répartir de façon équitable les 90 000 tonnes de déchets inertes fixés par la loi en 2025. En votant contre la délibération, l’opposition a voté contre cette vision. Et ce, sans assumer clairement ces choix, qui sont ceux du refus du tri et de la prime donnée à la gestion industrielle des déchets, au profit d’intérêts privés !
 
- La droite dit que vous n’avez jamais tenu compte de ses propositions - UVE, CSR, méthanisation - qui s’imposent aujourd’hui ?
- C’est une contre vérité ! La majorité territoriale n’est pas hostile à la valorisation organique et énergétique. Nous avons déjà acté la création de centres de méthanisation, mais, avec comme seuls flux entrants, des déchets fermentescibles triés à la source : biodéchets, déchets verts et boues de STEP. Conformément à la loi sur la hiérarchisation des modes de traitement, nous avons étudié toutes les possibilités pour traiter les déchets résiduels, et cela afin de diminuer les quantités de déchets destinés au stockage. Nous avons réaffirmé notre volonté de créer deux centres de surtri à proximité des grandes agglomérations - CAB et CAPA -, mais, je le répète, dimensionnés en adéquation avec les objectifs réglementaires : généralisation de tri à la source des biodéchets en 2024, valorisation organique et matière à 65% en 2025, baisse de 15% des déchets ménagers et d’activités économiques entre 2010 et 2030.
 
- Des objectifs que l’opposition juge « impossibles à tenir » ?
- C’est archi faux ! Cette analyse de l’opposition est une forme de défiance par rapport à notre capacité collective à atteindre des objectifs de tri qui sont au demeurant imposés par la loi. Le taux actuel de collecte sélective peine à atteindre 10% et le volume de biodéchets collectés à la source est quasi-nul. Pourtant, un taux de 60% est totalement réaliste dans la mesure ou certaines intercommunalités atteignent déjà 30%, cela sans avoir recours au trépied que nous préconisons : porte-à-porte, séparation des biodéchets et tarification incitative. Ces objectifs sont atteignables dès lors qu’il y a une approche concertée entre les acteurs et une synergie entre la politique mise en œuvre et la mobilisation citoyenne et individuelle. D’autres exemples sont particulièrement évocateurs de la mauvaise foi de nos opposants. Le gisement de déchets est loin d’être minoré ou sous-estimé. Le plan projette au contraire une augmentation d’environ 30% en 12 ans, soit près de 300 000 tonnes, précisée en page 94. L’opposition pousse le bouchon trop loin en contestant l’évolution de la population INSEE (page 91). Sur la prise en compte des activités touristiques, j’invite l’opposition à lire - ou à relire - avec attention le projet de plan et notamment les hypothèses retenues en page 92.
 
- L’opposition vous accuse d’avoir allumé un contre-feu sur le projet de centre de surtri, de la CAPA pour masquer votre incompétence ?
- Nous sommes en désaccord total, pour des raisons de fond, avec le projet de la CAPA qui vise à augmenter la production de déchets résiduels au bénéfice d’un traitement industriel de masse. J’en veux pour preuve l’appel d’offres paru récemment, qui fixe une capacité annuelle de traitement de 45 000 tonnes de poubelles grises, soit 80% de la production totale de déchets ménagers hors déchetterie du territoire concerné (56 000 tonnes). En fixant un taux de collecte sélective à 20% à l’horizon 2025, l’appel d’offres est totalement contraire aux objectifs réglementaires édictés à l’article L.541-1 du Code de l’Environnement et démontre que la CAPA tourne délibérément le dos au tri. Notre stratégie est très différente ! Le groupe Per l’Avvene et la CAPA veulent un centre de sur-tri couplé à un incinérateur, dimensionné en totale contradiction avec le tri à la source, notamment pour les biodéchets où c’est zéro pointé pour la CAPA ! Nous voulions en débattre, y compris en Commission, si l’opposition avait seulement accepté d’y participer, comme c’est habituellement la règle.

Le groupe de droite Per L'Avvene. Photo Michel Luccioni.
Le groupe de droite Per L'Avvene. Photo Michel Luccioni.
- Per L’Avvene demande une étude sur une unité de valorisation énergétique, notamment l’incinérateur nouvelle génération. L’envisagez-vous ?
- Le projet de plan a déjà étudié cette possibilité. Pour notre part, nous sommes totalement opposés à la construction d’un incinérateur à 84 millions € pour brûler 150 000 tonnes d’ordures brutes avec, en sortie, des déchets dangereux et toxiques que nous serions dans l’obligation d’exporter. Au-delà d’une acceptabilité quasi-nulle par la population, cette solution reste incompatible avec l’atteinte d’objectifs de tri ambitieux et présente de nombreuses contraintes économiques - 18 millions € par an en fonctionnement - et techniques - vides de four en période hivernale. Je constate d’ailleurs que François-Xavier Ceccoli nous rejoint totalement sur cet aspect.
 
- Pourquoi avoir écarté l’option CSR dans le rapport final ?
- Nous n’avons pas écarté la production de Combustibles Solides de Récupération (CSR), nous ne disposons pas de données suffisantes pour la retenir. Dans les plus brefs délais, nous allons réaliser une étude technico-économique visant à clarifier la pertinence et la faisabilité de cette option pour la Corse. Si les CSR présentent des atouts indéniables pour limiter le stockage et stabiliser les déchets, il reste toutefois de multiples points noirs sur leur valorisation : qualité des CSR produits à partir de déchets résiduels, absence de chaudière en Corse, contraintes liées à l’exportation, marchés fluctuants et non sécurisés.
 
- En résumé, quels sont les modes de traitements des déchets définitivement écartés ?
- Nous écartons, sans aucune ambiguïté, le recours à l’incinération et à la méthanisation industrielle après tri-mécano-biologique comme mode de traitement des déchets résiduels (poubelle grise). Afin d’être compatible avec un tri à la source généralisé et performant, nous avons proposé que le tonnage d’ordures résiduelles entrant dans le centre de sur-tri soit strictement limité à 40% du total des déchets ménagers hors déchetterie - soit 22 000 tonnes pour la CAPA au lieu de 45 000 tonnes de l’appel d’offres. Pour les déchets ultimes, nous privilégions une répartition territorialisée et équitable de l’effort de stockage par la création de 4 à 5 centres d’une capacité annuelle de 20 000 à 25 000 tonnes. L’objectif est de diminuer les coûts de transport qui pèsent fortement sur le budget des collectivités - comme indiqué dans le rapport de l’Autorité de la concurrence -, de minimiser les impacts environnementaux, et enfin, d’avoir recours, chaque fois que possible, au transport par la voie ferroviaire.
 
- Sur la réduction de la production de déchets, qu’y a-t-il tangible dans le projet de plan.
- Le projet de plan ambitionne une diminution de la production d’ordures résiduelles de 70% - de 443 à 124 kg par habitant -, soit une production en 2027 de 42 000 tonnes pour l’ensemble de la Corse contre 140 000 tonnes en 2020. Contrairement aux arguments de l’opposition, la prévention est une orientation forte du plan, avec 4 objectifs et 13 actions définies, dont la rédaction de plans locaux de prévention (PLP) à l’initiative des intercommunalités. Encore une fois, il semble que l’opposition n’a pas lu toutes les préconisations du plan, notamment celle qui détaillent la démarche de prévention. En page 121, il est indiqué : « en prenant en compte les objectifs de prévention… les productions de déchets ménagers attendues passent de 722 kg/hab en 2018 à une quantité comprise entre 585 et 628  kg/hab en 2033, soit une réduction comprise entre 13% et 19%, cela malgré l’augmentation conjointe de la population et de l’activité économique ».

- Etes-vous favorable à une fiscalité touristique, comme l’a proposé François-Xavier Ceccoli (La Corse dans la République) ?
- J’ai trouvé son intervention plutôt constructive, particulièrement sur ce point. Je pense que nous devrions engager un travail sur la faisabilité de cette proposition en concertation avec l’Agence du tourisme et sa présidente Nanette Maupertuis. La fréquentation touristique explique, en grande partie, une production de déchets par habitant plus importante en Corse que sur le Continent et, donc, des coûts de collecte et de traitement plus élevés pour les EPCI.
 
- François-Xavier Ceccoli estime qu’il faut arrêter le débat sur les centres de stockage parce que personne n’en veut sur son territoire. C’est plutôt juste ?
- Non ! Je crois qu’il se trompe sur ce point. Lionel Mortini a proposé un site destiné à accueillir un centre de stockage de 20 000 tonnes par an sous maitrise publique en Balagne. Un autre projet public est actuellement à l’étude à Moltifau. Nous pensons que d’autres propositions peuvent rapidement émerger dans le cadre de notre stratégie de répartition territorialisée et équitable de la charge de stockage des déchets. Rappelons que le stockage concernera des déchets inertes - après sur-tri - afin de réduire au maximum les nuisances pour les riverains. Ce concept - particulièrement adapté aux spécificités de la Corse - doit conduire à une meilleure acceptabilité et à échapper à la main mise de monopoles privés qui perdurent dans ce secteur, au détriment des contribuables corses.
 
- L’Exécutif promet un nouveau modèle en rupture totale avec l’actuel. Quand verra-t-il le jour ?
- A ce stade de la procédure, la majorité territoriale et le Conseil exécutif se devaient d’argumenter leurs choix au travers de deux documents sur lesquels l’opposition à refuser de travailler. D’abord, un rapport précisant les orientations, à partir de l’examen de scenarii proposés. Ensuite, une délibération de l’Assemblée de Corse constituant l’avis et la position de la Collectivité par rapport au projet de plan soumis à enquête publique. C’est chose faite ! Ces deux documents seront versés à l’enquête publique au terme de laquelle aura lieu le débat conclusif devant l’Assemblée de Corse dans 8 à 12 mois. Une fois adopté, le plan opposable sera mis en œuvre durant les 12 prochaines années (2021-2032) et conduira à résoudre durablement la problématique des déchets avec un suivi régulier dans le cadre de l’Observatoire des déchets de l’Office de l’Environnement.
 
- Une grave crise se profile en 2022. La Corse sera-t-elle en mesure d’y faire face ?
- La situation reste problématique à court terme. La Corse est en mesure d’y faire face mais dans des conditions qui ne sont pas acceptables, avec seulement deux centres de stockage qui continuent de recevoir les déchets de toute l’île, ce qui est insupportable pour les populations concernées. Nous devons accélérer la mise en œuvre d’un tri à la source performant. Des moyens budgétaires seront spécifiquement fléchés à cet effet, en affectant les sommes disponibles en priorité à la collecte sélective - chaque fois que possible en porte-à-porte - et à la généralisation de la fiscalité incitative pour récompenser les comportements vertueux. Des adaptations législatives et réglementaires seront également nécessaires, telles que des conditions de rachat des recyclables plus favorables aux EPCI - avec une prise en charge des coûts aidés à 100% comme dans les DOM-TOM - ou encore le transfert de la TGAP Déchets à la Collectivité de Corse pour financer les infrastructures de traitement et les dispositifs de l’économie circulaire. Sur ces points, la balle est dans le camp de l’Etat. Mais les Corses doivent savoir qu’avec le vote intervenu la semaine dernière, le chemin est désormais clairement balisé et opérationnel pour résoudre définitivement la question des déchets, et faire de la Corse une île exemplaire en la matière.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.