Joseph Agostini, psychologue clinicien, psychanalyste, chroniqueur au Huffington Post, auteur d’essais et de pièces de théâtre. crédit Nellu Cohn
- Entre vos livres, vos pièces et vos interventions dans les médias, trouvez-vous encore le temps d’exercer votre métier de psychanalyste ?
- Plus que jamais ! Je fais un métier de solitaire, mais je ne méprise pas les médias populaires, comme des tas de psys et d’intellos snobs qui ont une tête qui ne passe plus les portes. Comme je passe l’essentiel de mon temps à écouter les autres, j’écris à partir de mon travail et j’aime en parler. Freud appelait cela « la sublimation » en disant que l’être humain avait besoin de transformer les choses pour dépasser ses limites, sortir de lui-même. Si j’écoutais sans créer, je serais bien malheureux.
- Le 9 février, sort votre livre « Les chansons d’amour guérissent le cœur du monde », co-écrit avec Daniela Lumbroso. Pourquoi écouter de la musique fait-il tant de bien à l’âme ?
- On peut aimer ou non la littérature, l’opéra, le sport, le cinéma… Mais tout le monde a été profondément marqué par une chanson. Sur un plan neurologique, les chercheurs sont sans appel : l’écoute de la musique permet la libération d’hormones favorisant le bien-être. Nous adorons certaines chansons car elles nous replongent dans une atmosphère que nous avons aimée. Elles ont cette magie de ressusciter des émotions, de nous faire revivre les choses, à volonté. Dans ce livre, Daniela et moi avons rencontré des célébrités et des anonymes qui ont eu une histoire particulière avec une chanson. Ils y ont trouvé du courage, de la force, certains ont même surmonté un deuil en écoutant de la musique. Leur témoignage est bouleversant. La chanson aide à vivre, voilà ce qui apparaît tout au long du livre.
- Vous consacrez une grande partie du livre à l’histoire des chansons. Pourquoi certaines sont-elles devenues si populaires ?
- Mystère de l’inconscient ! Nous avons voulu comprendre pourquoi certains refrains sont entrés dans l’inconscient collectif tandis que d’autres sont tombés dans l’oubli. Je crois que la qualité ne rentre pas forcément en ligne de compte. C’est une histoire de rencontre avec une époque. L’inconscient d’une société se lit à travers les chansons. On y voit les préoccupations, les manières de parler d’amour, de sexualité, les tabous, les espérances. Décrypter les chansons, c’est vraiment psychanalyser une civilisation, être au plus proche de sa vérité, à la fois profonde et naïve.
- Vous racontez aussi comment les auteurs des chansons ont trouvé l’inspiration à un moment de leur vie…
- Oui, et souvent, ils nous ont dit qu’ils ne s’attendaient pas du tout au succès de leur titre phare. André Manoukian, qui nous a fait l’honneur de signer notre préface, rappelle que Renaud ne voulait pas sortir Mistral Gagnant en 1985. Il la trouvait trop intime. Et puis, cette chanson est devenue de très loin la plus emblématique de son répertoire.
-Vous poursuivez ce contact avec l’inconscient collectif au théâtre avec la création de Ghjelusia, votre nouveau texte. Pourquoi avoir choisi de travailler avec Patrizia Gattaceca et Daniel Delorme ?
- En plus d’avoir un talent fou, Daniel (Delorme) a une humanité fantastique, contrairement à beaucoup de théâtreux aigris et égocentriques, qui s’étonnent de ne pas être appréciés. C’est le metteur en scène et directeur d’acteur que je voulais pour Ghjelusia. Il est venu voir l’adaptation de mon livre Dalida sur le divan à l’Alb Oru à Bastia et nous nous sommes dits notre envie mutuelle de travailler ensemble. Cet été, je lui ai fait lire Ghjelusia et nous avons immédiatement pensé à Patrizia, tous les deux, sans même nous concerter. Ce texte, tissé d’expressions corses issues de mes conversations avec mes grands-parents, raconte la grandeur et la débâcle d’une famille dans un village Corse. C’est l’histoire d’une amitié ruinée par la rumeur, la jalousie, l’histoire d’un bonheur saccagé par la tragédie de la vie. Ghjelusia questionne la fragilité des liens. Patrizia a un génie scénique, elle donne une telle profondeur d’âme au personnage…
- Vous dites que la jalousie est au centre de la vie psychique. Pourquoi ?
- La rivalité est le premier lien que nous avons à notre environnement. C’est « ou moi, ou l’autre », une question de survie. C’est pourquoi les rapports humains sont toujours teintés de pouvoir et d’envie. Les jaloux font pitié. Ce qui sauve l’Humanité, c’est que nous avons pu dépasser cette rivalité initiale, à mesure que nous avons progressé en nous-mêmes. La loyauté, la justice, la gratitude sont autant de notions qui n’existent que quand nous transcendons notre sauvagerie originaire. Mais les sentiments primaires sont toujours là, tapis derrière la civilisation. Nous l’observons malheureusement à l’échelle de la vie politique internationale, comme à l’échelle individuelle.
- Vous préparez également une reprise d’un de vos premiers succès au théâtre « On peut se pendre avec sa langue » avec Dominique Fumaroli et Jacques Filippi. De quoi s’agit-il ?
- On critique souvent Facebook. Il est de bon ton de se moquer des réseaux sociaux. Seulement voilà : alors que beaucoup de gens partagent les mêmes niaiseries et sont incapables de s’exprimer sans déblatérer leur haine, il y a des raretés qui méritent vraiment de l’attention. J’ai rencontré Dominique Fumaroli sur Facebook avant de la rencontrer dans la vie. Elle a un humour extraordinaire, et c’est une comédienne redoutable. Je lui ai proposé de reprendre mon texte, joué par Camille Solal en 2009, autour de la violence du langage. Peut-on tuer avec les mots ? C’est un one woman show acide, tissé d’humour noir, qui va comme un gant à Dominique. On le croirait écrit pour elle ! Jacques Filippi, que j’admire pour son art de la mise en scène, collabore avec nous sur ce projet.
- Beaucoup d’artistes, de créateurs, ne parviennent pas à se produire, à être édités ou visibles. En tant que psychanalyste et qu’auteur, quel est le secret de votre réussite ?
- Je ne travaille qu’avec des travailleurs. Il y a beaucoup de paresseux dans nos métiers, des velléitaires qui se plaignent de leurs échecs, mais qui préfèrent la plainte à la remise en question. Ecrire, jouer la comédie, inventer des films ou des spectacles nécessite de dire une vérité, de faire preuve d’une transparence impudique. Ce sont des activités interdites aux gens qui ne veulent rien donner d’eux-mêmes, sous couvert de grandes tirades. Il vaut mieux qu’ils restent planqués. Cela dit, je dirais aussi que le système est impitoyable. Il y a d’un côté, les héritiers qui font des films grâce au réseau de papa, de l’autre côté, les influenceurs qui cherchent à être célèbres en faisant des selfies. Certains jeunes suivent leur exemple. Cela donne une société de l’image, à la fois ultra-narcissique et creuse. Cela n’a strictement rien à voir avec la création.
- Que pouvons-nous vous souhaiter pour 2023 ?
- De ne pas attendre que le ciel m’aide pour réaliser mes projets… On parle de fin du monde à tort et à travers. Pour beaucoup, c’est un alibi pour être pessimiste et attendre que ça passe… L’existence est très courte. Il faut se donner la peine de vivre.
Propos recueillis par N.M.
- Plus que jamais ! Je fais un métier de solitaire, mais je ne méprise pas les médias populaires, comme des tas de psys et d’intellos snobs qui ont une tête qui ne passe plus les portes. Comme je passe l’essentiel de mon temps à écouter les autres, j’écris à partir de mon travail et j’aime en parler. Freud appelait cela « la sublimation » en disant que l’être humain avait besoin de transformer les choses pour dépasser ses limites, sortir de lui-même. Si j’écoutais sans créer, je serais bien malheureux.
- Le 9 février, sort votre livre « Les chansons d’amour guérissent le cœur du monde », co-écrit avec Daniela Lumbroso. Pourquoi écouter de la musique fait-il tant de bien à l’âme ?
- On peut aimer ou non la littérature, l’opéra, le sport, le cinéma… Mais tout le monde a été profondément marqué par une chanson. Sur un plan neurologique, les chercheurs sont sans appel : l’écoute de la musique permet la libération d’hormones favorisant le bien-être. Nous adorons certaines chansons car elles nous replongent dans une atmosphère que nous avons aimée. Elles ont cette magie de ressusciter des émotions, de nous faire revivre les choses, à volonté. Dans ce livre, Daniela et moi avons rencontré des célébrités et des anonymes qui ont eu une histoire particulière avec une chanson. Ils y ont trouvé du courage, de la force, certains ont même surmonté un deuil en écoutant de la musique. Leur témoignage est bouleversant. La chanson aide à vivre, voilà ce qui apparaît tout au long du livre.
- Vous consacrez une grande partie du livre à l’histoire des chansons. Pourquoi certaines sont-elles devenues si populaires ?
- Mystère de l’inconscient ! Nous avons voulu comprendre pourquoi certains refrains sont entrés dans l’inconscient collectif tandis que d’autres sont tombés dans l’oubli. Je crois que la qualité ne rentre pas forcément en ligne de compte. C’est une histoire de rencontre avec une époque. L’inconscient d’une société se lit à travers les chansons. On y voit les préoccupations, les manières de parler d’amour, de sexualité, les tabous, les espérances. Décrypter les chansons, c’est vraiment psychanalyser une civilisation, être au plus proche de sa vérité, à la fois profonde et naïve.
- Vous racontez aussi comment les auteurs des chansons ont trouvé l’inspiration à un moment de leur vie…
- Oui, et souvent, ils nous ont dit qu’ils ne s’attendaient pas du tout au succès de leur titre phare. André Manoukian, qui nous a fait l’honneur de signer notre préface, rappelle que Renaud ne voulait pas sortir Mistral Gagnant en 1985. Il la trouvait trop intime. Et puis, cette chanson est devenue de très loin la plus emblématique de son répertoire.
-Vous poursuivez ce contact avec l’inconscient collectif au théâtre avec la création de Ghjelusia, votre nouveau texte. Pourquoi avoir choisi de travailler avec Patrizia Gattaceca et Daniel Delorme ?
- En plus d’avoir un talent fou, Daniel (Delorme) a une humanité fantastique, contrairement à beaucoup de théâtreux aigris et égocentriques, qui s’étonnent de ne pas être appréciés. C’est le metteur en scène et directeur d’acteur que je voulais pour Ghjelusia. Il est venu voir l’adaptation de mon livre Dalida sur le divan à l’Alb Oru à Bastia et nous nous sommes dits notre envie mutuelle de travailler ensemble. Cet été, je lui ai fait lire Ghjelusia et nous avons immédiatement pensé à Patrizia, tous les deux, sans même nous concerter. Ce texte, tissé d’expressions corses issues de mes conversations avec mes grands-parents, raconte la grandeur et la débâcle d’une famille dans un village Corse. C’est l’histoire d’une amitié ruinée par la rumeur, la jalousie, l’histoire d’un bonheur saccagé par la tragédie de la vie. Ghjelusia questionne la fragilité des liens. Patrizia a un génie scénique, elle donne une telle profondeur d’âme au personnage…
- Vous dites que la jalousie est au centre de la vie psychique. Pourquoi ?
- La rivalité est le premier lien que nous avons à notre environnement. C’est « ou moi, ou l’autre », une question de survie. C’est pourquoi les rapports humains sont toujours teintés de pouvoir et d’envie. Les jaloux font pitié. Ce qui sauve l’Humanité, c’est que nous avons pu dépasser cette rivalité initiale, à mesure que nous avons progressé en nous-mêmes. La loyauté, la justice, la gratitude sont autant de notions qui n’existent que quand nous transcendons notre sauvagerie originaire. Mais les sentiments primaires sont toujours là, tapis derrière la civilisation. Nous l’observons malheureusement à l’échelle de la vie politique internationale, comme à l’échelle individuelle.
- Vous préparez également une reprise d’un de vos premiers succès au théâtre « On peut se pendre avec sa langue » avec Dominique Fumaroli et Jacques Filippi. De quoi s’agit-il ?
- On critique souvent Facebook. Il est de bon ton de se moquer des réseaux sociaux. Seulement voilà : alors que beaucoup de gens partagent les mêmes niaiseries et sont incapables de s’exprimer sans déblatérer leur haine, il y a des raretés qui méritent vraiment de l’attention. J’ai rencontré Dominique Fumaroli sur Facebook avant de la rencontrer dans la vie. Elle a un humour extraordinaire, et c’est une comédienne redoutable. Je lui ai proposé de reprendre mon texte, joué par Camille Solal en 2009, autour de la violence du langage. Peut-on tuer avec les mots ? C’est un one woman show acide, tissé d’humour noir, qui va comme un gant à Dominique. On le croirait écrit pour elle ! Jacques Filippi, que j’admire pour son art de la mise en scène, collabore avec nous sur ce projet.
- Beaucoup d’artistes, de créateurs, ne parviennent pas à se produire, à être édités ou visibles. En tant que psychanalyste et qu’auteur, quel est le secret de votre réussite ?
- Je ne travaille qu’avec des travailleurs. Il y a beaucoup de paresseux dans nos métiers, des velléitaires qui se plaignent de leurs échecs, mais qui préfèrent la plainte à la remise en question. Ecrire, jouer la comédie, inventer des films ou des spectacles nécessite de dire une vérité, de faire preuve d’une transparence impudique. Ce sont des activités interdites aux gens qui ne veulent rien donner d’eux-mêmes, sous couvert de grandes tirades. Il vaut mieux qu’ils restent planqués. Cela dit, je dirais aussi que le système est impitoyable. Il y a d’un côté, les héritiers qui font des films grâce au réseau de papa, de l’autre côté, les influenceurs qui cherchent à être célèbres en faisant des selfies. Certains jeunes suivent leur exemple. Cela donne une société de l’image, à la fois ultra-narcissique et creuse. Cela n’a strictement rien à voir avec la création.
- Que pouvons-nous vous souhaiter pour 2023 ?
- De ne pas attendre que le ciel m’aide pour réaliser mes projets… On parle de fin du monde à tort et à travers. Pour beaucoup, c’est un alibi pour être pessimiste et attendre que ça passe… L’existence est très courte. Il faut se donner la peine de vivre.
Propos recueillis par N.M.