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Jean-Félix Acquaviva : « Macron a commis une faute politique en oubliant le groupe LIOT »


Nicole Mari le Mercredi 30 Août 2023 à 20:01

Le groupe LIOT a été exclu de l’initiative politique d’Emmanuel Macron auprès des partis d’opposition qu’il a réuni ce mardi après-midi pour leur proposer de construire ensemble les prochains textes législatifs. Pour Jean-Félix Acquaviva, député de la 2ème circonscription de Haute-Corse, membre du groupe LIOT, c’est une faute politique et une sanction contre un groupe parlementaire qui a failli faire tomber le gouvernement avec sa motion de censure sur les retraites. Il explique à Corse Net Infos que cette affaire ne préjuge néanmoins pas de la poursuite du processus de discussions sur l’autonomie de la Corse. Le Président de la République devrait s’exprimer à ce sujet début octobre.



Jean-Félix Acquaviva, député de la 2ème circonscription de Haute-Corse, membre du groupe LIOT, conseiller territorial Femu a Corsica.
Jean-Félix Acquaviva, député de la 2ème circonscription de Haute-Corse, membre du groupe LIOT, conseiller territorial Femu a Corsica.
- Le groupe LIOT a été exclu de l’initiative politique du président Macron qui réunit les partis d’opposition. Comment réagissez-vous ?
- A ce stade, cet épisode est, pour le moins, une faute politique. D’une part, parce que vouloir d’un côté parler de rassemblement des forces politiques à des fins de travail en commun pour des textes législatifs, voir préparer des référendums, et ne pas associer un groupe parlementaire de 21 membres qui est l’émanation de la démocratie et qui, aujourd’hui, dans le contexte d’une majorité très relative à l’Assemblée nationale, compte pour faire et défaire des majorités selon les textes de loi et les projets, c’est une faute politique ! C’est à tout le moins un manque de réalisme, peut-être un excès d’orgueil lié au fait que nous avons porté la motion de censure et fédérer les forces face à ce qui nous apparaissait et qui nous apparaît toujours comme une réforme des retraites injuste. D’autre part, justifier que ce sont les partis politiques, qui ont un groupe parlementaire, qui sont invités, et pas les groupes parlementaires en tant que tels, je fais remarquer que dans notre groupe, il y a plusieurs députés qui sont membres de partis politiques. Concernant les députés nationalistes corses et Paul Molac, nous faisons partie de Régions et Peuples solidaires (R&PS), qui est une fédération de partis qui a au moins cinq parlementaires, quatre députés et un sénateur, Paulu Santu Parigi, et une dizaine d’affiliés politiques. Ce parti est reconnu juridiquement à l’échelle française puisqu’il émarge au financement des partis politiques français. Même cette excuse-là ne vaut pas !
 
- Quelle va être votre attitude désormais ?
- Nous avons communiqué. Nous sommes droits dans nos bottes. Nous sommes déterminés à continuer à être ce que nous sommes, c’est-à-dire un groupe d’opposition à des orientations économiques, sociales et politiques d’ensemble de la majorité présidentielle qui ne nous conviennent pas. Nous sommes aussi un groupe capable de construire des compromis, ce qui suppose des pas des uns vers les autres, et donc une capacité y compris du gouvernement et de l’État à pouvoir tendre la main de manière sérieuse, et pas factice, sur des projets de fond. À ce moment-là, nous serions au rendez-vous.
 
- Au-delà de votre exclusion, que pensez-vous de cette initiative présidentielle qui fait suite à tant d’autres qui ont fait flop. N’est-ce pas de la poudre aux yeux ?
- Globalement, il y a une grande part de communication - c’est évident ! - mais aussi une part de nécessité. Le Président de la République est dos au mur d’une majorité très relative qui en devient une minorité présidentielle, et de jeux politiques internes de pré-positionnement par rapport aux présidentielles de 2027. On voit les nuances d’interprétation sur certains sujets d’actualité graves avec Gérald Darmanin et les positionnements politiques sur les rendez-vous de la rentrée, le Président de République est obligé de prendre une initiative. Dans cette obligation, qui était tracée et dont on savait qu’elle devait avoir lieu puisqu’il l’avait annoncée. Il y a, dans l’éviction de LIOT, une part de calcul, mais qui nous renforce en termes de soutiens. Les retours, que nous avons, montrent que l’opinion, les réseaux sociaux et la communication journalistique taclent le caractère inacceptable de cette éviction. C’est une faute politique aussi du point de vue de son impact sur l’opinion, ou alors c’est une faute technocratique de l’entourage du Président de la République, c’est-à-dire des conseillers de l’État profond qui lui font commettre, encore une fois, un péché d’orgueil, de tour d’ivoire. Ce n’est pas impossible non plus !

Le groupe LIOT.
Le groupe LIOT.
- Le président Macron parle de référendum, de travail sur des textes institutionnels… Votre éviction n’est-elle pas de mauvais augure dans le cadre du processus de négociation sur l’autonomie de la Corse ?  
- A ce stade, je pense qu’il ne faut pas tirer la charrue avant les bœufs ! On sait très bien que concernant la Corse, le rendez-vous attendu du président Macron – sans préjuger de ce qu’il va dire sur le fond, mais en termes de fenêtre d’intervention - se situe autour des dates symboliques liées aux 65 ans de la Constitution de 1958 et aux 80 ans de la libération de la Corse. On suppose qu’il y aura, à cette occasion, un discours dédié, propre à la Corse, attendu de toute façon après l’offre de projet d’autonomie de l’Assemblée de Corse contenue dans la délibération du 5 juillet dernier. Je pense qu’il ne faut pas tout mélanger. Nous verrons bien. Je préfère attendre ce rendez-vous là pour me prononcer sérieusement plutôt que de tirer des plans sur la comète.

- Depuis l’envoi de la délibération, avez-vous eu un contact ou des retours du gouvernement ?
- Non ! Le prochain contact est connu : c’est la venue de Gérald Darmanin, le 5 septembre, aux journées parlementaires du groupe LIOT en Guadeloupe. Un rendez-vous où nous serons présents évidemment. Dans la réunion de travail prévue avec le ministre, le sujet de la Corse sera abordé de manière spécifique, comme il en a été convenu avec le groupe LIOT.
 
- Le Président vous boycotte, son ministre assiste à vos journées parlementaires, le message est contradictoire. Qu’est-ce que cela signifie ?
- A ce stade, nous n’allons pas rentrer dans le décryptage des jeux internes à la majorité présidentielle, y compris d’ailleurs sur une initiative du président Macron ! On vient d’entendre que sa proposition de référendum sur des sujets sociétaux et institutionnels, qu’il avait pré-positionnée dans ses discussions avec les forces d’opposition et la majorité présidentielle, ne revêt pas l’assentiment, ni du MoDem, ni d’Horizons, ni même d’une partie de Renaissance. On voit bien que le Président de la République est obligé de prendre des initiatives, mais que ces initiatives ne vont pas de soi au sein même de son propre camp. Nous sommes dans un contexte où chacun se pré-positionne par rapport aux présidentielles de 2017 et aux Européennes de 2024. Cela veut dire que nous sommes dans un jeu où il y a des lignes rouges. Pour ma part, j’en reste, pour ne pas perdre le Nord, - et le Nord, c’est uniquement la défense des intérêts supérieurs de la Corse et des Corses -, à des rendez-vous factuels et institutionnels.
 
- La venue de Gérald Darmanin aux journées du groupe LIOT vous parait-elle, dans ce contexte, plutôt positive ?
- Quand Gérald Darmanin, quelque soit sa motivation, se rend, au nom du gouvernement, aux journées parlementaires du groupe LIOT, cela revêt forcément une dimension forte puisqu’il est ministre de l’Intérieur, ministre des Outre-mer et ministre de la Corse. À partir de là, la dimension politique de sa venue est certaine. Pour notre part, nous serons factuels, nous jouerons le jeu du dialogue avec vigilance, détermination, sans compromission, mais avec la nécessité tout de même de trouver un compromis politique dans le droit fil de la politique du Conseil exécutif, de Gilles Simeoni. Suite à la délibération du 5 juillet dernier, notre volonté, lors de cette rentrée politique, est de clarifier la place de la Corse dans la réforme constitutionnelle, si elle a lieu, et son calendrier. Voilà dans quel état d’esprit nous abordons ce rendez-vous avec évidemment en point de mire le deuxième rendez-vous, le discours du chef de l’État et son positionnement sur le sujet corse.

Le Comité stratégique sur l’avenir de la Corse se réunit à l’hôtel Beauvau à Paris.
Le Comité stratégique sur l’avenir de la Corse se réunit à l’hôtel Beauvau à Paris.
- En juillet, en Kanaky, le Président Macron, censé « ouvrir une nouvelle page », est resté sur un discours très convenu, sans un mot sur la Corse. Cela vous inquiète-t-il ?
- Encore une fois, sur ce plan-là, je vais allier à la fois la prudence et la détermination. La prudence parce que sans vouloir préjuger des positions de l’Élysée, il nous apparaît que le chef de l’État n’a pas voulu mélanger les sujets de la Kanaky et des Outre-mer avec la Corse. D’un point de vue formel, il ne nous paraît pas étonnant que la Corse n’ait pas été citée. Le deuxième point est que les conditions politiques territoriales en Kanaky d’un accord entre les forces politiques indépendantistes et non-indépendantistes sur un projet convergent ou largement majoritaire, ou tout au moins consensuel, sont moins assurées qu’en Corse, malgré les vicissitudes. Sur l’autonomie, 75% de l’Assemblée de Corse, majorité territoriale et opposition comprise, se sont manifestés à travers un vote clair, et il y a encore de la latitude pour aller au-delà. Ce n'est pas le cas en Kanaky où il y a des désaccords assez profonds entre indépendantistes et non-indépendantistes sur le corps électoral, avant même d’aborder la question du futur statut et de la place de la Kanaky dans la Constitution. Autrement dit, il me semble qu’il était compliqué pour le Président de la République de parler de la Corse dans ce contexte-là et de faire, du point de vue de la démocratie territoriale des pays concernés, une comparaison parfaite entre ces deux pays. Il faut être prudent parce qu’effectivement nous avons noté, dans le discours présidentiel, des éléments de langage forts qui peuvent être critiqués. Prudent aussi parce qu’il ne faut pas mélanger les genres, les situations et les territoires, même si nous sommes solidaires du peuple kanak. Concernant la Corse, le moment va arriver. Nous espérons que cette fois-ci, ce ne sera pas un rendez-vous manqué, tel qu’il y en a eu sous les mandatures Macron. En particulier, en février 2018, le rendez-vous a été manqué, non pas du fait des élus corses ou de la majorité territoriale de l’époque, mais d’un discours guerrier et peu à propos, à l’occasion de la commémoration des 20 ans de l’assassinat du préfet Claude Érignac.
 
- Qu’attendez-vous réellement de ce rendez-vous d’octobre ?
- Nous souhaitons que ce rendez-vous ouvre la voie d’une solution politique autour de l’autonomie, d’autant plus que l’on voit chaque jour des sujets très concrets, économiques et sociaux, qui ne peuvent pas être réglés de manière satisfaisante en faveur de l’intérêt de la Corse à cause d’un manque d’autonomie, c’est-à-dire d’un manque de capacité à décider territorialement. Je vais prendre deux exemples. Le premier est la répression qui se fait jour sur le crédit d’impôt Investissement corse pour les entreprises. Comme Bercy a réduit la voilure des dépenses éligibles pour les entreprises qui investissent notamment dans des travaux de rénovation et de modernisation, les finances publiques, soit ne payent plus rien, soit font des contrôles sur le terrain et récupèrent des sommes qui, il y a deux ans, était jugées normales. Ce qui met un coup d’arrêt aux investissements, notamment des TPE-PME. Si nous avions l’autonomie, l’Assemblée de Corse aurait la capacité juridique, claire, conforme au Conseil constitutionnel, à adapter le crédit d’impôt investissement Corse aux réalités des dépenses d’investissement des entreprises. On ne serait pas dans la politique répressive actuelle, mais dans une politique fluide d’adaptation aux comportements d’investissement. Là il y a un coût d’arrêt de Bercy, une récupération des sommes et une déstabilisation des entreprises, que ce soit dans l’agro-alimentaire, la viticulture, l’hôtellerie… et cela pose un problème d’adaptation de la règle que ne peut solder que l’autonomie législative. Le deuxième point est la mission proposée en Polynésie et pour les Outre-mer sur les monopoles économiques. Le gouvernement et Bruno Le Maire avaient promis de transmettre un rapport de la concurrence à la collectivité de Corse sur le sujet.
 
- Le rapport n’a-t-il toujours pas été transmis ?
- Non ! Ce rapport permettrait de savoir ce qu’il faut faire en cas d’abus de position dominante, notamment dans la distribution du carburant, et ce qu’il faudrait en conclure en termes de politiques publiques de régulation que pourraient prendre le gouvernement par le Code de commerce. Par exemple, la régulation du prix des carburants, mais aussi d’un certain panier de produits de consommation courante pour essayer de réduire l’inflation, et surtout la part de l’inflation liée aux surcoûts de l’insularité et aux abus de position dominante. Non seulement le rapport n’a pas été transmis, mais le gouvernement, chaque fois que nous l’avons sollicité à travers la loi de finances au Parlement, en 2022 et 2023, a botté en touche et joué le silence. On voit bien que le pouvoir central technocrate ne résout pas un problème concret vécu par les Corses au quotidien, et qui influe aussi par l’inflation sur la saisonnalité touristique. La capacité à réguler les prix ne peut être donnée que par l’autonomie législative. Ces deux sujets pèsent sur la rentrée économique et sociale. Le poids aujourd’hui des liquidations d’entreprises, le nombre d’entreprises en difficulté qui se retrouvent dans les tribunaux de commerce, la baisse du pouvoir d’achat des insulaire démontrent qu’il ne faut pas trop tarder à avoir une solution politique. Une solution aussi pour régler la question linguistique, culturelle, le droit au logement, la spéculation foncière et immobilière, comme les questions concrètes d’inflation et d’investissement des entreprises. A l’aune de cette rentrée économique et sociale qui va être difficile, nous voulons dire aux Corses que l’autonomie et la question économique et sociale sont intimement liées. Plus on ira vite, mieux ce sera pour que les Corses maîtrisent les règles à adapter à leur devenir.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.