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Huiles essentielles : une filière d'avenir dans un contexte difficile


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Lundi 8 Mai 2023 à 08:04

L’APROHEC – Association des producteurs d’huiles essentielles de Corse – est née il y tout juste un an. Avec sa trentaine d’adhérents, elle regroupe les deux-tiers des producteurs d’huile essentielle de Corse et une petite partie des apporteurs. Vendredi 5 mai, elle tenait son Assemblée générale à la station ODARC d’Altiani. L’occasion de faire le point sur ce secteur d’avenir et sur les projets et réflexions en cours, en particulier la création d’une IGP pour l’emblématique “immortelle de Corse”.



Crédit photo Maeva Luigi
Crédit photo Maeva Luigi

A maredda, “l’immortelle de Corse”, est bien connue du grand public. Son nom fait rêver à l’éternelle jeunesse. On lui prête bien des vertus, principalement dans le domaine des soins de la peau : effets anti-œdème – on l’utilise dans des traitements post-traumatiques –, effets anti-hématomes, cicatrisant cutané. Elle fluidifie la circulation sanguine. C’est également un antalgique et ses vertus apaisantes sont aussi utilisées en psychiatrie. Enfin, ses propriétés sont mises à profit dans le traitement des maladies nosocomiales. Sans compter son effet anti-âge !

 

La Corse, berceau biogéographique de l’immortelle de Corse

Sous espèce de l’helichrysum italicum, l’helichrysum italicum italicum est répandue dans une bonne partie du bassin méditerranéen – de la Provence à la Toscane, en passant par les Baléares, la Sicile ou la Crète, et même le Maroc. Mais si la Corse dispose de centaines et de centaines de “spots”, ils se comptent sur les doigts de la main dans les autres régions. Bref, résume Michel Dubost, Président de l’APROHEC et producteur d’huile essentielle dans le Cap, « la Corse est le berceau biogéographique de cette espèce. Elle pousse jusqu’au pied du Monte Cintu ! » Au point que l’appellation “immortelle de Corse” est entrée dans le langage commun. 

Cela veut-il dire que cette immortelle aux multiples bienfaits peut être cueillie et servir à la préparation d’huiles essentielles tout autour de la Méditerranée ? Pas vraiment. 

 

Le lien fondamental entre la plante et le territoire

« Une plante produit des huiles essentielles en réponse aux stress environnementaux : le vent, la chaleur, l’excès d’humidité, les bactéries, les parasites…, explique Michel Dubost. Elle les secrète comme un médicament en réponse aux agressions. » Ainsi, ce qui fait les propriétés de l’huile essentielle, ce n’est pas la plante elle-même, mais la combinaison de cette plante et du territoire sur lequel elle a poussé. 

On a ainsi identifié dans l’huile essentielle d’immortelle corse poussant en Corse, 150 molécules de type différent :notamment l’acétate de néryle qui en représente de 30 à 40 %, les italidiones – aux effets anti-âge –, ou encore des composés curcumènes... Une composition qui diffère de celle par exemple qui est produite dans les Balkans, où l’on cultive et exploite maintenant l’immortelle de Corse. « La molécule principale, chez eux, c’est l’alpha-pinène, qui a des propriétés antibactériennes », explique le Président de l’APROHEC. 

 

Une triple tromperie…

La notoriété de notre immortelle a en effet conduit la concurrence à se lancer dans ce secteur à forte valeur ajoutée. Dans les Balkans, mais pas seulement : sur le continent, en Provence notamment, produire de l’huile essentielle d’immortelle corse” fait aujourd’hui recette. Jouant sur une appellation qui prête à confusion, elle conduit à « une triple tromperie. Tromperie sur le contenu, puisque les compositions diffèrent ; sur l’origine, puisque ces immortelles ne sont pas corses ; et sur les prix », accuse Michel DubostCar les grandes marques qui, auparavant, achetaient leurs huiles essentielles en Corse, les font maintenant venir des Balkans ou de Provence, où les coûts de production sont inférieurs – en Corse, outre le surcoût de l’insularité, l’essentiel du travail est fait à la main, surtout dans les petites exploitations qui sont les plus nombreuses. Pour autant, ces grandes marques n’ont pas baissé leurs prix qui restent très élevés


 

Le long processus de l’obtention d’une IGP

« Nous voulons rapatrier le nom d’immortelle de Corse à la maison », affirme avec détermination Michel Dubost. Et pour cela, quel meilleur outil qu’une “Indication Géographique Protégée”, qui établit justement ce lien entre un produit et un territoire ?  

L’IGP permettra de définir le produit et de le protéger au niveau commercial, en réponse à la triple tromperie qui met à mal la production corse. « Celà va nous permettre d’assainir le marché, en apportant la vérité sur ses origines, sur son contenu également  la qualité de l’huile, sa composition chimique. Ce qui permettra d’arriver à la vérité des prix. » La boucle est bouclée. 

Sans compter que, dans les faits, l’huile essentielle corse est un produit biologique : « Au niveau européen, il n’existe que trois appellations d’huiles essentielles biologiques inscrites selon une règle de qualité ou d’origineexpose Michel Dubost. L’IGP huile essentielle de rose de Damas de Bulgarie, et les AOP huile essentielle de lavande de Haute-Provence et huile essentielle de bergamote de Reggio di Calabria. Notre démarche pour obtenir l’IGP est donc un défi, et pour nous, et pour la Corse ! »

Accompagné par l’INAO de Corse – Institut National des Appellations d’Origine – l’association s’est engagée dans la démarche il y a un an : confection, dans un premier temps, du cahier des charges énumérant les règles auxquelles s’engagent les producteurs pour garantir la qualité du produit ; réalisation d’une étude de faisabilité comprenant une lettre de motivation et une présentation de la situation des producteurs et des marchés. « Nous espérons présenter le dossier à l’INAO à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine ». Ce n’est que la première étape d’un long processus qui prendra encore plusieurs années
 

 

Démontrer scientifiquement les propriétés de l’huile

Mais l’APROHEC ne s’arrête pas làOutre les analyses de l’huile effectuées dans le cadre d’un partenariat avec l’ODARC et l’Université de Corse, elle veut inciter à la réalisation d’essais cliniques – en double aveugle – qui permettront d’étayer scientifiquement ce qui, aujourd’hui n’est que connaissance empirique des propriétés de l’huile : « Il y a des publications scientifiques sur le sujet. Et deux chirurgiens marseillais ont d’ores et déjà effectué un essai clinique sur la propriété phare de l’huile, l’effet anti-œdème. Les résultats ont été publiés en 2007. L’aromathérapie est peu développée en France dans la médecine conventionnelle, mais elle est utilisée à l’hôpital. Les praticiens se sont regroupés dans une association : l’Association française pour l’aromathérapie à l’hôpital. Nous sommes en contact avec eux. Ici aussi, c’est un travail de longue haleine qui devrait déboucher d’ici deux ou trois ans, car c’est une construction collective… et il faut trouver les financements. Mais c’est notre volonté. Parvenir à une vérité sur les propriétés du produit. Nous ferons valider ça par un panel d’experts scientifiques. » Toutes ces informationsseront jointes au dossier de l’IGP. 

 

Dans l’intervalle, l’APROHEC souhaitait déposer la marque “immortelle de Corse” auprès de l’INPI. Mais l’organisme national le lui a refusé, arguant du fait que cela ne serait pas distinctif pour le consommateur : le mot est passé, en quelque sorte, dans le domaine public. « Nous sommes devant une perversion sémantique », s’insurge le Président de l’APROHEC. Choisir de déposer une autre marque ? « Nous allons prendre un peu de temps pour y réfléchir. Quoi qu’il en soit, dès que nous aurons déposé notre dossier IGP, nous n’hésiterons pas à montrer les crocs si certains concurrents abusent », appuie-t-il avec détermination. 

 

La problématique du développement dans un marché très concurrentiel

Il est vrai que la filière traverse aujourd’hui de grandes difficultés. La Corse compte aujourd’hui de l’ordre de 69 producteurs d’huile essentielle, la quasi-totalité d’entre eux produisant de l’huile essentielle d’immortelle. Depuis quelques années, leur nombre a légèrement baissé, mais le secteur attire toujours de nouveaux candidats. Les plantations d’immortelles couvrent près de 500 hectares, pour moitié localisés en Plaine orientale et en Balagne

 

Maîtriser la croissance du secteur

« La projection de la tendance actuelle à cinq ans nous conduiraià 600 hectares. Or on se tire une balle dans le pied en multipliant les surfaces cultivées. Car quand le volume augmente, les difficultés de commercialisation augmentent également. Nous avons donc besoin d’encadrer les producteurs et d’assurer une progression raisonnée dans cette période charnière, en attente de l’IGP. Nous ne sommes pas contre la croissance, mais il faut la faire dans des conditions de développement de la qualité et de cohésion croissante de la filière pour se préparer à l’IGP et mieux se positionner sur le marché. Il nous faut nous discipliner collectivement. »

Dans ce cadre, l’APROHEC réfléchit à des pistes d’entraide et de collaboration entre producteurs : des achats groupés de fourniture, une banque d’informations en ligne rapprochant les producteurs acheteurs de matière première et les vendeurs, des opérations de communication sur les salons… Et pourquoi pas, à plus long terme, une marque d’huile essentielle spécifique, avec la création d’une coopérative : « Cela nous donnerait la force de frappe qu’on peut avoir collectivement, pour trouver de nouveaux marchés et écouler plus facilement les produits. »

 

Une filière d’avenir pour la Corse

Car Michel Dubost en est convaincu, « c’est une filière d’avenir qui répond à des besoins croissants des consommateurs pour le bien-être, la santé, la beauté. Et c’est également un marqueur de la Corse, île de beauté à l’environnement préservé, avec un maquis “territoire de ressources” ». Pour consolider la démarche entreprise, l’APROHEC mise sur le nouveau Plan de développement agricole et rural de la Corse, piloté par l’ODARC, et dans lequel elle se veut force de proposition. « Nous avons besoin d’aide pour résoudre ces problèmes. Nous souffrons d’un manque de formation initiale et continue. Nous avons besoin d’un suivi technique et scientifique. Il faudrait également mieux conseiller les jeunes qui s’installent… »

 

Tout cela prend du temps, d’autant qu’il faut assurer la cohérence de ces différents projets dans un timing adapté. Bref, il faut y réfléchir le plus en amont possible. « Nous allons mener cette réflexion sur les six mois qui viennent et nous devrions faire des propositions plus concrètes sur ces thèmes lors de notre prochaine Assemblée générale, en décembre », conclut le Président de l’Association. 

 

 

La protection de l’immortelle sauvage

La Corse se singularise par le fait que la plus grande partie de l’huile distillée provient encore de plantes cueillies à l’état sauvage, dans un cadre très réglementé : il faut disposer d’autorisations et respecter une Charte de cueillette. Devant le risque que présentait néanmoins un prélèvement trop important sur la nature, la mise en culture de l’immortelle a été encouragée. Elle permet de soulager la partie sauvage – avec juste un prélèvement limité des graines – et de mieux maîtriser la production. Elle sera essentielle pour la traçabilité nécessaire dans le cadre de l’IGP : ce sera une garantie supplémentaire pour le consommateur.