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Gilles Simeoni : « Emmanuel Macron a donné au processus la dimension qu’on attendait »


Nicole Mari le Vendredi 24 Février 2023 à 20:37

La troisième réunion du Comité stratégique sur l’avenir de la Corse, instance de négociation entre la Corse et Paris, qui s’est tenu ce 24 février au ministère de l’Intérieur, après trois mois de suspension, a été ouverte par Emmanuel Macron. Le Chef de l’Etat a, par sa présence et son propos, donné « le geste politique fort » attendu par les Nationalistes. La réunion, qui s’est déclinée en trois temps, s’est poursuivie sur les divers statuts d’autonomie et la question de l’urbanisme. Réactions de Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse, et de Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse.



Troisième comité stratégique sur l'avenir de la Corse, Nanette maupertuis, Gilles Simeoni et Jean-Martin Mondoloni. Crédit photo AFP
Troisième comité stratégique sur l'avenir de la Corse, Nanette maupertuis, Gilles Simeoni et Jean-Martin Mondoloni. Crédit photo AFP
Cette troisième réunion du Comité stratégique sur l’avenir de la Corse, qui s’est déroulée en trois temps, est, de l’avis général, certainement la plus positive de par la venue du Chef de l’Etat qui a passé près d’une heure et demie à échanger avec la délégation insulaire. « Après la décision d’hier conforme à la justice concernant Alain Ferrandi, la venue du Président de la République est, d’un point de vue politique et symbolique, quelque chose d’important et de fort. Au-delà de sa présence, les mots qu’il a choisi de prononcer devant tous les élus de la Corse ont créé une situation politique nouvelle et viennent donner au processus la dimension qu’on attendait depuis le début. Il va falloir préciser tout cela, mais la perspective est ouverte et le ton est donné », commente le président du conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni. « C’est très positif, parce que c’est la première fois qu’un Président de la République intervient directement dans un tel processus de discussion. Il y a déjà eu des cycles d’évolution institutionnelle entre la Corse et Paris, mais jamais un président ne s’est immiscé dans la discussion. Symboliquement, cela envoie un signal très fort », renchérit Nanette Maupertuis, présidente de l’assemblée de Corse. Cette venue, qui avait fuitée, mais que rien ne garantissait, semble être un pas significatif dans la volonté réelle du gouvernement d’avancer sur la question, volonté dont la Corse doutait largement jusqu’à présent.
 
Une responsabilité partagée
Des propos présidentiels, Gilles Simeoni retient trois points essentiels : « D’abord, Emmanuel Macron a confirmé son intention de mener à bien la réforme constitutionnelle en 2024 et d’y inclure la Corse. C’est essentiel parce que sans inclusion dans la révision constitutionnelle, pas de statut d’autonomie ! Ensuite, il a affirmé que les choses ont mûri depuis un an, il a noté une évolution collective de la volonté politique, notamment depuis l’assassinat d’Yvan Colonna et ce qui s’est passé derrière, et aussi un esprit de responsabilité de ne pas retourner vers une logique généralisée de violence. Tout cela, a-t-il expliqué, « nous permet aujourd’hui de dire que le moment est venu de répondre à ce besoin de reconnaissance, d’une langue, d’une culture, d’une histoire ». Ce sont ses mots, j’ai rajouté : d’un peuple. Enfin, le président a convenu que le moment était venu d’inscrire la Corse dans son destin méditerranéen, que toutes les îles de Méditerranée ou presque sont autonomes et qu’il n’avait pas de tabou à parler d’autonomie ». Un échange que Nanette Maupertuis qualifie également de « très ouvert. Emmanuel Macron a repris l’idée de tourner la page, de construire quelque chose de solide et de stable en paix et en responsabilité et que tout pouvait être mis sur la table, sans tabou. Je lui ai dit qu’il était temps d’écrire une nouvelle page entre la Corse et Paris, et que si l’État a souffert, la Corse aussi beaucoup. Et s’il y a des souffrances qui sont structurelles depuis des décennies, la Corse a beaucoup souffert depuis le mois de mars dernier. Je suis satisfaite que l’on se place sur une nouvelle trajectoire de co-construction, et je souscris à l’idée de responsabilité partagée, mais la confiance ne se décrète pas, elle doit se construire. ».
 
De l’audace et de l’innovation
Le président Macron a néanmoins réaffirmé deux lignes rouges, à savoir le maintien de la Corse dans la République et le refus de créer deux catégories de citoyens. « J’ai répondu que, d’une part, personne, dans le cadre de ce processus, ne souhaite discuter de l’indépendance de la Corse, et que, d’autre part, il ne s’agissait pas de créer deux catégories de citoyens, mais de voir comment les citoyens corses peuvent accéder à un certain nombre de droits fondamentaux, comme le droit à la terre et le droit au logement. Ces lignes rouges ne nous dispensent pas de discuter de ce que nous, nationalistes, nous considérons comme fondamental, par exemple la notion de peuple corse, la coofficialité de la langue ou le statut de résident. Nous avons acté de discuter de tout. C’était le sens du texte que j’avais signé avec Gérald Darmanin en mars dernier qui disait clairement qu’il fallait trouver un point d’équilibre entre les lignes rouges et ces points fondamentaux. Tout l’enjeu des discussions à avenir est d’être suffisamment inventif d’un point de vue politique et juridique pour trouver le chemin et des points d’équilibre », explique Gilles Simeoni. La présidente de l’Assemblée de Corse a enfoncé le clou et demandé à Emmanuel Macron « de faire preuve d’audace et d’innovation. Je lui ai rappelé que personne n’est choqué en Europe de l’existence des régions autonomes, c’est le cas de toutes les îles de la Méditerranée, et plus largement ailleurs. Il faut donc qu’on invente quelque chose de nouveau qui permet à la Corse de vivre pleinement son identité, sa culture, et d’embrasser le chemin de la paix et du développement économique. Je lui ai fait remarquer que les statuts d’autonomie n’ont jamais remis en cause l’indivisibilité de la République ».
 
Un calendrier serré
Le président de la République a donné quatre petits mois aux élus corses pour lui présenter un projet, leur fixant rendez-vous en juin. Ce calendrier extrêmement serré et chargé n'effraie pas Gilles Simeoni. « C’est un rétroplanning. À partir du moment où le Président de la République envisage la révision constitutionnelle en 2024, il faut transmettre le texte aux assemblées en fin d’année ou en début d’année prochaine, il faut donc qu’à ce moment-là, le projet pour la Corse soit prêt. Nous serons prêts ! On n'aura sans doute pas épuisé toutes les discussions, mais on va travailler de façon très active, aussi bien au sein de l’assemblée de Corse, de la société civile qu’avec le gouvernement dans le cadre du processus pour poser des jalons ». Et de marteler : « Notre projet est prêt depuis longtemps. Nous nous battons depuis des décennies pour l’autonomie, pour une solution politique et pour la reconnaissance du peuple corse. D’un point de vue opérationnel, j’ai proposé d’abord et naturellement à l’ensemble des Nationalistes de travailler ensemble, y compris sur le statut d’autonomie et sur les contours de la solution globale, pour aller le plus loin possible dans la convergence. Ce projet sera aussi discuté avec l'opposition et les forces politiques qui ne sont pas représentées à l’Assemblée. On va, bien sûr, y inclure la dimension économique et culturelle, cela implique une discussion avec l’ensemble des forces vives. Ces discussions, que nous avons déjà entamées, vont se déployer plus fortement dans les semaines à venir. C’est beaucoup de travail, mais le jeu en vaut la chandelle ! ».

La Corse dans la Constitution
Après ce premier temps élyséen, la réunion a repris son ordre du jour avec un exposé sur les territoires d’outre-mer et les régions ultrapériphériques, celles relevant de l’article 73 et 74, plus le titre spécifique dans la Constitution de la Nouvelle-Calédonie. Le président Simeoni a réaffirmé clairement son souhait « d’une mention de la Corse dans la Constitution à travers un titre consacré à la Corse. On nous a présenté le statut de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie, j’ai tenu à ce que nous présentions le statut des Açores. Même s’il ne s’agit pas de transposer tel ou tel statut, le statut des Açores a l’avantage d’avoir à la fois un article constitutionnel et une loi organique et de poser clairement une répartition des compétences entre les compétences régaliennes de l’État et les compétences de nature législative de l’entité autonome. Nous allons travailler là-dessus, mais aussi sur des dimensions très opérationnelles dans le cas du processus ou hors processus sur notamment les cinq dossiers que nous avons abordé avec Gérald Darmanin, dimanche dernier, en Corse ». Un avis partagé par Nanette Maupertuis : « Ces statuts correspondent à une géographie ou à une histoire particulière. Il y a des idées à prendre, mais en aucun cas, on peut faire un copié-collé d’un statut appliqué ailleurs ».
 
La question de la terre
Le troisième temps de la réunion a été consacré à la question de la spéculation foncière, immobilière et à l’urbanisme avec une analyse des zones en tension touristique présentée par les services de l’Etat et dont les conclusions sont partagées par la délégation insulaire. L’analyse a confirmé sans surprise que les prix dans l’île sont nettement supérieurs à la moyenne nationale, qu’ils sont liés à la rareté de la terre, mais surtout à la dynamique touristique, aux différents dispositifs fiscaux – Scellier, Pinel… - qui ont existé pendant des années et à un taux de résidence secondaire dans le peloton de tête des taux nationaux. « Ce sont des mécanismes de marché très puissants et ce ne sont pas des mesurettes, quelqu’elles soient, qui permettront de réguler le marché foncier et immobilier. Il faut donc, par conséquent, prendre en compte, y compris, dans la réforme constitutionnelle, la nécessité de protéger la terre, l’accession à la propriété, éviter la dépossession des Corses et de mettre en place des dispositifs institutionnels. C’est pour cela qu’il faut un statut », a déclaré la présidente de l’Assemblée de Corse. « La question foncière, avant d’être une question politique, économique, juridique ou fiscale, est avant tout, pour nous, quelque chose d’essentiel qui touche à l’anthropologie et à l’essence de ce que nous sommes collectivement. Y compris dans le texte fondateur, qu’il s’agisse de l’article constitutionnel ou de la loi organique, il faut construire la formulation qui permettra de rappeler, qu’à la base de toutes nos politiques et nos choix en matière de foncier, il y a la conviction d’un lien puissant et indestructible entre le peuple Corse et sa terre », a enchainé le président de l’Exécutif. Avant de faire la comparaison avec les terres coutumières des Kanaks : « Même si la comparaison n'est pas tout à fait la même, le statut de la nouvelle Calédonie a reconnu juridiquement la nature de ce lien et organisé un régime juridique de la terre l’intégrant. Donc, toutes les déclinaisons sont possibles. Y compris le statut de résident, Gérald Darmanin a clairement accepté d’en parler, mais aussi la fiscalité sur les résidences secondaires, le droit de préemption, la mobilisation de tous les outils pour accéder au logement, le foncier agricole, la fiscalité du patrimoine, notamment en matière de succession… Sur tout cela, nous aurons des propositions très concrètes et très opérationnelles ».
 
Au travail !
Le Président de la République pourrait annoncer, le 14 juillet prochain, le lancement de sa réforme constitutionnelle pour l’ensemble des collectivités locales. Les discussions pourraient s’ouvrir en septembre prochain. La prochaine réunion thématique du Comité stratégique est programmée dans 45 jours sur le foncier. D’ici là, d’autres réunions informelles se tiendront. Gilles Simeoni et Gérard Darmanin ont convenu d’un rendez-vous téléphonique lundi. S’il espère que le pas franchi par Emmanuel Macron, ce 24 février, sera « irréversible », le président corse reste néanmoins prudent : « Chat échaudé craint l’eau froide ! Il y a eu quelques fois des espoirs qui ont été sévèrement déçus. On verra dans les semaines à venir comment les choses se passent. En tout cas, nous sommes très déterminés à réussir, à construire cette solution politique et à obtenir le statut d’autonomie pour engager la Corse dans une nouvelle ère parce que nous savons qu’il n’y a pas d’alternative à cette réussite dans l’intérêt de la Corse et du peuple Corse. Donc, au travail ! ».
 
N.M.