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Femu a Corsica : « L’autonomie n’est pas qu’une revendication statutaire, c’est un état d’esprit qui sous-tend notre action »


Nicole Mari le Dimanche 11 Septembre 2022 à 22:17

« Una terra, una lingua, un populu. Autunumia ». C’est sur le site symbolique de la Testa Vintilegna à Figari que le parti de la majorité territoriale, Femu a Corsica, a tenu, dimanche après-midi, à réaffirmer sa détermination à porter le projet d’autonomie de la Corse. Près de 350 militants et sympathisants nationalistes, mais aussi des élus du groupe Fa Populu Inseme et de nombreux maires de la région, étaient présents aux côtés du président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, de la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, et des parlementaires. Le parti autonomiste a annoncé un calendrier de travail : un séminaire à Corti début octobre et un Giru paisanu è citadinu pour impliquer les Corses dans le processus. Explications pour Corse Net Infos du Secretariu Naziunale de Femu a Corsica, François Martinetti. Réactions de Gilles Simeoni et de Nanette Maupertuis.



Manifestation de Femu a Corsica à la Testa Vintilegna à Figari.
Manifestation de Femu a Corsica à la Testa Vintilegna à Figari.
- Quel était le but de ce rassemblement à la Testa Vintilegna ?
- C’est un rassemblement populaire qui s’est tenu à l’appel de Femu a Corsica et du groupe Fa Populu Inseme. Etaient évidemment présents : le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, le député Jean-Félix Acquaviva et les conseillers territoriaux. Egalement des militants nationalistes non encartés, le maire de Figari, Jean Giuseppi, qui nous a accueilli sur sa commune et a expliqué l’historique de la Testa Vintilegna, et des maires de la région dont certains ne sont pas nationalistes. Toute la mouvance Femu a Corsica était, donc, représentée, élargie à des sympathisants et des nationalistes du Suttanaccia qui se sentent impliqués dans la démarche que nous portons. L’idée, venue spontanément des cercles militants, était de partir d’un lieu symbolique de la lutte nationale pour évoquer tous les combats que nous avons menés depuis les années 70 :  les combats pour l’environnement, contre la spéculation foncière et immobilière, contre le tourisme de masse... Le but est de réaffirmer les fondamentaux du nationalisme que nous portons « Una terra, una lingua, un populu » avant les discussions avec Paris. Réaffirmer aussi que le statut d’autonomie de plein droit et de plein d’exercice est la meilleure solution pour que l’on retienne ces fondamentaux sur notre terre.
 
- Est-ce une réponse à l’opposition qui estime que l’autonomie ne changera rien et ne fera pas le bonheur des Corses ?
- Oui ! Nous avons voulu réaffirmer le fil historique de notre combat et dire que ce fil historique porte les solutions de demain pour la Corse. Au-delà de la délégation qui se rendra à Paris, le mouvement Femu a Corsica va organiser deux moments forts : un séminaire Autonomia qui nous permettra de cadrer cette autonomie de plein droit et de plein exercice que nous souhaitons, en même temps de la décliner thématiquement et de montrer en quoi l’autonomie est une absolue nécessité pour avancer plus rapidement en termes d’urbanisme, de lutte contre la spéculation, de promotion de la langue, de social... Nous prouverons que l’autonomie, au-delà du message politique qui est le nôtre depuis 60 ans, va améliorer la vie des Corses. Dans la foulée de ce séminaire, nous allons faire une grande campagne de terrain avec un Giru paisanu è citadinu afin de rencontrer la population, de faire de la pédagogie et de vulgariser notre message, mais aussi de prendre en compte les avis et les problématiques des territoires. Il faut être en cohésion avec le peuple qui doit participer à plein à ces discussions.

- Quand allez-vous organiser le séminaire et le Giru ?
- Le séminaire Autonomia sera organisé l’un des deux premiers week-ends d'octobre à Corti. Nous allons travailler en atelier sur les thématiques qui seront discutées avec le gouvernement au même moment. Viendra, dans un second temps, la grosse campagne de communication à l’échelle de la Corse, le Giru qui nous permettra, sur un calendrier d’un an à un an et demi, de rencontrer les Corses. C’est un exercice de vulgarisation à l’échelle du territoire, d’écoute et de démocratie participative pour faire comprendre ce qu’est l’autonomie et que c’est une nécessité absolue pour la Corse.

François Martinetti.
François Martinetti.

- Vous comptez vous appuyer sur ce qui a déjà été fait. C’est-à-dire ?
- Nous voulons faire une démonstration simple à partir de ce qui a déjà été fait dans tous les domaines : l’eau, le foncier, le logement, la langue… Ce qu’on a pu faire avec la Collectivité de Corse, ce que l’on pourrait faire encore mieux et plus largement dans certains domaines. En même temps, faire la démonstration de ce que l’on ne peut pas faire, de ce qui nous bloque aujourd’hui. Par exemple, la revitalisation des villages est bloquée par la Loi Montagne qui est un peu trop contraignante, alors que, par ailleurs, certaines de ses applications, qui sont faites par l’État et la DDTM en particulier, sont trop permissives dans certaines communes. Lecci, Zonza… se sont vues accorder des permissions assez incroyables depuis une dizaine d’années ! Dans le cadre d’une autonomie, la Collectivité aurait son mot à dire pour éviter le mitage horrible de tels lieux. L’autonomie, ce n’est pas qu’une revendication statutaire, c’est aussi un état d’esprit qui anime chacun d’entre nous et sous-tend notre action.
 
- Qu’entendez-vous par là ?
- L’autonomie, c’est bien évidemment un statut qui nous permettra de vivre mieux sur notre terre. En même temps, cela part de nous-mêmes, d’un état d’esprit, de notre volonté d’être des gens autonomes dans nos têtes et de répondre aux problématiques actuelles par des politiques innovantes sur la base de nos fondamentaux. La collectivité de Corse l’a déjà fait. Elle a été en avance par rapport au niveau national concernant la crise des gilets jaunes en mettant en place la conférence sociale. Elle a initié des processus innovants comme « Una Casa per tutti, Una casa per ognuni ». Des lois sont aujourd’hui portées par nos députés, comme le travail effectué par Jean Félix Acquaviva sur la lutte contre la spéculation foncière et immobilière. C’est déjà être autonome par nous-mêmes, grâce à des initiatives citoyennes, militantes, issues du mouvement nationaliste, mais pas que ! Des initiatives viennent aussi de la société civile. Par exemple, l’initiative de terrain « Da per noi » portée par des militants à l’échelle de la Corse, l’initiative « PraticaLingua », un outil d’éducation populaire de corsophonisation de la société, des initiatives de contournement intéressantes comme « Scola Corsa » qui permet à des jeunes Corses d’apprendre les bases de la vie à partir de la langue corse et de devenir des locuteurs affirmés assez rapidement. Ces initiatives prouvent que nous pouvons être innovants. Évidemment, il faut pérenniser tous ces dispositifs, cela demande une relation stable avec l’État, un partage des responsabilités, et une prise de responsabilité ferme de notre part. C’est pour cela que je parle d’état d’esprit. Nous devons être autonomes par nous-mêmes et obtenir ce statut qui nous permettra de continuer à exister.
 
- En même temps, vous restez prudents ? Vous n’y croyez pas ?
- Nous sommes prudents parce qu’il n’y a pas de signes affirmés de l’État. Il y a bien eu ce protocole d’accord historique entre le ministre et le président de l’Exécutif avec des mots forts employés : « une autonomie de plein droit et de plein exercice », « une volonté de résoudre 60 ans de conflit ». C’est la base, mais nous voulons que cette base s’enracine et devienne le document qui transforme la Corse de demain. Aujourd’hui, l’Etat n’a pas donné de signes tangibles concernant, par exemple, la justice et la vérité pour Yvan Colonna. Le syndicat UFAP, qui s’est exprimé, a renforcé nos doutes sur les conditions de l’assassinat d’Yvan Colonna. On pense aussi à la libération des prisonniers politiques, en particulier Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, au sort des anciens prisonniers et à l’inscription au Fijait qui doit être retirée, tout comme les amendes. Nous avons été récemment à la manifestation en soutien à Félix Benedetti. Ce sont des signes que nous attendons à très court terme. Au-delà de ces éléments forts, nous attendons des signes concrets sur les politiques publiques avec des co-financements sur l’eau, les déchets... A l’Assemblée nationale, lors du débat sur la loi du pouvoir d’achat, le gouvernement aurait pu donner un coup de pouce et bloquer les prix de l’essence en Corse, mais il ne l’a pas fait. Nous attendons des signes forts de l’État, à la fois symboliques, politiques, économiques et sociaux. C’est pour ça qu’on reste prudents. On croit au processus. On veut qu’il réussisse. En même temps, la vigilance est de mise.
 
-  Donc, prudents, mais très déterminés ?
- Oui, nous sommes déterminés ! Il s’agit du maintien d’un peuple sur sa terre, de la sauvegarde d’un patrimoine culturel et environnemental et des moyens institutionnels nécessaires pour y arriver. Nous sommes convaincus que cette évolution institutionnelle et la solution politique, qui lui est corrélée, permettront aux Corses de mieux vivre demain, et nous devons le leur faire comprendre. Cela nous permettra d’avancer avec le peuple, car le processus ne sera réussi qu’avec le peuple.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

Gilles Simeoni : « Nous sommes prêts à parler de tout et des enjeux du quotidien, mais nous refusons de ne parler que de cela ! »

Le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse s’est exprimé uniquement in lingua nustrale et a martelé, ce qu’il a appelé, les deux enjeux principaux des discussions : une solution politique globale historique et la nécessité d’engager toute la société corse dans le processus. « Il y a deux niveaux. Le premier est de nous inscrire dans le fil historique du combat du peuple Corse pour sa terre. Cette perspective historique n’est pas condamnée à l’échec. Nous sommes porteurs d’un idéal qui s’inscrit dans le temps : c’est ce qu’incarne, pour nous, le choix de la Testa Vintilegna : la terre, la langue et le peuple. On ne peut pas nous opposer les enjeux du quotidien à ces revendications. Nous sommes prêts à parler de tout et des enjeux du quotidien, mais nous refusons de ne parler que de cela ! Il faut impérativement que la dimension historique du combat soit pleinement intégrée dans le processus qui est aussi là pour construire une solution politique globale à une question qui est posée depuis des décennies. Le second enjeu est de faire en sorte que ce processus ne se limite pas à une discussion entre les élus et le gouvernement. Si on veut vraiment que ce processus atteigne une dimension historique et qu’il réussisse, il faut l’implication de tous les Corses. Il faut en permanence des échanges et des interactions entre la société corse, ses forces vives, économiques, sociales et culturelles, les Nationalistes et au-delà, avec nous qui avons la responsabilité de porter la parole des institutions. Je ne veux pas qu’on se retrouve avec un processus où seulement les élus discutent. La condition de la réussite est d’impliquer tout le monde, y compris la diaspora ».

Nanette Maupertuis : « A droit constant, nous n’arrivons pas à trouver des dispositifs qui permettent de protéger le peuple corse »

Nanette Maupertuis.
Nanette Maupertuis.
La présidente de l’assemblée de Corse a insisté, elle aussi, sur les fondamentaux et sur la nécessité d’impliquer l’ensemble de la société corse, sans cacher son inquiétude. « Il y a trois piliers fondamentaux : l’environnement, la terre, et la langue que nous défendons depuis 60 ans maintenant. Je suis heureuse d’être ici à la Testa Vintilegna qui est, pour nous, un lieu symbolique, mais, en même temps, je suis très inquiète parce que la Testa Vintilegna est un combat qui a été mené, il y a 60 ans, comme l’Argentella à Calvi contre les essais nucléaires, comme le déversement des boues rouges sur les côtes corses, et que nous en sommes encore, 60 ans plus tard, à nous battre pour ces questions environnementales et de spéculation foncière et immobilière. Nous avons fait la démonstration, à travers les différents statuts que nous avons eus, qu’à droit constant, nous n’arrivons pas à trouver des dispositifs qui permettent de protéger le peuple corse. Sur tous ces aspects-là, il faut qu’institutionnellement les lignes bougent. Le projet d’autonomie est attendu, non seulement par les Nationalistes, mais aussi par de nombreux Corses qui l’ont validé à travers les urnes. Je considère que ce projet, qui va être discuté avec l’État, qui est porté par la majorité territoriale et au-delà par d’autres nationalistes, doit aussi être approprié par l’ensemble des Corses. Nous nous inscrivons dans le fil de l’histoire, mais nous sommes aussi à un moment où il faut l’union de toutes les forces vives pour faire en sorte que nous ayons des institutions adaptées à la réalité de notre île, à ses vulnérabilités et à ses potentialités ».