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DOSSIER. Prostitution des mineurs : la Corse n'est pas épargnée


Naël Makhzoum le Dimanche 9 Octobre 2022 à 20:17

En France on estime que plus de 10 000 mineurs se trouvent en situation de prostitution. Il s’agit principalement de jeunes filles âgées de 14 à 17 ans. La Corse n’est pas épargnée selon l'enquête exploratoire présentée par Marie Peretti-Ndiaye, docteur en sociologie, à l'Agora de la Santé organisé du 3 au 6 octobre à Ajaccio.



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C'est un mal qui ne fait pas de bruit. Un tabou invisibilisé qui frappe pourtant, comme le reste du pays, la Corse. La prostitution des mineurs existe. Elle ne se quantifie pas, ne se voit pas et est donc d'autant plus difficile à analyser. Peu d'études sur les personnes en situation de prostitution existent aujourd'hui et les enjeux de santé restent méconnus. Mais Marie Peretti-Ndiaye, docteur en sociologie a tenté de relever ce défi.

En menant sa propre enquête exploratoire sur la prostitution des mineurs et des jeunes adultes, elle a déjà pu observer de plus près le phénomène, bien qu'elle soit toujours en cours et n'ait donc pas encore livré de résultats définitifs. "Mon but est d'apporter des éclairages sur les formes et les modalités de la prostitution des mineurs, particulièrement en Corse", expose la spécialiste au sortir de son intervention lors de l'Agora de la santé.
 
Le nombre de faits avérés est extrêmement faible, presque nul, au regard de la difficulté à déceler ce qui pourrait s'apparenter à de la prostitution de mineurs. Alors après 48 entretiens individuels et collectifs d'une heure et demi à deux heures, Marie Peretti-Ndiaye en apprend déjà plus. "Ce qui en ressort, c’est que beaucoup de gens ont des doutes : sur l’origine d'un bien matériel, les pratiques de certaines personnes, ce qui se passe dans les toilettes de certains collèges, sur certains réseaux sociaux, énumère-t-elle. Il y a des questionnements mais peu d’enquêtes menées à leur terme qui ont pu conduire à des faits avérés."
 
Une soixantaine d'offres cartographiées
 
Car au-delà même du tabou, les entraves au repérage sont nombreuses. Quand ce ne sont pas les techniques utilisées par les jeunes comme l'utilisation d'internet ou de la location de courte durée d'appartement, des questions d'éthique se posent. "Qui est en mesure d'investiguer ? D’aller sur les réseaux sociaux ? De déjouer les tactiques de contournement des jeunes ?", s'interroge la docteure en sociologie. Des acteurs associatifs et institutionnels se sont déjà emparés du sujet. Grâce à un repérage sur les réseaux sociaux, une soixantaine d'offres ont pu être identifiées et cartographiées en Corse. Bien que cela ne reste que des soupçons non avérés, puisqu'on ne peut pas réellement savoir s'il s'agit de mineurs, les annonces affichant toutes un âge minimal de 18 ans pour être publiées.
 
Le problème des techniques émergentes est que les jeunes se retrouvent davantage isolés et subissent de manière beaucoup plus dure le rapport de domination du proxénète. Ce qui diffère avec les pratiques de rue, où l'échange entre prostituées permet de développer des stratégies de protection. D'où la nécessité de déconstruire des représentations collectives qui forment un obstacle supplémentaire au repérage. "Avoir une première image de la prostitution comme étant dans la rue, ce n'est pas favorable à l'appréhension des phénomènes actuels car il y en a très peu en Corse, explique Marie Peretti-Ndiaye. Ça peut se passer en appartement, mais on n'est pas sur les terrains habituels d'intervention sociale."
 
Repérer, définir et accompagner
 
La sociologue martèle que le repérage du phénomène passe par trois axes inévitables. "Être présent dans les lieux où l’offre et la demande se rencontrent ou avoir un lien de confiance très fort avec des mineurs concernés pour les accompagner dans le travail de conscientisation et de verbalisation, détaille-t-elle. Mais aussi être définir ce qu’est la prostitution et être en capacité de voir et d’entendre des réalités extrêmement violentes." 
Ce dernier point fait référence aux professionnels devant affronter ce type de situations. "Il y a un effet de sidération chez certains d'entre eux, des formes de déni, un sentiment d'impuissance, développe Marie Peretti-Ndiaye. Eux aussi doivent être accompagnés."
 
L'accompagnement, justement, est le deuxième pilier majeur de ce chantier. Et la Corse ne part pas de zéro, avec plusieurs ressources déjà mobilisées, à l'image du schéma de la protection de l'enfance mis en place par la Collectivité de Corse. "La délégation aux droits des femmes et à l'égalité informe et sensibilise depuis plusieurs années, notamment par l'intermédiaire de Dominique Nadaud en Haute-Corse, illustre la docteure en sociologie. Le repérage peut aussi se faire grâce à plusieurs acteurs associatifs labellisés « promeneurs du net » assurant une veille et une présence éducative sur les réseaux sociaux, ou des associations, notamment dans les quartiers sud de Bastia, qui ont des médiateurs numériques."
 
Les approches psychotraumatiques, les groupes de pairs ou les savoirs expérientiels font aussi partie des pistes explorées pour lutter contre ce fléau.