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Corse : Des saints pas toujours très "catholiques"


le Dimanche 29 Septembre 2013 à 21:57

On trouve dans les poésies corses de l'évêque de la Foata (né en 1817) des litanies qui évoquent de nombreux saints au nom pas toujours très "catholique". Mais il semble que le fameux "Vescu d'Azilonu" ne soit pas le seul à "jouer avec les saints".



Corse : Des saints pas toujours très "catholiques"
Sur le site du Patrimoine de France on découvre qu'il existe à Cateri (2B) un tableau représentant "l'Assomption de la Vierge avec saint Servant, saint Quilicus, sainte Catherine et deux autres martyrs". Or Quilicus est introuvable hors de Corse: il s'agit en l'occurrence de Saint Cyr (martyrisé sous Dioclétien, en italien San Quirico ou Chirico).
Le même site répertorie parmi les monuments historiques l'église paroissiale "Saint-Gavin" à San-Gavino-di-Carbini (2A) ainsi que diverses œuvres à San-Gavino-d'Ampugnani (2B "église Saint-Gavin"), à Parata (2B "église paroissiale Saint-Gavin"). Or il s'agirait en fait de Sain Gabin, martyrisé en Sardaigne au 4e s.. Le saint est connu sous divers noms, notamment Gavinu et Gavino. Il est honoré surtout en Sardaigne et en Corse (où il a donné le nom de famille fréquent GAVINI).
Il n'existe en fait aucun saint du nom de Gavin, et "Saint Gavin" (pour Saint Gabin) représente une "traduction" française erronée propre à la Corse; l'annuaire insulaire actuel compte une trentaine d'inscriptions avec ce prénom (Gavin, Jean-Gavin, etc.).
En dehors de la Corse, le prénom Gavin est porté dans les pays anglo-saxons (Écosse, Nord Angleterre à l'origine) et correspond en français à Gauvain (popularisé par les romans de la Table Ronde). L'annuaire corse donne le nom de famille GALVANI (issu de Galvano, adaptation italienne de Gauvain) ainsi que GARBANI (très rare en Corse et en Italie) qui représente sans doute une variante (avec l'alternance habituelle l/r et v/b).

Corse, Sardaigne (et Irlande)
Outre les conséquences nées du contact des langues et des cultures, on a une confusion "religieuse" entre deux saints distincts: le saint "sarde" du 4e s. Saint Gabin (San Gavinu) et le saint irlandais du 4e s. Saint Kevin (l'accroissement de fréquence du "prénom à la mode" Kevin –une quinzaine dans l'annuaire- coïncide avec la perte de vitesse de Gavinu et Gavin). La confusion Gabin/Kevin/Gauvain est confirmée dans des sites corses (Adecec) où on donne la même étymologie pour "Santu Gavinu d'Irlanda" et "Santu Gavinu Sardu", et où l'on cite sous la même rubrique des prénoms (Gavin, Gauvain, Gavinu, Galvanu) et des noms (GAVINI, GALVANI) qui ont des origines distinctes.
On note qu'au 16e siècle "le nom curieux de Bainzo [ou Baincio] - unique à Calvi - n'était pas courant en Corse", ainsi que l'existence près de Bonifacio d'"un îlot portant le patronage de San Bainzo" (Battestini, 1968). En fait le saint en question est très présent dans la toponymie, sous diverses formes (Gavinu, Gavingiu, Baingiu, Bavinzu, Bainzu, Bainsu). Aux nombreux San Gavinu (San Gavino) il faut donc ajouter des variantes corses (Ign): Ile San Bainsu (Bonifacio 2A), Bainzo (Pietrosella 2A), Bocca Di San Gavinu (Pietra-Di-Verde 2B), Santo Bavinzo (Ciamannacce 2A). En Sardaigne on dit santugavini (santugaini, santuaini) pour désigner le mois d'octobre (où l'on fête Saint Gabin), et l'annuaire italien répertorie le nom de famille BAINGIU (et les prénoms Baingiu, Baingia).

Des saints improbables ou non-identifiés
Les linguistes les plus confirmés se sont par ailleurs interrogés sur des saints "non identifiés", en relevant des "liens considérables" notamment entre Corse et Sardaigne: "Solo in queste isole si incontrano Santa Mansa (Manza) e San Baingio (S. Bainzo), i cui nomi non sono riportati in alcun onomastikon" (Rohlfs, Grammatica). Outre Santa Manza ou Sant'Amanza (on ne connaît que le masculin Sanctus Amantius) l'auteur cite Santa Servanda (Ign, Santa-Lucia-Di-Mercurio 2B) inconnu ailleurs qu'en Corse (qui pourraient correspondre au masculin Sanctus Servandus). L'auteur note aussi pour San Sebastiano (Italie) l'abréviation corse San Bastiano relevée deux fois; quatre fois pour l'Ign: à Pieve, et Biguglia (2B), et à Appietto et (sous la forme San Bastianu) à Zicavo (2A). D'après le même auteur en Corse "quattro località  …portano il nome del Santo Gavino", c'est-à-dire autant que dans toute l'Italie (3 en Sardaigne et 1 en Toscane). Dans l'ouvrage cité on a des observations concernant des cultes très localisés. Nous y ajoutons quelques autres informations. Santa Severa (Corse du Nord) a en Italie une importance limitée à la Sardaigne et au Latium: la toponymie ne conserve pas d'autre trace de ce culte en dehors des ces 3 régions. San Cervone (Cerbonius) concernerait 2 localités en Corse. En réalité l'Ign en donne 5, 1 en Corse du Sud (à Ocana) et 4 en Corse du Nord (Lento, Gavignano, Rebbia, Rusio, ces deux dernières sous la forme San Cervoni). En Italie on a 1 mention à l'Ile d'Elbe, 1 dans la province de Pise, 1 en Ombrie. Le nom de famille CERVONI (Corse et Italie) pourrait être d'origine toponymique. Saint Luxor est très présent en Sardaigne (San Lussorio, Santu Lussurgiu). En Corse on a (à Valle-di-Mezana 2A) Salusoriu et Bocca di Sarzoggiu. A Pise ou dans les environs on a San Lussorio e San Rossore. Enfin l'auteur cité observe que de nombreux saints sont présents uniquement dans la toponymie sarde, notamment "Sant'Antioco". Or Sant'Antiocu est aussi fêté à Aullène (2A) où une église lui est dédiée. Des actes anciens attestent le prénom Marie Antioche en 1841 à Ajaccio. Le dicton corse "Un' hà bisognu di vutatti à sant'Antiocu" (à l'adresse de "qui jouit d'un excellent appétit") signifie "Tu n'as n'as pas besoin de faire voeu à saint Antiochus", et une chanson (texte publié en 1961 par P.J.Milanini) évoque la foire de Sant'Antiocu: "Cu' dinari e bella lingua / C'è  furtun' in Aullè / Sant'Antiocu bella fiera / Ma per me donn'un ci n'è".

Connaissez-vous Sainte Cerise?
Le domaine en question est inépuisable: les "forums du Web" s'interrogent régulièrement sur l'existence de Sainte Cerise, qui a une statue à Fontaines (Yonne) elle est fêtée localement, dit-on, le 5 octobre comme Sainte Fleur. Des sites très érudits donnent même une liste de "prénoms dérivés" associés à Cerise: "Altéa; Amaryllis; Anthéa; Azalée; Bergamote; Bleuette; Cannelle; Capucine; Dahlia; Daphné; Eglantine; Fleurette; Fleurine; Flore; Florelle; Florenne; Florie; Floris; Fougère; Framboise; Garance; Hortense; Ilana; Jasmin; Ketsia; Kéziah; Lilas; Lis; Lisian; Lotus; Lyla; Lys; Myosotis; Myrtille; Palmyre; Pâquerette; Pervenche; Pimprenelle; Prune; Prunelle; Sakura; Santoline; Vanille; Violaine; Violette; Violine" (nominis.cef.fr). Pour ne pas être en reste, signalons pour notre part Santa Chiarascia, lieu-dit de Sisco (2B) cité par F.S.Biadelli, un notaire du 18e s., ainsi qu'un panneau peint: la "Vierge à l'Enfant" dite la "Vierge à la Cerise" (Piazzali 2B, 14e s.), et un tableau d'autel répertorié par le site du Patrimoine de France: "Vierge à l'Enfant à la cerise" (Soccia 2A, 16e s.). On a le même radical dans noms de famille CHIARASINI, CHIARISOLI. Avant l'imposition par l'Eglise (16e siècle) de prénoms chrétiens, le choix du "nom de baptême" était libre et les prénoms les plus imagés avaient cours. La plupart on disparu, ou subsistent fossilisés dans les noms de familles. Il suffit de parcourir les actes d'état-civil anciens ou même l'annuaire corse actuel pour constater par exemple la popularité du type Fleur (pas forcément inspiré par la religion), basé sur un prénom médiéval issu du latin (flore "fleur") qui a donné (Corse et Italie) les noms de famille FIORI/FLORI. Les noms avec FL- sont des formes latinisantes mais aussi locales. FLORI est fréquent en Toscane, en Sardaigne on a FLORIS et FLORES. Le prénom est bien attesté dans l'annuaire corse sous les formes les plus variées: Fleur, Jean-Fleur, Marie-Fleur, Fleurette, Fleurdépine. Il est fréquent dans les actes anciens (Nord et Sud): Fleur De Pin, Fleur Belle, Ange Fleur, Charles Fleur Tullius, Fleurine, Marie Fleure, Fleurdelis (et Fleur De Lys; Fleur Dolice, Fleur D'Alice…; FIORDELISI est présent en Italie et en Corse).  
J. CHIORBOLI, 25 septembre 2013 (D'après "La légende des noms de famille" 
J.Chiorboli, 2012, Albiana)