Paul Giacobbi, président du Conseil exécutif de l'Assemblée de Corse et député.
- Quel point faites-vous de la situation des transports maritimes et de la SNCM en cette rentrée redoutée ?
- Comme chacun sait, l’entreprise SNCM est au bord de la défaillance. Cette défaillance est même, malheureusement, souhaitable pour que la société puisse repartir sur de nouvelles bases en étant exonérée de plusieurs centaines de millions d’euros de pertes dues notamment, mais pas uniquement, aux décisions de la justice européenne.
- Quel rôle jouera la CTC dans ce scénario-là ?
- D’abord, il n’est pas concevable que l’on continue exactement comme avant. Il faut, à tout le moins, que nous ayons la maîtrise de l’investissement de cette compagnie. Peut-être pas seulement de l’investissement futur, c’est-à-dire des nouveaux bateaux qu’il faudra acheter ! Ce qui est une évidence ! Il n’y a pas d’autre moyen que de passer par une société que nous aurions constituée, une SEM (Société d’économie mixte), pour assurer le financement de l’investissement nouveau. Nous bénéficions, pour cela, de la possibilité de mobiliser les fonds d’épargne sous forme de prêts. Mais, peut-être devrons-nous, également, investir sur l’investissement existant, c’est-à-dire les navires actuels.
- Se pose, alors, la question de la compagnie régionale. Où en êtes-vous de la réflexion à ce sujet ?
- A ce stade, aujourd’hui, nous ne pouvons pas écarter cette solution. Mais, il ne serait pas juste que la CTC ait à supporter le poids de remettre en ordre la SNCM dont la gestion a été catastrophique pendant des années. Nous serions à réparer une mauvaise gestion que nous avons dénoncée et dans laquelle nous ne sommes pour rien ! Je pense que la solution la plus pratique et la plus juste consisterait à ce que nous ayons la maîtrise de l’investissement par l’intermédiaire d’une SEM d’investissements, ce qui est le cas dans nombre de concessions, et qu’un autre exploite la compagnie. Encore faut-il que nous agréions cet exploitant !
- Vous parlez d’un inventaire à la Prévert pour les repreneurs de la SNCM : un Norvégien, des Grecs, des Marseillais… Devez-vous obligatoirement agréer celui qui sera désigné ?
- Si le Tribunal de commerce désigne Tartempion comme repreneur, fort bien ! Il en a le droit. Seulement, Tartempion ne fera d’offre que s’il peut reprendre la Délégation de service public (DSP). Pour avoir la DSP, il faut que la CTC l’agrée. La CTC doit se prononcer sur le choix d’un repreneur et, par conséquent, également, sur le choix du mode d’exploitation, c’est-à-dire assurer elle-même l’exploitation par une société qui serait sa filiale ou, pendant la durée de la DSP, faire assurer l’exploitation par un repreneur.
- Vous avez évoqué l’option de la SPL (Société publique locale) sur le moyen terme. Qu’en est-il exactement ?
- Si la Corse souhaite gérer directement ses transports, elle peut le faire de manière commode par l’intermédiaire d’une SPL qui réunit uniquement des collectivités publiques, essentiellement la CTC, éventuellement une autre… L’intérêt de cette formule est qu’il n’y a pas besoin de faire d’appel d’offres puisque la SPL peut directement prendre en charge la concession de la DSP. C’est une option à envisager parce que la DSP n’est pas éternelle. Si elle n’est pas remise en cause juridiquement, elle durera 9 ans. Si elle est remise en cause, elle durera moins. De toute façon, à son expiration, la CTC aura à se prononcer, tôt ou tard, sur la question de savoir si elle souhaite gérer directement par l’intermédiaire d’une SPL ou déléguer à un exploitant. Il sera, à ce moment-là, plus confortable que la CTC maîtrise l’investissement.
- La DSP n’est-elle pas transférée automatiquement au repreneur ? Est-elle menacée ?
- Elle n’est pas transférée automatiquement. D’abord, l’Union européenne doit accepter que la nouvelle société puisse reprendre la DSP. Ce n’est pas encore joué ! Les choses avancent, mais, pour le moment, sa position n’est pas encore claire là-dessus. Ensuite, Corsica Ferries a déposé un recours contre la DSP. Ce recours prospère. Il est très difficile de garantir que la DSP survivra à l’épreuve de la juridiction administrative. Il y a déjà eu, précédemment, une décision positive du Tribunal, puis négative de la Cour d’appel, à nouveau positive du Conseil d’Etat et, enfin, négative de la Commission européenne ! Il est, donc, difficile de faire des prévisions. C’est une situation pleine d’incertitudes.
- De quelles certitudes disposez-vous ?
- Ce qui est certain, c’est que la situation de la société nécessite une profonde restructuration et qu’il serait injuste que la CTC en assume, à la fois, le risque financier et la responsabilité politique.
- Vous êtes, dites-vous, également certain des dates. Que va-t-il se passer maintenant ?
- On est certain qu’au 31 octobre, la SNCM n’a plus de trésorerie suffisante pour éviter de passer devant le Tribunal de commerce. Si par un artifice quelconque, elle refusait d’y aller, comme nous sommes porteurs de la plus grosse créance, nous estimerions nécessaire de l’y obliger. Il n’y a pas d’autre solution ! Reculer pour moins sauter serait très préjudiciable aux intérêts de la SNCM ! Je rappelle que le Tribunal de commerce est une mesure de protection de l’entreprise. Il va examiner et surveiller la situation de la société, prendre la mesure de l’immensité des pertes, organiser une reprise en cherchant des repreneurs dans les meilleures conditions possibles. Etant entendu que la reprise est subordonnée à la DSP. Personne ne reprendra la SNCM sans la DSP !
- Allez-vous, comme vous ne l’excluez pas, demandé le recouvrement des créances de la CTC ?
- C’est notre devoir ! C’est même plus que cela ! Une décision de justice européenne fait obligation à la SNCM de nous rembourser un montant estimé, aujourd’hui, à 230 millions d’euros. De notre part, nous avons l’obligation de nous faire rembourser cette somme. Si nous ne le faisons pas, si nous ne lançons pas les procédures, nous sommes répréhensibles puisqu’une procédure de manquement est en cours et pourrait, en dernier ressort, mettre en cause la CTC, c’est-à-dire la pénaliser pour ne pas avoir fait opérer ce remboursement.
- Dans ce cas, pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?
- Nous ne l’avons pas fait jusqu’à présent pour ne pas précipiter la chute puisque les uns et les autres pensaient qu’il fallait retarder la chute ! Nous avons bien voulu accepter de jouer le jeu et de donner toutes les chances possibles à d’autres solutions. On voit bien qu’il n’y en a pas d’autres ! Dès que le Tribunal de commerce sera saisi, il nous demandera si nous avons des créances. Comme nous sommes le plus gros créancier, nous serons amenés à écrire, selon les procédures habituelles, pour indiquer notre créance qui vient d’une décision de justice.
- Fin octobre, doit-on craindre une nouvelle grève, un nouveau blocage de la Corse ?
- On peut toujours craindre ! Mais ce serait, pour la SNCM, un suicide complet ! La SNCM est dans une situation où il faut trouver une solution de reprise quelqu’elle soit. Il faut trouver une poursuite d’exploitation. Si, dans cette situation, l’entreprise se met, de surcroît, à faire grève, elle est vouée à la liquidation et à la disparition pure et simple. Elle ne pourra pas survivre à une nouvelle grève ! Quel repreneur voudrait d’une société qui n’a plus d’activité et qui serait soumise à des grèves permanentes ! Ça n’a plus de sens !
- Vous avez redemandé à l’Etat des garanties de libre circulation en cas de grève. Etes-vous sceptique sur sa réponse ?
- Je ne suis pas sceptique ! Le 1er ministre s’est engagé. La dernière fois, le ministre des Transports s’était aussi engagé, cela ne nous avait pas avancé beaucoup plus ! Donc, je l’ai dit et redit à tous les niveaux de l’Etat et même au plus haut.
- Etes-vous inquiet de la situation ?
- Il y a de quoi être inquiet ! Il y a deux questions fondamentales. D’abord, la question de l’emploi : il faut réussir à préserver le maximum d’emplois de cette compagnie, malheureusement l’absence de décisions, le temps passé, n’a pas favorisé leur sauvetage. Ensuite, nous sommes inquiets pour la continuité du service public de la Corse, notamment en matière de marchandises. Il faut absolument que tout le monde soit raisonnable. Le problème de cette affaire est qu’on a attendu des années avant de se décider à faire les choses. Si on nous avait écouté, déjà il y a deux ans, on n’en serait pas là aujourd’hui !
Propos recueillis par Nicole MARI.
- Comme chacun sait, l’entreprise SNCM est au bord de la défaillance. Cette défaillance est même, malheureusement, souhaitable pour que la société puisse repartir sur de nouvelles bases en étant exonérée de plusieurs centaines de millions d’euros de pertes dues notamment, mais pas uniquement, aux décisions de la justice européenne.
- Quel rôle jouera la CTC dans ce scénario-là ?
- D’abord, il n’est pas concevable que l’on continue exactement comme avant. Il faut, à tout le moins, que nous ayons la maîtrise de l’investissement de cette compagnie. Peut-être pas seulement de l’investissement futur, c’est-à-dire des nouveaux bateaux qu’il faudra acheter ! Ce qui est une évidence ! Il n’y a pas d’autre moyen que de passer par une société que nous aurions constituée, une SEM (Société d’économie mixte), pour assurer le financement de l’investissement nouveau. Nous bénéficions, pour cela, de la possibilité de mobiliser les fonds d’épargne sous forme de prêts. Mais, peut-être devrons-nous, également, investir sur l’investissement existant, c’est-à-dire les navires actuels.
- Se pose, alors, la question de la compagnie régionale. Où en êtes-vous de la réflexion à ce sujet ?
- A ce stade, aujourd’hui, nous ne pouvons pas écarter cette solution. Mais, il ne serait pas juste que la CTC ait à supporter le poids de remettre en ordre la SNCM dont la gestion a été catastrophique pendant des années. Nous serions à réparer une mauvaise gestion que nous avons dénoncée et dans laquelle nous ne sommes pour rien ! Je pense que la solution la plus pratique et la plus juste consisterait à ce que nous ayons la maîtrise de l’investissement par l’intermédiaire d’une SEM d’investissements, ce qui est le cas dans nombre de concessions, et qu’un autre exploite la compagnie. Encore faut-il que nous agréions cet exploitant !
- Vous parlez d’un inventaire à la Prévert pour les repreneurs de la SNCM : un Norvégien, des Grecs, des Marseillais… Devez-vous obligatoirement agréer celui qui sera désigné ?
- Si le Tribunal de commerce désigne Tartempion comme repreneur, fort bien ! Il en a le droit. Seulement, Tartempion ne fera d’offre que s’il peut reprendre la Délégation de service public (DSP). Pour avoir la DSP, il faut que la CTC l’agrée. La CTC doit se prononcer sur le choix d’un repreneur et, par conséquent, également, sur le choix du mode d’exploitation, c’est-à-dire assurer elle-même l’exploitation par une société qui serait sa filiale ou, pendant la durée de la DSP, faire assurer l’exploitation par un repreneur.
- Vous avez évoqué l’option de la SPL (Société publique locale) sur le moyen terme. Qu’en est-il exactement ?
- Si la Corse souhaite gérer directement ses transports, elle peut le faire de manière commode par l’intermédiaire d’une SPL qui réunit uniquement des collectivités publiques, essentiellement la CTC, éventuellement une autre… L’intérêt de cette formule est qu’il n’y a pas besoin de faire d’appel d’offres puisque la SPL peut directement prendre en charge la concession de la DSP. C’est une option à envisager parce que la DSP n’est pas éternelle. Si elle n’est pas remise en cause juridiquement, elle durera 9 ans. Si elle est remise en cause, elle durera moins. De toute façon, à son expiration, la CTC aura à se prononcer, tôt ou tard, sur la question de savoir si elle souhaite gérer directement par l’intermédiaire d’une SPL ou déléguer à un exploitant. Il sera, à ce moment-là, plus confortable que la CTC maîtrise l’investissement.
- La DSP n’est-elle pas transférée automatiquement au repreneur ? Est-elle menacée ?
- Elle n’est pas transférée automatiquement. D’abord, l’Union européenne doit accepter que la nouvelle société puisse reprendre la DSP. Ce n’est pas encore joué ! Les choses avancent, mais, pour le moment, sa position n’est pas encore claire là-dessus. Ensuite, Corsica Ferries a déposé un recours contre la DSP. Ce recours prospère. Il est très difficile de garantir que la DSP survivra à l’épreuve de la juridiction administrative. Il y a déjà eu, précédemment, une décision positive du Tribunal, puis négative de la Cour d’appel, à nouveau positive du Conseil d’Etat et, enfin, négative de la Commission européenne ! Il est, donc, difficile de faire des prévisions. C’est une situation pleine d’incertitudes.
- De quelles certitudes disposez-vous ?
- Ce qui est certain, c’est que la situation de la société nécessite une profonde restructuration et qu’il serait injuste que la CTC en assume, à la fois, le risque financier et la responsabilité politique.
- Vous êtes, dites-vous, également certain des dates. Que va-t-il se passer maintenant ?
- On est certain qu’au 31 octobre, la SNCM n’a plus de trésorerie suffisante pour éviter de passer devant le Tribunal de commerce. Si par un artifice quelconque, elle refusait d’y aller, comme nous sommes porteurs de la plus grosse créance, nous estimerions nécessaire de l’y obliger. Il n’y a pas d’autre solution ! Reculer pour moins sauter serait très préjudiciable aux intérêts de la SNCM ! Je rappelle que le Tribunal de commerce est une mesure de protection de l’entreprise. Il va examiner et surveiller la situation de la société, prendre la mesure de l’immensité des pertes, organiser une reprise en cherchant des repreneurs dans les meilleures conditions possibles. Etant entendu que la reprise est subordonnée à la DSP. Personne ne reprendra la SNCM sans la DSP !
- Allez-vous, comme vous ne l’excluez pas, demandé le recouvrement des créances de la CTC ?
- C’est notre devoir ! C’est même plus que cela ! Une décision de justice européenne fait obligation à la SNCM de nous rembourser un montant estimé, aujourd’hui, à 230 millions d’euros. De notre part, nous avons l’obligation de nous faire rembourser cette somme. Si nous ne le faisons pas, si nous ne lançons pas les procédures, nous sommes répréhensibles puisqu’une procédure de manquement est en cours et pourrait, en dernier ressort, mettre en cause la CTC, c’est-à-dire la pénaliser pour ne pas avoir fait opérer ce remboursement.
- Dans ce cas, pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?
- Nous ne l’avons pas fait jusqu’à présent pour ne pas précipiter la chute puisque les uns et les autres pensaient qu’il fallait retarder la chute ! Nous avons bien voulu accepter de jouer le jeu et de donner toutes les chances possibles à d’autres solutions. On voit bien qu’il n’y en a pas d’autres ! Dès que le Tribunal de commerce sera saisi, il nous demandera si nous avons des créances. Comme nous sommes le plus gros créancier, nous serons amenés à écrire, selon les procédures habituelles, pour indiquer notre créance qui vient d’une décision de justice.
- Fin octobre, doit-on craindre une nouvelle grève, un nouveau blocage de la Corse ?
- On peut toujours craindre ! Mais ce serait, pour la SNCM, un suicide complet ! La SNCM est dans une situation où il faut trouver une solution de reprise quelqu’elle soit. Il faut trouver une poursuite d’exploitation. Si, dans cette situation, l’entreprise se met, de surcroît, à faire grève, elle est vouée à la liquidation et à la disparition pure et simple. Elle ne pourra pas survivre à une nouvelle grève ! Quel repreneur voudrait d’une société qui n’a plus d’activité et qui serait soumise à des grèves permanentes ! Ça n’a plus de sens !
- Vous avez redemandé à l’Etat des garanties de libre circulation en cas de grève. Etes-vous sceptique sur sa réponse ?
- Je ne suis pas sceptique ! Le 1er ministre s’est engagé. La dernière fois, le ministre des Transports s’était aussi engagé, cela ne nous avait pas avancé beaucoup plus ! Donc, je l’ai dit et redit à tous les niveaux de l’Etat et même au plus haut.
- Etes-vous inquiet de la situation ?
- Il y a de quoi être inquiet ! Il y a deux questions fondamentales. D’abord, la question de l’emploi : il faut réussir à préserver le maximum d’emplois de cette compagnie, malheureusement l’absence de décisions, le temps passé, n’a pas favorisé leur sauvetage. Ensuite, nous sommes inquiets pour la continuité du service public de la Corse, notamment en matière de marchandises. Il faut absolument que tout le monde soit raisonnable. Le problème de cette affaire est qu’on a attendu des années avant de se décider à faire les choses. Si on nous avait écouté, déjà il y a deux ans, on n’en serait pas là aujourd’hui !
Propos recueillis par Nicole MARI.