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Record d'abstention à Bastia : Le fort désintérêt des habitants des Quartiers Sud pour les législatives


Livia Santana le Mardi 14 Juin 2022 à 17:15

Lors de ce premier tour des législatives, le dimanche 12 juin, les Quartiers Sud de Bastia ont affiché un taux record d'abstention avec une moyenne de 67,5% et des summums allant jusqu'à 72,2%. Pourquoi les habitants ont-ils déserté les urnes ? CNI est allé à leur rencontre, et ils ne mâchent pas leurs mots.



Record d'abstention à Bastia : Le fort désintérêt des habitants des Quartiers Sud pour les législatives
« La politique, c’est comme la chanson de Dalida, vous connaissez ? Paroles, paroles, paroles et encore des paroles... ». Jean, 68 ans, habitant de Lupinu, Quartiers Sud de Bastia, attablé à la terrasse d’un café de la cité Aurore donne le ton. Dimanche dernier, lors du premier tour des élections législatives, le retraité de la fonction publique ne s’est pas rendu aux urnes et, c’est sûr, il ne se déplacera pas non plus pour le second tour,  le 19 juin. A ses côtés, une bouteille d’eau à la main, Josiane, le même âge, acquiesce. « Pourquoi aller voter ? Rien ne bouge dans nos vies. Si on y va, c’est juste pour servir leurs intérêts personnels. Les vrais hommes politiques, avec des convictions, n’existent plus. On nous prend pour des imbéciles ! », s’indigne l’habitante de Lupinu qui a déchiré sa carte électorale. Jean et Josiane sont loin d’être des cas isolés. 
 
Des records
La première circonscription de Haute-Corse remporte la palme du taux d’abstention le plus important de l’île avec 59,07% contre 51,8% dans la seconde. En Corse-du-Sud, l'abstention monte à des taux de 53,7% dans la première circonscription et 57,1% dans la seconde. Si la circonscription nordiste, qui regroupe le Cap Corse et la région bastiaise, affiche un tel taux d’abstentionnisme, les Quartiers Sud de Bastia y sont pour beaucoup. Là-bas, en moyenne 67,5% des électeurs ne se sont pas rendus dans les bureaux de vote, soit 15 % de plus que la moyenne nationale qui s’élève à 52,49%. Au bureau 23, situé dans le groupement scolaire de l’école Subissi, le record a été atteint avec 72,2% d’abstention. A l’école François Amadei, le taux, qui a été le plus bas des Quartiers Sud, s à s’élevait tout de même à 57%. Alors comment expliquer un tel phénomène ?

« Plus ça va et moins ça va »

Record d'abstention à Bastia : Le fort désintérêt des habitants des Quartiers Sud pour les législatives
Pour les habitants de ces quartiers, la réponse est simple : « Nous nous sentons désabusés », lance spontanément Philippe, 65 ans, patron d’un bar de la cité Aurore. Lui a décidé de bouder les urnes lors des élections locales. « Les politiques n’ont plus de partis, ils passent de l'un à l’autre tous les 15 jours. Ils viennent nous chercher lors des élections, on dirait presque que nous sommes parents, puis, une fois le scrutin passé, plus rien ! Ce n’était que du bla bla bla », s’indigne l’homme qui a glissé son dernier bulletin en avril pour les élections présidentielles. Un café à la main, Paul, un client, complète : « Je n’ai pas l’impression que mon vote sert à quelque chose. Plus ça va et moins ça va ! Alors, depuis la mort de ma femme il y a 5 ans, je ne me suis plus présenté dans un bureau à aucun scrutin. Mes trois enfants âgés de 34 à 40 ans non plus. » Ce dimanche, les deux hommes de Lupinu appliqueront leur propre politique : le ni Michel Castellani, ni Julien Morganti !

Le silence des urnes

Record d'abstention à Bastia : Le fort désintérêt des habitants des Quartiers Sud pour les législatives
Frustration, sentiment d’injustice, d’être laissés pour compte, préoccupations non traitées, défiance envers les élus… Dans une étude instructive, commandée par l’Assemblée nationale, la Fondation Jean-Jaurès confirme que l’abstention ne relève pas d’un désintérêt pour la chose publique, mais au contraire d’une perte de confiance dans les politiques. Comme ils le disent sans fard, les électeurs de Lupinu ne voient plus l’utilité de se déplacer pour aller voter, ils ne croient plus que la politique va changer leur vie, ils ont le sentiment que leur vote ne sert à rien. « L’abstention est devenue un candidat comme un autre, sauf qu’il gagne à tous les coups », remarque l'étude. Cette démotivation, qui touche surtout les classes populaires et les jeunes, est dangereuse pour la démocratie. « Il devient de plus en plus urgent d’écouter cette France silencieuse dans les urnes. Car elle ne l’est que dans les urnes et elle sait donner de la voix quand il le faut, à l’instar du mouvement des Gilets jaunes », prévient la Fondation Jean Jaurès. Avant de conclure : « Continuer à gouverner, au niveau national ou local, sans tenir compte de cette forte abstention, sans intégrer, dans la politique conduite, des gestes envers ces abstentionnistes ne fera que la renforcer davantage. Il faut donc écouter le silence et en tenir compte, en allant, au quotidien, vers ceux qui renoncent à aller vers les urnes ».