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Quelle était la langue des Corses avant la francisation ?


Jean Chiorboli le Lundi 12 Janvier 2015 à 02:18

Depuis toujours, sans doute, les Corses ‐ou une partie d'entre eux‐ ont été conduits à utiliser deux ou plusieurs langues dans leurs échanges. Si l'on se limite au XXème siècle, les variétés à prendre en compte sont de trois types: variétés corses (locales), variétés françaises et variétés «italiennes».



Quelle était la langue des Corses avant la francisation ?

Jusqu'à la 2ème guerre mondiale, le contact entre italien et corse est un phénomène fréquent. En ce qui concerne compétence passive en italien, on peut supposer qu'elle est le fait de l'ensemble de la population corse. Cela est dans une certaine mesure encore le cas aujourd'hui quand il s'agit d'italien populaire, mais pour les autres variétés (technique et scientifique, bureaucratique, etc.) il est permis d'en douter. Toujours à la même époque, l'italien est employé comme langue écrite quasi exclusive par les Corses instruits, c'est-à-dire par une faible minorité qui a également, mais à un degré moindre, une compétence active orale dans cette langue.

 

En l'absence de données concrètes et fiables, nous avons tendance à remettre fortement en question la thèse, encore très répandue aujourd'hui, que les Corses non seulement écrivaient mais parlaient couramment l'italien avant les progrès de la francisation. On sait que vers 1850 en Italie même, à une époque où la Corse était déjà politiquement française, très peu d'Italiens avaient une maîtrise suffisante de la langue officielle. Après la querelle sur le pourcentage d'italophones de cette époque (entre 2,5 et 10% selon les auteurs), on pense aujourd'hui que ces chiffres, bien que dérisoires, sont surestimés même quand il s'agit du «berceau» de la langue italienne. L'identification entre toscan et italien est en effet abusive : pour posséder une réelle compétence en italien aujourd'hui « il ne suffit pas d'être né en Toscane et d'avoir plus de trois ans ». Dans ces conditions on voit mal comment les Corses pourraient parler «naturellement» une langue que les Toscans eux-mêmes n'acquièrent que par l'apprentissage (la nécessité de  l'apprentissage vaut pour toutes les langues «standard» ou «élaborées»)

 

Il faut ici évoquer « l'idéologie culturelle italienne véhiculée par les élites » mais surtout la réalité des pratiques langagières recouverte par le terme «italien» quand il est employé pour qualifier le moyen exclusif d'expression des Corses. Le niveau de compétence des Corses en langue italienne ne peut être évalué indépendamment de la situation d'alphabétisation (les données quantitatives précises manquent); on note que dans la Sardaigne toute proche la compétence en italien est faible vers 1900 pour les locuteurs peu scolarisés (il y a 88% d'analphabètes en 1871). Quant à la nature de l'italien écrit par les Corses alphabétisés, l'étude des textes anciens fait apparaître une langue hybride à base toscane truffée d'interférences et où les traits corses sont présents dès le XIIIe (Références bibiographiques : voir notre ouvrage paru en 2008: 

(http://www.albiana.fr/Problematique-de-la-langue-corse/Langue-corse-br/et-noms-de-lieux.html)
Jean Chiorboli, Professeur à l’Université de Corse, 07/02/2014