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Livre : Le voyage en « Keurse » de Pierre Bertoncini


Philippe Jammes le Vendredi 24 Juin 2022 à 11:21

Inspiré par Prosper Mérimée et ses « Notes d’un voyage en Corse » en 1840, l’anthropologue Pierre Bertoncini nous invite lui en ce 21ème siècle à un voyage en « Keurse », une sorte de continuité de l’écrivain du 19ème. Il sera en dédicace ce samedi 25 juin à Bastia à la librairie L'Alma à 16h.



L'auteur, Pierre Bertoncini
L'auteur, Pierre Bertoncini
 
- Pierre Bertoncini, Qu’est-ce que la Keurse, pour vous ?
- Le terme est apparu au début des années 2000. Il s’agit d’une façon de vivre temporairement ou de façon permanente en Corse, sans attacher d’importance aux monuments historiques et plus généralement au patrimoine culturel de l’île. Ce terme de Keurse n’est pas aujourd’hui répertorié dans la littérature anthropologique. Le but serait de l’importer dans les cours d’anthropologie, de s’interroger sur sa richesse, avec les outils de l’anthropologie. La dimension humour du toponyme est essentielle et mon but à travers ce livre n’est pas de la faire disparaitre.

- Le terme voyage est lui à prendre au second degré .. 
- Le voyage, et même si certaines grandes surfaces ont positionné mon ouvrage parmi les guides touristiques, est un voyage intérieur. Ce livre est un point d’arrêt sur mon parcours intellectuel. Sur ce que j’ai vu, ce que j’ai été.

- La Keurse, une façon de vivre ? 
- Aujourd’hui qu’est-ce que vouloir être en Corse ? Comment la Corse est-elle vécue par des gens qui vivent aux côtés de personnes qui ne sont que de passage ? Comment la cohabitation se passe-t’elle ? Comment les gens vivent-ils ici ensemble ? Comment faire une société ? Certaines personnes s’en fichent complètement de notre culture. Aujourd’hui certains vivent en Corse, d’autres en Keurse, il y a des relations sociales qui n’existaient pas voilà 30 ans.

- La démographie y-est-elle pour quelque chose ?
- L’explication n’est pas que démographique. Elle est aussi sur le plan culturel. Comment les gens qui viennent en Corse s’approprient-ils la culture ?

- Vous proposez 4 entrées, 4 méthodes pour y voir plus clair …
- Oui ce sont 4 voyages différents. Le premier se fait à travers la BD, 10 BD des années 70 à 2000 qui présentent deux facettes : une Keurse prétexte à de bonnes blagues stéréotypées et une Corse, décor interchangeable. Une BD soutenue institutionnellement est souvent un peu guindée, basée sur une documentation précise. Une autre BD, contestataire, est dans ses fondations une attaque, souvent sur un ton humoristique, de ce qui permet l’existence de la représentation mentale qu’est la Keurse.

- Les graffitis ?
- C’est le 2ème « voyage ». J’ai fait ma thèse de doctorat sur le sujet. Il y a dans le graffiti une richesse, un lexique, une évolution. Aujourd’hui on peut se poser la question : comment les différents graffitis cohabitent-ils ? Tandis que des touristes apportent parfois l’innovation culturelle en peignant des tags et fresques, des locaux la refusent généralement par une expression graffitique de rejet dans le fond et dans la forme.

- 3ème entrée, la photo…
- Les questions sont : qui prend une photo en Corse ? Comment prend-on une photo en Corse ? Je pars sur des photos du siècle dernier de Joseph Moretti et de son élève d’Ange Tomasi. Inspiré par ce dernier, l’usage que fait Joseph Bertoncini de la photographie, toujours au 20ème siècle, est celui d’une appropriation libératrice de cette technique. Je m’appuie aussi sur les photos d’Isac Chiva. Il ne photographie pas la Keurse, cette Corse en toc née avec la révolution industrielle, ce qu’il photographie c’est la Corse, celle qui vient de la préhistoire. Comparer les photos de Bertoncini et Chiva permet de savoir sur quel niveau de l’échelle où se trouvent Corse et Keurse on situe son regard, son expérience de ce qu’est l’île sur laquelle on évolue. Voyage-t’ on en Corse ou en Keurse, leurs œuvres le révèlent.

-  Enfin, le patrimoine …
- On peut prendre pour exemple le Loto du patrimoine instauré par Stéphane Bern et notamment la 1ère année. J’ai relevé que sur les 7 monuments sélectionnés, 4 sont dans le Cap Corse. Il y a là une surdimension de cette région. Il y a vraiment différentes façons de voir le patrimoine. Là aussi apparait le pôle corse et le pôle keurse. Par exemple, les couvents du Cap. Certains y voient une possibilité d’investissement avec gain à plus ou moins long terme à la clé. D’autres y voient les fantômes familiers de dizaines de générations qui se sont succédées dans ce bout du monde qui pour ses habitants n’est pas autre chose que le centre du monde. Comme pour les 60 couvents de l’île, comme pour les centaines d’autres monuments en péril, la même question se pose à ceux qui pour une durée plus ou moins longue habitent ces lieux. Et selon la réponse apportée, ses auteurs viennent en Corse ou en Keurse. Donc on voit qu’à travers ces 4 entrées, dans le même espace, on peut suivre deux parcours complètement différents. Soit un voyage en Corse, soit un voyage en Keurse.

-Un livre qui vous avez écrit avant la tragédie d’Yvan Colonna...
- Effectivement. Si ce livre ne prédit pas les évènements qui ont suivi l’assassinat d’Yvan Colonna, il peut les expliquer. Expliquer la société Corse d’aujourd’hui.
 
* Autre séance de dédicaces : le 2 juillet à la libraire Ambroggi à L’Île Rousse

Synopsis

Ces dernières années le terme « Keurse » a abondamment alimenté les réseaux sociaux, entre-autres. Pierre Bertoncini, originaire de Bisinchi, professeur d’histoire/géo au lycée de Balagne, intervenant en anthropologie à l’Université de Reims, chercheur associé à l’UMR de l’Université de Corse, vient de sortir aux éditions L’Harmattan (collection Socio-Anthropologie) une étude sur ce terme qui peut être tout à la fois ironique et humoristique : « Notes d’un voyage en Keurse ».
  

Livre : Le voyage en « Keurse » de Pierre Bertoncini