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La veillée de Noël en Corse : une tradition hors du temps


J.L. le Mercredi 22 Décembre 2021 à 13:14

Autrefois en Corse, la veillée de Noël était marquée par des traditions qui véhiculaient une identité culturelle forte. Depuis les années 50, avec l'arrivée du père Noël l'aspect traditionnel s' est effacé au profit de l'effervescence commerciale. Aujourd'hui, la survivance de certaines traditions perdure.
CNI a rencontré Ghjasippina Giannesini, anthropologue qui nous replonge dans le Noël d'antan.



- Dans le passé, comment les corses fêtaient-ils Noël ?
- Décembre est le mois le moins éclairé de l'année, les jours raccourcissent jusqu'au solstice d'hiver, puis ils commencent à rallonger. Depuis des temps immémoriaux, on considère cette période comme celle de l'obscurité, au IVè siècle le christianisme vient réinterpréter le solstice d'hiver comme la naissance de la lumière évoquée par la nativité. En Corse, nous avons des traditions qui sont fortement liées à ce renouveau de lumière, même si parfois certaines ont été qualifiées par l'Eglise comme des pratiques associées au paganisme. La veille de Noël, on jeûnait, on mangeait seulement après la messe de minuit, et surtout on se réunissait en famille autour du repas de Noël le 25 à midi. Les cadeaux que l'on offrait étaient des fruits ou des plantes qui symbolisent la vie, on a l'orange, le houx et l'arbousier.
 
- Quelles traditions se pratiquaient ?
-Dans certaines localités comme dans les commnunes de l'Oriente, on faisait les sette veghje, les jeunes visitaient 7 maisons en récitant des prières et on leur offrait une sorte de grog. Pendant ce temps de Noël, deux mondes se côtoient celui des morts et celui des vivants, la veillée de Noël est un soir hors du temps. On offrait une orange aux enfants en l'honneur des morts. L'orange est un fruit d'hiver rond comme le soleil donc qui donne la lumière et symbolise la fertilité, on matérialisait les morts, ce cadeau est un échange entre les deux mondes. Comme l'orange, l'arbousier est un signe de fertilité, c'est un arbuste magique très important dans l'île, et on en mettait dans toutes les maisons pour avoir du bonheur, on y accrochait souvent des pommes, il s'agit là d'une référence biblique, c'était un peu l'arbre de Noël, on pratique encore cette tradition, on a réactualisé l'arbousier en le décorant avec des guirlandes. Et puis, il y a des traditions culinaires, en Alta Rocca on fait encore a rifredda, c'est une grosse brochette qu'on prépare avec les abats de l'agneau,on les entoure avec le voile des intestins, i minucci et on fait cuire sur le spedu en arrosant avec vin, vinaigre et huile, ceci se faisait beaucoup pour le repas du 25. Il n'y a pas de mention de gâteaux, cela arrivent plus tard avec la bûche.
 
- Une constante la lumière, une autre tradition s'y rattache ?
-La tradition di u focu di Natale est  très pratiquée dans toute la Corse, parce que le feu c'est la lumière, et qu'il est le lien entre les deux mondes. On connaît le feu collectif qui est dédié lui aussi aux morts et qui va déterminer toute l'année. On allumait un feu devant l'église et de ce feu sacré, on prenait un tison u ceppu di Natale qui symbolisait la famille et qu'on ramenait à la maison, c'était le père de famille qui allumait le feu, puis on mettait autant de bûches dans l'âtre que d'hommes qui vivaient dans le maison. Le feu devait durer du 24 décembre au 1er janvier, alors souvent on éteignait le feu le soir pour qu'il puisse durer. La tradition du feu rejoint la symbolique de la rencontre des morts avec les vivants, c'est pour ça qu'on donnait à manger au feu, le père de famille jetait un verre de vin ou de la soupe dans le feu pour honorer les morts, on disait per l'anima di i nostri morti car le feu transforme le matériel en immatériel. Dans le Taravu,du ceppu di Natale on prélevait le carbone di Natale, c'était un morceau de charbon qu'on pouvait porter sur soi comme une amulette qui protégeait contre la maladie, ou qu'on plaçait dans les cornes des animaux pour protéger les troupeaux, ou encore pour se préserver des tempêtes, et on faisait aussi une prière avec ce carbone pour signer les ganglions a ghjanda, et pour les rites de passation des prières la personne qui transmettait la prière tenait le même tison que celle qui la recevait. Aujourd'hui, on retrouve la tradition di u focu di Natale dans de nombreux villages comme à Letia où on a préparé déjà depuis plusieurs jours le feu.
 
- Comment on représentait la Nativité?
- Au 19e siècle on trouve la représentation de la Nativité dans les couvents ou dans les églises, au 20e s. la crèche est très présente dans les maisons de nos grands- parents, on ramasse la mousse, on fait une grotte qu'on décore avec des branches d'oliviers sauvages ou d'arbousiers, on place les santons. On met de la farine pour imiter la neige et on place devant la crèche le blé de la sainte Barbe, si le blé germe ce sera une année de bonnes récoltes et le bonheur sur la famille, de nos jours on continue de placer une coupelle de ce blé devant les crèches.