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Divagation animale : l'association Cambia Avà prête à se constituer partie civile


Olivier Bianconi le Mardi 11 Janvier 2022 à 19:08

Avec 20 000 bovins non identifiés, livrés à l’état sauvage et se rapprochant toujours plus près des zones urbaines, le cliché d’une Corse éternelle, où la liberté portée en étendard concernerait même la condition des animaux de rente, est en train de s’ébranler.

L’été dernier la presse internationale, rapportait dans ses colonnes ce phénomène. Ainsi, le Times, le New York Post, Forbes, ou encore The Cut, s’inquiétaient de la situation des plages de l’île, et relataient les divers accidents qui s’y produisent chaque saison.
Le même été, Fréderic Mariani, maire d’Olmi-Cappella en Balagne, faisait l’objet de menaces, après les mesures prises pour mettre un terme à la divagation bovine dans sa commune. S’en suivait un grand rassemblement de soutien initié par l’association des maires de Haute Corse, des élus locaux souvent démunis, soumis à des pressions multiples, tant physiques et morales qu’électorales.

En seulement six mois d'existence, l’association Cambià Avà, qui rassemble déjà une centaine d’adhérents, s’est fait la voix des victimes de la divagation des animaux de rente. Vendredi 7 janvier, à l’occasion d’une réunion, ses membres ont dressé un état des lieux et des nouveaux objectifs ont été fixés. Maryline Taddei, présidente et elle-même victime d’un grave accident, ainsi que Dumè Moneglia, trésorier et porte-parole de l’association, reviennent pour CNI sur ce dossier sensible.



Crédit photo Dumè Moneglia / Cambià Avà
Crédit photo Dumè Moneglia / Cambià Avà
- Depuis quelques temps, la divagation animale fait scandale, les pouvoirs publics donnent-ils un écho à la médiatisation que vous faites du problème ? 
-  Nous avons en six mois d’existence demandé des audiences de toutes parts. Le 24 juillet dernier, nous étions à Olmi-Capella pour soutenir Frederic Mariani. Lors de cette première rencontre, Nanette Maupertuis, nous a fait comprendre que le 2 août nous allions être tous réunis autour d’une table avec l’ODARC, pour tenter de résoudre ce fléau. Nous avons été déçus de constater que la réunion s’est finalement tenue sans que nous y soyons invités. Nous nous rendons compte que l’ODARC, la Collectivité de Corse, les maires, les CFC (Chemins de Fer de la Corse), qui rencontrent de gros problèmes en liaison à la divagation animale sur la voie ferrée, et les victimes d’accidents, travaillent chacun dans leur coin, sans communication et sans synergie.  A l’heure actuelle, la seule force politique à nous avoir reçu et entendu, est le groupe Avanzemu. Pourtant, étant une association apolitique et citoyenne, nous avons sollicité tous les autres partis. Concernant la question des animaux en divagation non bagués, largement majoritaires en Corse, la CdC renvoie au préfet, le préfet renvoie aux maires, et les maires à la CdC ! 

- Selon le code rural, il appartient aux maires de trouver une solution au problème, en ont-ils les moyens ? 
- Il se trouve que dans les petites communes isolées, les maires n’ont ni les moyens techniques, ni les moyens humains, ni les moyens financiers de récupérer ces bêtes, et ne peuvent donc rien faire. Les communautés de communes pourraient être utiles et efficaces en ce sens ! Dans les grandes agglomérations comme Bastia, Ajaccio ou Porto Vecchio, il est incroyable de constater, que se promener aux abords de la ville relève parfois de la tauromachie ! La semaine dernière par exemple, devant l’école de Paese Novu se trouvait deux gros taureaux, à 14 heures ! Ses animaux ensauvagés peuvent être très dangereux ! Comme souvent, ils ne sont pas bagués et ne semble appartenir à personne…

- Les gendarmes et policiers reçoivent-ils régulièrement des plaintes ?
- Hélas, ils ne reçoivent que très rarement les dépôts de plaintes des victimes. Dans notre association la présidente, grièvement blessée suite à une charge bovine, a dû s’y reprendre à sept fois pour être enregistrée ! Une autre adhérente, victime d’un accident de la route impliquant une vache, s’est vu répondre par les gendarmes que c’est le fléau de la Corse, et que c’est la fatalité ! Dernièrement, à Pietralba, à l’occasion d’un accident de nuit impliquant une vache, le véhicule accidenté est immobilisé avec à son bord un couple de calvais. La gendarmerie et les pompiers arrivent sur place. Pendant qu’ils officient, débarque une personne à bord d’un 4x4. L’homme sort de son véhicule, et coupe les deux oreilles baguées de l’animal qui gisait sur le bord de la route, puis le butin en poche, s’en va tranquillement dans l’indifférence générale ! Dans un avenir proche, ayant un avocat parmi nos adhérents, avec l’approbation de la victime ou de sa famille, et dans le cadre d’une plainte, nous prévoyons de nous constituer partie civile. D’ailleurs l’erreur que font la plupart des plaignants, c’est de déposer plainte contre X. Hors du point de vue juridique, la plainte doit être portée contre la commune en question, car c’est le maire qui est le premier responsable de la divagation sur son territoire.   
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- Quel rôle joue la préfecture dans cette affaire ?
- Visiblement, le préfet ne souhaite pas que ces affaires remontent, et nos élus ne s’en préoccupent pas non plus, souvent par soucis électoraliste. Il y a en Corse une véritable crainte du monde agricole et de ses syndicats puissants et influents. Les différentes parties qui ont une part de responsabilité dans cette histoire craignent que le dossier ne sorte, car le jour où cela sortira, il va y avoir beaucoup de grabuge ! Ils seront amenés à remettre en cause le modèle d’élevage bovin, et par ricochet porcin. Dans ses suites, des systèmes financiers qui profitent à certains.  

- Depuis la création de l’association, combien d’accidents il y a t-il eu en Corse ?
- Le nombre de victimes est croissant, nous le voyons tous autour de nous. Il y de nombreux accidents de la route qui mettent en cause des bovins en divagation. Comment pourrait-il en être autrement, quand on voit ces animaux de nuit sur les bords des routes territoriales, pas ou peu éclairées, alors que les véhicules roulent à vive allure. Il y a des blessés, et parfois même des morts. Les motards sont très exposés au danger notamment. Le problème, c’est qu’à défaut de dépôt de plainte, il est très difficile d’obtenir ces informations. Nous avons contacté l’hôpital de Bastia, ou encore la préfecture sans pouvoir obtenir de chiffre. De notre côté en seulement un an, nous avons comptabilisé plus de 20 victimes graves ! Des personnes âgées égorgées au Lotu, un accident de la route, une personne encornée sur le sentier des douaniers, un jeune homme percuté par une vache devant la préfecture de Bastia, etc. Ces accidents concernent aussi bien les Corses que les vacanciers ! Ce qui est terrible, c’est que sur les sites où ont eu lieu des drames et des accidents, on ne tire aucune leçon, et les animaux continuent à divaguer en toute liberté.

- Quelles sont les caractéristiques des animaux concernés ?
- Il s’agit essentiellement de bovins en divagation, issus de groupes parfois à l’état sauvage depuis plus de vingt ans, ayant engendrés plusieurs générations. Ces animaux sont désormais différents de leurs cousins d’élevage. Ils ne reconnaissent pas l’homme, et craintifs, ils peuvent être agressifs. Ils sont aussi plus agiles et vifs à la course, et parviennent à sauter de hautes clôtures, ce qui pose de nombreux problèmes. Contrairement à ce que certains veulent nous faire croire, il ne s’agit en aucun cas d’une espèce endémique. 

- Peut-on considérer la divagation animale comme une maltraitance ? 
- Oui en effet, car elle ne leur donnant ni à manger ni à boire, en l’absence de soins, les animaux en souffrance sont sur les routes, et se rapproche des zones de vie. Ils s’exposent eux aussi à de nombreux dangers, en commençant bien sûr par la circulation automobile. 

- Quelles solutions proposez-vous pour résoudre ce problème croissant ?
- Nous proposons des solutions éthiques comme la création de 4 parcs régionaux, Bastia, Ajaccio, Porto Vecchio et Calvi, où l’on rassemblerait les animaux qui divaguent. Ils y seraient nourris et soignés. Les bêtes baguées pourraient être récupérées par leur propriétaire, pour les autres, un temps d’acclimatation permettrait par la suite de les introduire dans un troupeau d’élevage. Nous avons également étudié la solution de la stérilisation, mais avec 20 000 animaux à l’état sauvage, cela serait compliqué logistiquement, et coûterait très cher. Nous donnerons prochainement une conférence de presse pour en préciser les articulations.

- Qu’attendez-vous de nos élus ? 
 -Nous attendons qu’ils ouvrent véritablement le débat, et prennent leurs responsabilités, en ayant le courage politique de recevoir des coups s’il le faut ! Si l’on n’est pas capable aujourd’hui de gérer des vaches, comment peut-on espérer être compétent demain pour répondre au problème des déchets, de la bétonisation, de la paupérisation, du grand banditisme ou de la drogue ?