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DOSSIER. Serge Orru : "Nous ne sommes pas venus sur Terre pour détruire la planète"


le Dimanche 13 Novembre 2022 à 19:12

Ancien directeur général du WWF, créateur du Festival du Vent de Calvi, éditeur d’ouvrages d’éducation à l’environnement … Les casquettes de Serge Orru sont nombreuses. Aujourd’hui président de l’Académie du Climat à Paris, ce militant écologiste de toujours agit au quotidien pour donner aux jeunes les clefs pour répondre aux enjeux du réchauffement climatique. À l’heure de la COP 27, il livre une vision sans fard d’un système qui détruit l’avenir des générations futures et appelle à un changement de paradigme. Interview.



Serge Orru
Serge Orru
Nous en sommes aujourd’hui à 27 ans de sommets climatiques, mais on constate de faibles avancées. Au point qu’on peut se demander à quoi servent concrètement ces COP. Sont-elles à la hauteur de l’urgence climatique ? 
Je pense que les COP provoquent forcément des critiques parce qu’on ne voit guère les avancées. Néanmoins, c’est comme dans un immeuble avec des réunions de copropriétaires : quand on n’y va pas, quand on laisse aller les choses, l’immeuble se détériore. Les assemblées de copropriétaires, c’est souvent pénible à vivre parce qu’il y a des contradictions, des égoïsmes, de la désinvolture ou même des gens qui ne s’y intéressent pas, mais c’est essentiel. Donc, je pense finalement que les COP sont absolument indispensables : il faut que les chefs d’État, les gouvernants, les ONG, le monde économique, que tous les corps internationaux puissent se rencontrer, discuter dans les couloirs. Imaginez qu’il n’y ait pas de COP : ce serait encore pire. Regardez la désinvolture mondiale sur le sujet… Mais la réalité de la COP c’est que c’est une réunion de toutes les parties, il faut qu’elles se retrouvent et se parlent, même si cela avance millimètre par millimètre, je le reconnais.
 
Justement, quel bilan peut-on faire de ce à quoi ont servi les COP jusqu’à maintenant ?
Aujourd’hui, la COP en Égypte sert par exemple à déterminer ce que nous devons payer en matière de dommages, notamment envers les pays du Sud. Nous savons très bien que nous vivons un égoïsme international incroyable. Il y a les pays riches et il y a les pays pauvres. Il y a les pays fortement émetteurs de gaz à effet de serre et il y a les pays qui en subissent les conséquences, comme par exemple le Pakistan qui a vécu une énorme catastrophe écologique. Et puis, on voit que le Secrétaire Général des Nations Unies a dit « l’humanité doit choisir entre coopérer ou périr. Soit un pacte de solidarité climatique ou un pacte de suicide collectif ». À la tribune, il a rappelé nommément à l’ordre la Chine et les États-Unis pour leurs responsabilités et leurs engagements à respecter et à améliorer. Une COP, ce n’est pas un claquement de doigt et on change de politique. Regardez dans tous les pays, y compris en Corse, à quel point il est difficile de faire évoluer les politiques des territoires. 
 
Un des objectifs de cette COP27 est de tenter de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, seuil fixé par la COP21 à Paris en 2015 auquel on est aujourd’hui loin de pouvoir arriver, la faute à des promesses et des engagements non tenus. De facto, les prévisions restent très alarmistes. Est-ce qu’il existe encore un espoir d’inverser les choses ?
Nous n’avons que l’espérance devant nous. Il y a l’égoïsme et la désinvolture des uns et des autres, mais nous ne pouvons qu’espérer. Il faut aussi que les citoyens votent pour des gens qui ne considèrent pas le climat comme simplement un sujet pour les activistes. Moi je crois, comme Edgar Morin, qu’il faut croire en l’improbable. J’ai participé à quelques COP et à chaque fois on ressort soit enthousiaste, soit désespéré. Et puis, il faut aussi expliquer ce que cela veut dire d’augmenter la température de 1,5 ou 2 °C. Cela semble peu, mais c’est comme si un enfant demain à 43°C de fièvre : il meurt. C’est pareil avec la planète, il y a des endroits où il va faire 45 à 48°C, c’est invivable. Il faut également souligner que ce que nous émettons comme gaz à effet de serre aujourd’hui aura un impact dans 30 ans. Ce que nous subissons actuellement, c’est ce qui a été émis il y a 30 ans. Donc, par solidarité à l’égard des générations futures, nous nous devons de transmettre à nos enfants une planète vivante. Or, nous partons vers un monde entre Mad Max et l’abbé Pierre avec des ghettos de riches et des ghettos de pauvres. C’est ce que nous allons vivre, à moins que l’humanité ne se réveille. Nous avons échappé au nazisme, on peut échapper à la catastrophe climatique. 
 
Lors de cette COP on parlera aussi justice climatique. Un terme important pour les États les plus pauvres qui sont souvent les premiers à subir de plein fouet ce changement climatique ?
Oui. Le Premier ministre pakistanais a lui-même dit que ce qui se passe au Pakistan ne se limitera pas à son pays. Il faut de la justice climatique, de l’équité climatique. Mais l’histoire, c’est que nous devons inventer un monde, une économie du moindre impact sur l’environnement, le climat, la biodiversité ou encore sur notre santé. Nous ne sommes pas venus sur Terre pour détruire la planète ! Nous ne sommes pas venus sur Terre pour la plastifier, pour enlever tous les poissons des océans, couper tous les arbres, ou rendre toxique notre agriculture. Il faudrait peut-être se rendre compte de ce que représente la chance de vivre sur cette planète où il y a de la vie. Nous sommes en train de saccager cette vie. Rendez-vous compte de ce qu’a fait Bolsonaro au Brésil en déforestant l’Amazonie de manière incroyable. Et ce n’est qu’un des exemples des exactions que l’Homme commet par cupidité. Nous avons un système économique qui détruit l’avenir de nos enfants. 
 
Aujourd’hui, on a l’impression d’un réchauffement climatique qui accélère avec des évènements météorologiques de plus en plus violents qui se multiplient. Le GIEC de son côté, multiplie les alertes et indique en résumé que nous sommes au bord du gouffre. Et pourtant dans le même temps le sentiment qu’au niveau international, les actions restent timides et pire que certains pays semblent s’en désintéresser. Comment expliquer le faible degré de coopération climatique face à un phénomène qui concerne la planète entière ?
Déjà, je pense qu’il faut changer le terme : nous ne sommes plus au stade de réchauffement ou de changement climatique, nous avons face à nous un péril climatique. Donc, devant un péril, il faut réagir. Mais il ne suffit pas de parler des États : regardons ce que nous faisons dans nos villes et dans nos régions, il faut bien le dire très peu de choses. Et quand dans des villes, il y a des hommes ou des femmes qui tentent de faire des choses, ils se prennent des torrents de boue sur la tête. J’ai été conseiller de la maire de Paris de 2014 à 2020, nous nous sommes pris des torrents de boue en faisant les pistes cyclables, les berges de Seine ou encore en mettant en place l’économie circulaire. Et pourtant tout cela, c’est l’avenir. Quand on dit qu’il faut rouler à 110km/h sur les autoroutes parce que cela permet de moins consommer et d’émettre moins de gaz à effet de serre, cela nous a conduit à subir de nombreuses injures. On voit qu’il y a une partie de la population qui est convaincue du désordre climatique, mais cela ne fait bouger personne. En août dernier, nous avons vécu une tempête exceptionnelle en Corse. Durant tout l’été, nous avons aussi connu des incendies catastrophiques sur toute l’Europe. Et puis l’automne arrive, les incendies se raréfient, et on oublie. Par contre, la crise énergétique va nous forcer à mettre en place d’autres comportements. En Corse, par exemple, il devrait y avoir l’obligation de mettre du solaire dans tous les nouveaux bâtiments que l’on construit. Mais que ce soit en Corse ou ailleurs, il est difficile de mettre en application les énergies renouvelables, une agriculture bio de proximité, de réduire drastiquement l’ensemble des produits jetables. Il faut que l’on invente une civilisation du durable, une économie du moindre impact sur l’environnement immédiat et lointain. C’est de l’innovation, de la technologie, du bon sens et de la logique. Nous devons nous y mettre tous ensemble dans une pluridisciplinarité. Toutes nos universités devraient phosphorer là-dessus plutôt que de rester sur des schémas anciens qui ne provoquent que désordre climatique et injustice sociale. 
 
On voit que les dirigeants de certains des pays les plus pollueurs actuellement font figure de grands absents, comme la Chine et l’Inde. Est-ce qu’il sert encore à quelque chose de négocier sans eux ?
Évidemment qu’il faut négocier sans eux. Il ne faut pas oublier que la Chine produit l’ensemble de notre production. Quand on dit que la France représente 1% des émissions de gaz à effet de serre, on ne compte pas toute la production industrielle en Chine pour fabriquer nos vêtements, nos téléphones, nos ordinateurs, nos voitures… Il y a là une grande hypocrisie de notre part. 
 
Dans la même veine, comment accepter le déni de l’impact climatique de certains pays comme les Émirats Arabes Unis dont le président a présenté son pays comme « producteur responsable d’énergies » à la tribune de cette COP ?
Il a aussi dit que les Émirats Arabes Unis resteront un fournisseur de gaz et de pétrole aussi longtemps que le monde en aura besoin. À nous de nous passer du pétrole et d’inventer autre chose. Je ne vois pas pourquoi un moteur thermique circule en ville, ce n’est pas normal. Regardez comme le développement du vélo à Paris est aujourd’hui important. En Corse, on voit qu’aucune ville n’est adaptée à la circulation automobile. Et donc comme l’été nous vivons la saturation, s’il y avait davantage de voies piétonnes et de voies cyclables dans les centres urbains je crois que nous vivrions mieux en juillet et août. Il faut se rendre compte de la pollution de l’air que cela occasionne, des particules fines dues aux moteurs, aux freins, aux pneumatiques que les gens respirent en ville. Ce n’est pas normal. La pollution de l’air tue, même si elle est invisible. 
 
Quand on voit les élites se rendre à la COP en jet privé est ce que ce n’est pas un mauvais signal ?
Pour se déplacer des États-Unis à l’Égypte, je ne vois comment on peut faire autrement que prendre l’avion. Mais ce qui est important c’est qu’il faudra inventer une aviation propre. Dans les trente ans qui arrivent, on inventera obligatoirement des avions électriques. Mais il aurait fallu travailler sur cela et prendre ces décisions en amont. Des gens comme moi le disent depuis 40 ans. Et on passe aujourd’hui pour de vieux croutons quand nous disons qu’on avait prévenu. On a l’impression de rabâcher les mêmes choses. Mais il faut continuer le combat et imposer une autre réalité que celle du lascia corre à l’égard de la planète. 
 
Le fait que cette COP soit sponsorisée par des géants industriels comme Coca-Cola, Microsoft ou Google n’est-il pas un peu antinomique ?
Nous utilisons tous Google en permanence. Tous les jours la télévision ou nos réseaux sociaux nous imposent ces mêmes publicités. Ce qui est important c’est de savoir comment passer d’une civilisation qui détruit l’environnement immédiat et lointain à une civilisation qui respecte la planète qui est une merveille et qu’il faut protéger. Il faudra tout de même un jour que l’on mesure l’empreinte écologique, carbone et sociale de chaque produit que l’on fabrique.  Nous ne pouvons pas continuer à vivre dans l’égoïsme pour que quelques personnes sur Terre s’enrichissent et aient le pouvoir. Si le monde publicitaire et le monde numérique défendaient l’écologie, nous n’en serions pas là. Soyons clairs, l’écologie n’appartient pas qu’aux Verts. On voit que la formation des politiques sur le sujet est extrêmement faible. La formation écologique dans toutes les écoles de commerce, à l’ENA, dans les écoles d’ingénieur est aussi négligeable. On n’y fabrique pas des hommes et des femmes qui demain devront trouver des solutions face au péril climatique. Lorsqu’il y a une guerre, on trouve l’argent immédiatement pour fabriquer des armes, des chars, des avions. Là-aussi nous avons une guerre à gagner, et donc nous devons y mettre les moyens. 
 
Comprenez-vous les actions radicales des militants écologistes, notamment dans des musées, qui se multiplient ces dernières semaines et font grand bruit ? Est- ce que ce n’est pas là un moyen de secouer le monde vu que les prédictions des scientifiques semblent elles susciter peu d’émoi depuis des décennies ?
Que leurs gestes soient malhabiles, maladroits, gênants, peut-être. Mais ils ont raison ! Le fait de coller sa main sur un tableau fait plus parler qu’une COP… Je les félicite vraiment chaleureusement pour leur courage, car ce n’est pas facile.