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Corse : "Bientôt une baguette tradition à 1,5 euro"


Thibaud KEREBEL le Vendredi 23 Décembre 2022 à 16:08

Inscrite récemment au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco, la traditionnelle baguette de pain souffre en ce moment de la hausse globale des prix. Sur l’île comme sur le continent, les boulangers déchantent et les clients déboursent.



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Quand on parle de la baguette, on touche forcément un large public. En effet, la France compte 12 millions de consommateurs quotidiens, soit 6 milliards de personnes à l'échelle d’une année. Des chiffres qui donnent le vertige, et qui en disent long sur la place de ce pain croustillant dans la vie de chaque foyer. Seulement voilà, depuis quelques mois, le contexte général est à l’augmentation des prix, et la hausse n’épargne pas les boulangeries. Historiquement échangée contre moins d’un euro, la baguette « classique » atteint maintenant des montants plus élevés. « Chez nous, on la vend 1,10 euro. L’an passé c’était 95 centimes, et il y a 5 ans, à peu près 85 centimes », expose Marc Ventura, propriétaire de deux établissements à Bastia, mais également président du syndicat de la boulangerie-pâtisserie en région Corse.

Inquiet, il tire la sonnette d’alarme. « Aujourd’hui, la baguette ne rapporte plus d’argent. Quand on mélange tout, on s’en sort, en compensant avec les snacks, la pâtisserie... Mais le pain ne rapporte plus d’argent. » Dans ses boutiques, Marc Ventura explique avoir baissé ses marges, pour éviter une hausse des prix trop importante. « La baguette classique devrait être à 1,15 ou 1,20 euro. Les charges augmentent tellement. » Car c’est là le nœud du problème. En Corse comme ailleurs, tenir une boulangerie n’a jamais été aussi coûteux. « On s’est pris trois augmentations de farine sur un an, et deux d’électricité, dont une de 30 % il y a 10 mois. » La raison, comme dans beaucoup d’autres secteurs, vient en grande partie du conflit ukrainien.

« On va vers la mort des artisans boulangers »

En effet, depuis son invasion par la Russie, en février 2022, l’Ukraine a fermé les vannes et n’exporte plus son blé. Pour éviter à certains pays de se retrouver sans matière première, la France a donc redirigé une partie de sa production vers l’étranger, entraînant une hausse générale des coûts. « Le marché a explosé », déplore Marc Ventura. « Avec le conflit, les céréaliers français ont cassé les contrats, et nous ont dit ‘on nous propose tant d’argent pour la tonne de farine à l’étranger, donc soit vous vous alignez, soit on vend là-bas’. » Résultat, les boulangers de l’île, qui achetaient leur quintal (100 kilos) de farine tradition contre 70 euros en 2021, s’en tirent maintenant pour 85 euros.

Et au jeu des augmentations, la Corse est plus touchée que l’Hexagone. « Sur un sac de 25 kilos de farine, on doit payer 2,5 euros de plus, pour le transport. Ça a toujours été comme ça, mais quand tout augmente, c'est la goutte de trop. » D’autant qu’en plus de la matière première, ce sont également les coûts énergétiques qui se sont envolés. « Des personnes d’EDF Corse m’ont dit qu’il y aurait encore une augmentation début février », anticipe Marc Ventura. « On ne sait pas de quel ordre ce sera, mais on espère que l’État va nous protéger, sinon, on va vers la mort des artisans boulangers. »

La projection est radicale, mais pas exagérée. « Si rien ne change, je pense qu’on va bientôt se retrouver avec une baguette tradition à 1,5 euro. Le pain, c’est un produit référence, donc c’est de ça qu’on parle en premier. Mais tout le reste est concerné, comme la pâtisserie, les snakings… » Faut-il craindre des fermetures de postes ? Pour le président du syndicat, c’est encore pire que ça. « Nous, on a déjà des indicateurs très forts, qui nous montrent qu’en Corse, certaines boulangeries sont en grande difficulté. Par peur de perdre leur clientèle, elles n’ont pas bougé les prix, mais du coup, elles perdent beaucoup d’argent. On a des structures qui sont là depuis 60 ans, et qui pourraient fermer en janvier. » 
Le temps presse.