C’est dans un hémicycle quasiment désert qu’a débuté, jeudi matin, à l’Assemblée de Corse (CTC), l’examen de la deuxième mouture du PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse). La première mouture, adoptée en novembre dernier, a été soumise pour avis à l’autorité de l’Etat, notamment préfectorale, au Conseil économique, social et culturel (CESC) et au Conseil des sites et a donné lieu à de nombreuses réunions avec près de 250 élus locaux. Cette double relecture, imposée par la loi, a suscité deux sortes d’avis. Les premiers pointent des fragilités juridiques, des risques d’illégalité par rapport au principe de libre administration des collectivités locales et aux lois Littoral et Montagne et le risque d’inconstitutionnalité. Les seconds concernent des demandes de clarification de certaines notions, notamment sur le développement économique et la précarité. Leur avis ayant été intégré, il faut, donc, examiner cette version modifiée et délibérer afin que le Président de l’Exécutif puisse soumettre à l’enquête publique le projet de plan et les trois délibérations.
Un plan applicable
En préambule, Maria Guidicelli, la conseillère exécutive en charge de l’élaboration du PADDUC fixe l’exercice du jour : « Deux bornes nous sont imposées. D’abord, la loi, et la loi seule, définit notre cadre de travail et le périmètre de notre délibération. Ensuite, le vote, que vous avez émis, à la fois, sur le projet de société et le projet de développement durable, ne doit pas être remis en cause, si ce n’est pour améliorer la sécurité juridique du document. Pour être appliqué, il doit être applicable. Un PADDUC applicable est un PADDUC sécurisé de manière juridique. Notre objectif, à travers la prise en compte d’un certain nombre de remarques, est sa sécurisation ». Elle explique, ensuite, que le PADDUC, étant conçu au service de la Corse et de ses territoires, ne peut se faire sans la collaboration des élus locaux, des entreprises et des chambres consulaires. « Sans eux, le PADDUC ne serait qu’un objectif théorique et donc un ensemble de règles inutiles ! La règle doit être au service du projet et non l’inverse ! ».
Un parti-pris politique
Maria Guidicelli présente, donc, des modifications « levant le risque d’illégalité et de fragilité juridique, garantissant l’applicabilité du document et l’opérationnalité des mesures qu’il entend mettre en œuvre, et respectant les échelons politiques dans leurs prérogatives et compétences, cela sans remettre en cause, ni le pacte politique voté en juillet 2012, ni le projet de développement voté en janvier 2014, ni le projet de PADDUC acté le 1er novembre dernier ! Bien au contraire, nous avons renforcé nos objectifs ! ». Elle précise que toutes les remarques émises n’ont pas été prises en compte, notamment pour des raisons politiques en ce qui concerne la notion de peuple corse et le statut de coofficialité. Elle annonce l’insertion d’une toponymie en langue corse dans la cartographie.
Des maires pris en compte
Concernant les espaces stratégiques agricoles, les 105 000 hectares sont préservés, mais les quotas d’érosion sont supprimés. « Il appartient aux élus locaux de retirer des espaces stratégiques des terres qui ont perdu leurs potentialités. Mais, ils devront reprendre à leur compte le classement régional des meilleures terres agricoles et participer à l’objectif régional en appliquant un principe d’équivalence des terres, ailleurs sur le territoire, en quantité et qualité identiques ». Maria Guidicelli propose, ensuite, de substituer à la notion d’espace mutable (EMU), celle de secteur d’enjeu régional « parce qu’il y a dans ces secteurs, des aménagements qui serviront le projet régional ». Le nouveau document n’établit plus de périmètres précis qu’il laisse à l’appréciation des élus locaux, mais maintient les prescriptions d’aménagement.
La chèvre et le chou
Ces modifications ne sont pas du goût des groupes politiques qui, tous, trouvent à redire. La droite, qui avait quitté la table des discussions en octobre dernier estimant que l’Exécutif avait cédé à la pression des Nationalistes, particulièrement de Femu a Corsica, se réjouit des avertissements préfectoraux, mais n’est guère plus convaincue sur le document d’ensemble. « Je ne suis pas sûre que cette deuxième mouture du PADDUC a pris en compte les inquiétudes des différents maires à l’échelon de la Corse. Vous ménagez la chèvre et le chou entre préservation et développement. Il faut aller au bout du développement ! Vous n’y êtes pas arrivés ! Cette deuxième mouture n’est pas une réussite ! C’est la raison pour laquelle nous proposons des amendements. J’espère qu’ils ne seront pas, cette fois, balayés d’un revers de main comme ce fut fait en novembre où votre attitude a été scandaleuse ! », lance Marie-Antoinette Santoni-Brunelli, élue de Rassembler pour la Corse.
Un rendez-vous manqué !
Sa colistière, Stéphanie Grimaldi se félicite que les avis émis reprennent toutes les fragilités juridiques que la droite avait soulignées, et prévient que « Revenir sur les modifications préfectorales pourrait avoir des conséquences fatales sur le PADDUC ». Elle invite à supprimer tous les dispositifs complexes et les contraintes supplémentaires qui pourraient ajouter du contentieux. « Le rôle du PADDUC n’est pas de rajouter des contraintes, mais de préciser celles existantes ». Pour l’élue libérale, cette 2ème version ouvre une nouvelle brèche à une interprétation juridique. « Ce document va produire de la jurisprudence : il n’apportera ni sécurité, ni légalité aux documents d’urbanisme. Il va redonner la main aux juges et aux contentieux. Il demeure fragile juridiquement car c’est votre volonté d’aller au-delà de ce que la loi propose. L’enquête publique sera le temps du sursaut face à ce document que vous sacrifiez sur l’autel de considérations politiques et électorales. Ce qui était un rendez-vous pour la Corse est un rendez-vous manqué ! ».
Pas d’expertise
Opposition renouvelée d’Aline Castellani, présidente de La Gauche républicaine, qui, en novembre, avait été la seule des 39 élus présents, a voté contre le PADDUC. Elle rejette la liste des espaces remarquables et caractéristiques, indiquant que « aucune expertise n’a été faite au cours de l’élaboration du PADDUC. Les Atlas de la loi littoral ont été élaborés, en 2004 par les services de l’Etat, sans concertation avec les élus locaux et ne traduisent pas les réalités du terrain. Au surcroit, ils ne sont pas opposables et n’ont aucune valeur juridique. Le PADDUC se borne à les officialiser. On était en droit d’attendre mieux ! ». Même verdict pour la carte des vocations des plages et des séquences littorales autorisant des aménagements légers et non permanents, comme les paillotes. Elle considère « qu’elle pourrait conduire à une rupture d’égalité et serait source de tensions lors de la procédure de mise en concurrence de la concession des plages ». Même si elle approuve les modifications opérées par l’Exécutif, Aline Castellani ne lève pas toutes ses réserves et annonce qu’elle s’abstiendra de voter le document.
Le risque d’amalgame
Antoine Orsini, président du groupe Corse Social Démocrate, s’inquiète, quand à lui, de l’applicabilité du PADDUC : « C’est un projet de société, un plan de développement qui doit influencer l’ensemble des politiques publiques de l’ensemble des collectivités de Corse. Il ne doit pas être rangé dans un tiroir. Il faudra relifter nos politiques publiques pour les mettre dans le sens du PADDUC ». Il s’interroge, ensuite, sur la définition du caractère stratégique des espaces agricoles, notamment en zone montagne, craignant l’amalgame entre des zones agricoles vivrières non marchandes et des zones de productions agricoles « On ne doit pas figer des zones infimes d’urbanisation sous prétexte de préservation ». Il reste dubitatif sur la capacité du PADDUC à sécuriser les documents d’urbanisme : « Leur mise en conformité, dans un délai de trois ans, ne va-t-elle pas remettre en cause ou fragiliser ces documents qui sont des rescapés, vu le nombre d’annulations ? ».
Une transgression implicite
Les réserves sont, également très nettes chez les Nationalistes qui craignent une dénaturation d’une 1ère mouture qu’ils ont arraché au forceps et la pression qui sera exercée lors de l’enquête publique. Paul-Félix Benedetti, d’U Rinnovu, tacle les distorsions par rapport au document précédent et la remise en cause de certains acquis : « On ne peut pas avoir une double lecture des espaces agricoles stratégiques ! Ou ils sont agricoles, ou ils ne le sont pas ! Les secteurs d’enjeux régionaux laissent entendre qu’il peut y avoir urbanisation. Ce n’est pas compatible ! Cela laisse penser aux maires qu’ils pourront faire ce qu’ils veulent avec un PADDUC pas très contraignant, or ce n’était pas notre esprit de départ. Pour contraindre, il faut bloquer les espaces ! Or, là tout est rayé ! Je sais qu’il y a eu des pressions ! Il ne faudrait pas pérenniser légalement des développements anarchiques ! ». L’élu indépendantiste dénonce une « transgression implicite » des principes votés en novembre dernier : « Ce n’est pas ce que j’ai voté ! On a supprimé trois pages que nous avions passées douze heures à élaborer. Nous avions trouvé un accord qui avait une portée politique ! ».
Du courage politique
Corsica Libera dénonce des glissements sur un certain nombre de réorientations. « Au fil des avis, nous ne pouvons pas remettre en cause le projet de société qu’est le PADDUC. Il nous faut retrouver l’équilibre de ce document. Nous n’avons pas pour objectif de faire des maires, des adversaires. Il ne s’agit pas d’imposer quoi que ce soit, mais il est de notre responsabilité de fixer des cadres », avertit Josepha Giacometti. Elle prévient que « tous ces ajustements ne doivent pas venir réduire les objectifs affichés des 105 hectares agricoles. Les espaces stratégiques, situés dans les secteurs d’enjeux régionaux, courent toujours le risque d’être consommés ». Sur les dangers d’inconstitutionnalité de la notion de peuple corse et du statut de coofficialité soulevés par le préfet, elle rétorque : « Ces fragilité juridiques, pointées par certains, sont, pour nous, des choix politiques. C’est une affirmation que l’Etat continue de nier, nous continuerons à l’affirmer ! Il faudra faire des choix avec beaucoup de courage politique. L’Exécutif doit tenir bon sur les objectifs que nous nous sommes assignés ».
Des reculs inacceptables
Même souci chez Femu a Corsica devant le rejet de son amendement sur les espaces stratégiques agricoles. Son président, Jean-Christophe Angelini, estime que la nécessaire prise en compte de la réalité du terrain ne doit, cependant, pas amenuiser le document initial. « C’est ce PADDUC-là qui, pour nous, permet le développement et de mettre un terme à un certain nombre de dérives qui ont altéré le rapport des Corses à la terre et le développement économique. Nous ne voulons pas qu’il y ait la modification de trop et que l’exercice très complexe, auquel nous nous sommes livrés collectivement, ne soit dénaturé et que ce second document tourne le dos à nos fondamentaux. Les conditions de compensations sur les espaces agricoles peuvent amenées à des situations impossibles et inégalitaires. Dans les espaces à enjeux régionaux et espaces remarquables, sur l’amiante et le nucléaire, par exemple, l’Exécutif recule ! Il est hors de question que, pas plus que nous n’acceptons l’alignement à des lobbies municipaux, il y ait alignement sur des lobbies préfectoraux ! Pour nous, c’est inacceptable ! ».
Du réalisme
Maria Guidicelli tente de rassurer : « On ne peut pas nous reprocher de remettre en cause les fondamentaux. Un PADDUC qui promeut un modèle de développement est une chose, un PADDUC qui permet la mise en œuvre de ce modèle est autre chose ». Tout en prêchant le pragmatisme : « L’enjeu est d’apporter le cadre juridique de nature à sécuriser le PADDUC. Nous souhaitons maintenir la cartographie tel qu’elle a été adoptée. Néanmoins, il y a le temps de l’enquête publique qui permettra d’argumenter pour réévaluer, peut-être la cartographie. Il ne faut, donc, ne prendre aucun risque inutile ! Il faut faire preuve de réalisme et de pragmatisme ! Il faut donner toutes ses chances à notre PADDUC par un vote clair et unanime. Nous le devons à la Corse, mais nous le devons aussi à nous-mêmes ».
La droite contre
Après l’examen des 34 amendements, malgré la réaffirmation de leurs craintes qui n’ont pas été dissipées, les Nationalistes décident, par cohérence, de voter les trois délibérations formant le texte, comme l’ensemble de la majorité territoriale. Six élus de droite votent contre, Antoine Sindali et Anne-Marie Natali s’abstiennent. Aline Castellani s’abstient ou vote contre selon les délibérations. Au final, le PADDUC II est adopté.
Dès que le document sera arrêté par le président de l’Exécutif, il sera soumis à enquête publique dans un délai de 15 jours. Treize enquêteurs ont été mobilisés pour deux mois dans 26 permanences réparties sur l’ensemble du territoire, ainsi qu’un dispositif dématérialisé. Leur rapport conduira à d’autres modifications pour l’examen du rapport définitif prévu pour la rentrée de septembre.
N.M.
Un plan applicable
En préambule, Maria Guidicelli, la conseillère exécutive en charge de l’élaboration du PADDUC fixe l’exercice du jour : « Deux bornes nous sont imposées. D’abord, la loi, et la loi seule, définit notre cadre de travail et le périmètre de notre délibération. Ensuite, le vote, que vous avez émis, à la fois, sur le projet de société et le projet de développement durable, ne doit pas être remis en cause, si ce n’est pour améliorer la sécurité juridique du document. Pour être appliqué, il doit être applicable. Un PADDUC applicable est un PADDUC sécurisé de manière juridique. Notre objectif, à travers la prise en compte d’un certain nombre de remarques, est sa sécurisation ». Elle explique, ensuite, que le PADDUC, étant conçu au service de la Corse et de ses territoires, ne peut se faire sans la collaboration des élus locaux, des entreprises et des chambres consulaires. « Sans eux, le PADDUC ne serait qu’un objectif théorique et donc un ensemble de règles inutiles ! La règle doit être au service du projet et non l’inverse ! ».
Un parti-pris politique
Maria Guidicelli présente, donc, des modifications « levant le risque d’illégalité et de fragilité juridique, garantissant l’applicabilité du document et l’opérationnalité des mesures qu’il entend mettre en œuvre, et respectant les échelons politiques dans leurs prérogatives et compétences, cela sans remettre en cause, ni le pacte politique voté en juillet 2012, ni le projet de développement voté en janvier 2014, ni le projet de PADDUC acté le 1er novembre dernier ! Bien au contraire, nous avons renforcé nos objectifs ! ». Elle précise que toutes les remarques émises n’ont pas été prises en compte, notamment pour des raisons politiques en ce qui concerne la notion de peuple corse et le statut de coofficialité. Elle annonce l’insertion d’une toponymie en langue corse dans la cartographie.
Des maires pris en compte
Concernant les espaces stratégiques agricoles, les 105 000 hectares sont préservés, mais les quotas d’érosion sont supprimés. « Il appartient aux élus locaux de retirer des espaces stratégiques des terres qui ont perdu leurs potentialités. Mais, ils devront reprendre à leur compte le classement régional des meilleures terres agricoles et participer à l’objectif régional en appliquant un principe d’équivalence des terres, ailleurs sur le territoire, en quantité et qualité identiques ». Maria Guidicelli propose, ensuite, de substituer à la notion d’espace mutable (EMU), celle de secteur d’enjeu régional « parce qu’il y a dans ces secteurs, des aménagements qui serviront le projet régional ». Le nouveau document n’établit plus de périmètres précis qu’il laisse à l’appréciation des élus locaux, mais maintient les prescriptions d’aménagement.
La chèvre et le chou
Ces modifications ne sont pas du goût des groupes politiques qui, tous, trouvent à redire. La droite, qui avait quitté la table des discussions en octobre dernier estimant que l’Exécutif avait cédé à la pression des Nationalistes, particulièrement de Femu a Corsica, se réjouit des avertissements préfectoraux, mais n’est guère plus convaincue sur le document d’ensemble. « Je ne suis pas sûre que cette deuxième mouture du PADDUC a pris en compte les inquiétudes des différents maires à l’échelon de la Corse. Vous ménagez la chèvre et le chou entre préservation et développement. Il faut aller au bout du développement ! Vous n’y êtes pas arrivés ! Cette deuxième mouture n’est pas une réussite ! C’est la raison pour laquelle nous proposons des amendements. J’espère qu’ils ne seront pas, cette fois, balayés d’un revers de main comme ce fut fait en novembre où votre attitude a été scandaleuse ! », lance Marie-Antoinette Santoni-Brunelli, élue de Rassembler pour la Corse.
Un rendez-vous manqué !
Sa colistière, Stéphanie Grimaldi se félicite que les avis émis reprennent toutes les fragilités juridiques que la droite avait soulignées, et prévient que « Revenir sur les modifications préfectorales pourrait avoir des conséquences fatales sur le PADDUC ». Elle invite à supprimer tous les dispositifs complexes et les contraintes supplémentaires qui pourraient ajouter du contentieux. « Le rôle du PADDUC n’est pas de rajouter des contraintes, mais de préciser celles existantes ». Pour l’élue libérale, cette 2ème version ouvre une nouvelle brèche à une interprétation juridique. « Ce document va produire de la jurisprudence : il n’apportera ni sécurité, ni légalité aux documents d’urbanisme. Il va redonner la main aux juges et aux contentieux. Il demeure fragile juridiquement car c’est votre volonté d’aller au-delà de ce que la loi propose. L’enquête publique sera le temps du sursaut face à ce document que vous sacrifiez sur l’autel de considérations politiques et électorales. Ce qui était un rendez-vous pour la Corse est un rendez-vous manqué ! ».
Pas d’expertise
Opposition renouvelée d’Aline Castellani, présidente de La Gauche républicaine, qui, en novembre, avait été la seule des 39 élus présents, a voté contre le PADDUC. Elle rejette la liste des espaces remarquables et caractéristiques, indiquant que « aucune expertise n’a été faite au cours de l’élaboration du PADDUC. Les Atlas de la loi littoral ont été élaborés, en 2004 par les services de l’Etat, sans concertation avec les élus locaux et ne traduisent pas les réalités du terrain. Au surcroit, ils ne sont pas opposables et n’ont aucune valeur juridique. Le PADDUC se borne à les officialiser. On était en droit d’attendre mieux ! ». Même verdict pour la carte des vocations des plages et des séquences littorales autorisant des aménagements légers et non permanents, comme les paillotes. Elle considère « qu’elle pourrait conduire à une rupture d’égalité et serait source de tensions lors de la procédure de mise en concurrence de la concession des plages ». Même si elle approuve les modifications opérées par l’Exécutif, Aline Castellani ne lève pas toutes ses réserves et annonce qu’elle s’abstiendra de voter le document.
Le risque d’amalgame
Antoine Orsini, président du groupe Corse Social Démocrate, s’inquiète, quand à lui, de l’applicabilité du PADDUC : « C’est un projet de société, un plan de développement qui doit influencer l’ensemble des politiques publiques de l’ensemble des collectivités de Corse. Il ne doit pas être rangé dans un tiroir. Il faudra relifter nos politiques publiques pour les mettre dans le sens du PADDUC ». Il s’interroge, ensuite, sur la définition du caractère stratégique des espaces agricoles, notamment en zone montagne, craignant l’amalgame entre des zones agricoles vivrières non marchandes et des zones de productions agricoles « On ne doit pas figer des zones infimes d’urbanisation sous prétexte de préservation ». Il reste dubitatif sur la capacité du PADDUC à sécuriser les documents d’urbanisme : « Leur mise en conformité, dans un délai de trois ans, ne va-t-elle pas remettre en cause ou fragiliser ces documents qui sont des rescapés, vu le nombre d’annulations ? ».
Une transgression implicite
Les réserves sont, également très nettes chez les Nationalistes qui craignent une dénaturation d’une 1ère mouture qu’ils ont arraché au forceps et la pression qui sera exercée lors de l’enquête publique. Paul-Félix Benedetti, d’U Rinnovu, tacle les distorsions par rapport au document précédent et la remise en cause de certains acquis : « On ne peut pas avoir une double lecture des espaces agricoles stratégiques ! Ou ils sont agricoles, ou ils ne le sont pas ! Les secteurs d’enjeux régionaux laissent entendre qu’il peut y avoir urbanisation. Ce n’est pas compatible ! Cela laisse penser aux maires qu’ils pourront faire ce qu’ils veulent avec un PADDUC pas très contraignant, or ce n’était pas notre esprit de départ. Pour contraindre, il faut bloquer les espaces ! Or, là tout est rayé ! Je sais qu’il y a eu des pressions ! Il ne faudrait pas pérenniser légalement des développements anarchiques ! ». L’élu indépendantiste dénonce une « transgression implicite » des principes votés en novembre dernier : « Ce n’est pas ce que j’ai voté ! On a supprimé trois pages que nous avions passées douze heures à élaborer. Nous avions trouvé un accord qui avait une portée politique ! ».
Du courage politique
Corsica Libera dénonce des glissements sur un certain nombre de réorientations. « Au fil des avis, nous ne pouvons pas remettre en cause le projet de société qu’est le PADDUC. Il nous faut retrouver l’équilibre de ce document. Nous n’avons pas pour objectif de faire des maires, des adversaires. Il ne s’agit pas d’imposer quoi que ce soit, mais il est de notre responsabilité de fixer des cadres », avertit Josepha Giacometti. Elle prévient que « tous ces ajustements ne doivent pas venir réduire les objectifs affichés des 105 hectares agricoles. Les espaces stratégiques, situés dans les secteurs d’enjeux régionaux, courent toujours le risque d’être consommés ». Sur les dangers d’inconstitutionnalité de la notion de peuple corse et du statut de coofficialité soulevés par le préfet, elle rétorque : « Ces fragilité juridiques, pointées par certains, sont, pour nous, des choix politiques. C’est une affirmation que l’Etat continue de nier, nous continuerons à l’affirmer ! Il faudra faire des choix avec beaucoup de courage politique. L’Exécutif doit tenir bon sur les objectifs que nous nous sommes assignés ».
Des reculs inacceptables
Même souci chez Femu a Corsica devant le rejet de son amendement sur les espaces stratégiques agricoles. Son président, Jean-Christophe Angelini, estime que la nécessaire prise en compte de la réalité du terrain ne doit, cependant, pas amenuiser le document initial. « C’est ce PADDUC-là qui, pour nous, permet le développement et de mettre un terme à un certain nombre de dérives qui ont altéré le rapport des Corses à la terre et le développement économique. Nous ne voulons pas qu’il y ait la modification de trop et que l’exercice très complexe, auquel nous nous sommes livrés collectivement, ne soit dénaturé et que ce second document tourne le dos à nos fondamentaux. Les conditions de compensations sur les espaces agricoles peuvent amenées à des situations impossibles et inégalitaires. Dans les espaces à enjeux régionaux et espaces remarquables, sur l’amiante et le nucléaire, par exemple, l’Exécutif recule ! Il est hors de question que, pas plus que nous n’acceptons l’alignement à des lobbies municipaux, il y ait alignement sur des lobbies préfectoraux ! Pour nous, c’est inacceptable ! ».
Du réalisme
Maria Guidicelli tente de rassurer : « On ne peut pas nous reprocher de remettre en cause les fondamentaux. Un PADDUC qui promeut un modèle de développement est une chose, un PADDUC qui permet la mise en œuvre de ce modèle est autre chose ». Tout en prêchant le pragmatisme : « L’enjeu est d’apporter le cadre juridique de nature à sécuriser le PADDUC. Nous souhaitons maintenir la cartographie tel qu’elle a été adoptée. Néanmoins, il y a le temps de l’enquête publique qui permettra d’argumenter pour réévaluer, peut-être la cartographie. Il ne faut, donc, ne prendre aucun risque inutile ! Il faut faire preuve de réalisme et de pragmatisme ! Il faut donner toutes ses chances à notre PADDUC par un vote clair et unanime. Nous le devons à la Corse, mais nous le devons aussi à nous-mêmes ».
La droite contre
Après l’examen des 34 amendements, malgré la réaffirmation de leurs craintes qui n’ont pas été dissipées, les Nationalistes décident, par cohérence, de voter les trois délibérations formant le texte, comme l’ensemble de la majorité territoriale. Six élus de droite votent contre, Antoine Sindali et Anne-Marie Natali s’abstiennent. Aline Castellani s’abstient ou vote contre selon les délibérations. Au final, le PADDUC II est adopté.
Dès que le document sera arrêté par le président de l’Exécutif, il sera soumis à enquête publique dans un délai de 15 jours. Treize enquêteurs ont été mobilisés pour deux mois dans 26 permanences réparties sur l’ensemble du territoire, ainsi qu’un dispositif dématérialisé. Leur rapport conduira à d’autres modifications pour l’examen du rapport définitif prévu pour la rentrée de septembre.
N.M.