Une association culturelle (Associu Ponte Novu: https://www.facebook.com/pages/Ponte-Novu/524461297630241?fref=ts ) m'a récemment gratifie d'une citation:
"Vous vous intéressez à la généalogie ?
Partez à la découverte de l'origine de votre nom et des noms corses dans ce passionnant ouvrage écrit par Monsieur Jean Chiorboli, éditions Albiana." (Associu Ponte Novu, https://www.facebook.com/photo.php?fbid=529289907147380&set=a.527354130674291.1073741828.524461297630241&type=1).
Je saisis l'occasion pour préciser que mon approche est linguistique, étymologique plutôt que "généalogique". C'est donc en linguiste que je m'intéresse aux "noms propres", qui font partie de la langue, certaines formes étant à la fois nom commun et nom propre.
S'agissant d'ORIGINE (linguistique), on sait par exemple que le latin Ursus est à la base de plusieurs formes en corse et dans les langues romanes: des noms communs (évocation de l'animal), et des noms propres (prénom, noms de famille, toponymes). En Corse le prénom Ours (Orsu) est encore porté, et le nom de famille ORSINI est très fréquent dans l'annuaire (18e rang) et présent dans les 5 arrondissements. Bien qu'il soit présent ailleurs (notamment en Italie), il peut être d'origine corse comme beaucoup d'autres, malgré une forme toscanisée par l'administration. Dans les actes anciens on relève souvent des variantes plus conformes à la prononciation locale majoritaire, par exemple URSINI au 19e siècle à AJACCIO. Cela ne constitue pas une preuve (car URSINI est présent en Italie), mais certaines formes anciennes portent une marque plus spécifique.
LARENZONI (19e siècle à Quenza) n'est plus dans l'annuaire corse mais peut être une variante locale de LORENZONI. On a ici une évolution particulière de –AU- latin prétonique: au prénom toscan Lorenzo correspond en Corse Larenzu (Lurenzu); en Sardaigne on a aussi le nom de famille LARINZONI.
Quant aux aspects généalogiques ils relèvent d'un autre domaine. Par exemple il n'appartient pas au linguiste de répondre à la question de savoir si Antoine ORSINI (Président de la Commission des Finances de l'Assemblée Territoriale Corse depuis 2010) est un descendant de Giordano ORSINI (Mercenaire romain commandant des galères de Cosme de Médicis en 1550).
D'autant que le fameux mercenaire avait forcément lui-même des ancêtres venus d'ailleurs, descendants d'Adam et Ève, ou des premiers hommes qui ont quitté le berceau (africain) de l'humanité pour coloniser la planète entière…
Voici quelques exemples, à la fois noms communs et noms propres (patronymes, toponymes), qui illustrent la démarche linguistique qui est la nôtre.
La végétation
L'aulne (ALZETO)
Le nom de famille ALZETO, aujourd'hui introuvable dans l'annuaire corse mais fréquent sur le continent français (surtout dans les Bouches-du-Rhône), est amplement attesté à Bastia dès 1813. On trouve fréquemment en toponymie la forme de base alzu "aulne" ainsi que de nombreux dérivés, notamment alzetu ("aulnaie") qui correspond à de nombreux noms de lieux (parfois toscanisés en Alzeto) en Corse du Sud (communes de Albitreccia; Arro; Bilzese; Figari; Olivese; Olmeto; Quenza; Salice; Sari-d'Orcino; Serra-Di-Scopamène) comme en Corse du Nord (Albertacce; Cervione; Nonza; Poggio-Di-Nazza; San Pietro; San-Giovanni-Di-Moriani; Santa-Maria-Di-Lota; Ville-Di-Pietrabugno). C'est de ce dernier village près de Bastia qu'était originaire l'auteur en langue corse S.NICOLAI connu sous le nom Dalzeto (nom d'un hameau de la commune).
L'arbousier (ALBITRECCIA)
Comme pour le nom de l'aulne, on retrouve en toponymie le nom corse de l'arbousier sous sa forme de base et sous de nombreuses formes dérivées notamment avec –on- :Albitrone (Carbuccia 2A), Arbitrone (Zalana 2B) ou Erbitrone (Favalello 2B). Comme pour Alzeto on a un suffixe collectif –et- dans Albitreto (Borgo 2B) ou –ecc- dans Albitreccia (2A; les deux toponymes évoquent un lieu où poussent des arbousiers). En rapport avec ce dernier toponyme on a le nom de famille corse déjà mentionné ALBITRECCIA (inconnu en Italie).
Le ciste (MUCCHIELLI)
Le ciste (muchju) est aussi très présent dans la toponymie; on aussi (avec le suffixe –ell-) le type Mucchiello (Ghisoni ou Corte 2B), qui est probablement à la base du nom de famille assez fréquent MUCCHIELLI.
On peut évoquer ici des noms de famille attestés en Corse du Sud, comme MUCCHI, à Sartène (2A) dans les années 1810, ou MUCCHIETTI à Ajaccio à peu près à la même époque.
En Italie du Nord le nom de famille très rare MUCCHIUTTI a probablement une autre origine; le nom de personne Mucchio est attesté dans un document italien du 14e s.).
Un roncier dans le marais (LAMETA)
Le "roncier", très présent dans la toponymie corse sous diverses formes comme dans la forme typique lamaghju (par exemple Lamajo à Murato 2B, Lamaja à Carbini 2A), et, sans doute avec le même sens, Lameta à Zerubia (2A). Ce toponyme coïncide avec le nom de famille LAMETA, dont le centre de diffusion semble bien situé dans la même zone géographique: dans les actes anciens dès 1800 on en a de très nombreuses attestations, presque toutes à Guargualè (2A).
A propos du toponyme Lama (2B), on évoque deux possibilités: origine latine ("marais") ou plus ancienne ("buisson épineux"). A l'île d'Elbe lama désigne à la fois les lieux humides et les buissons. Le "dizionario elbano" rappelle aussi le sens de "ravin" signalé par Rohlfs: toutes ces caractéristiques peuvent d'ailleurs être cumulées sur les mêmes lieux. La polysémie –et le "croisement" de bases diverses- peut concerner la toponymie corse, même si aujourd'hui lamaghja, lamaghjone se réfèrent surtout à des ronciers.
Expansionnisme sudiste: "Il muflone corso e sardo"
L'onomastique illustre également d'autres domaines que la flore.
Il est rare que les dictionnaires de l'italien "standard" s'intéressent au corse, sauf quand on attribue la présence de certains mots à l'influence du corse, c'est-à-dire à des phénomènes d'emprunt en direction inverse par rapport à celle que l'on évoque habituellement, qui renforcent et dans une certaine mesure vont au delà de la théorie (déjà évoquée) des échanges à double-sens entre Corse et Toscane notamment durant la période pisane.
Parmi les particularités lexicales que l'on retrouve dans les noms de famille corses nous avons déjà cité MUFRAGGI qui évoque a mufra, le "mouflon", en italien muflone que le célèbre "Vocabolario Treccani": illustre ainsi:
"muflóne (non com. mufióne o muffióne) s. m. [da una voce còrsa e sarda, che è il lat. Tardo mufro-onis; cfr. mouflon]....Mammifero bovide (lat. scient. Ovis musimon), alto alla spalla circa 70 cm, originario della Corsica e della Sardegna...]"
Il tafone corso
Dans le dictionnaire cité on trouve également une entrée tafone ("trou" avec une acception particulière en géomorphologie; le terme est ignoré par les dictionnaires français, les géologues emploient le mot corse, parfois avec un -s au pluriel: tafonis):
"tafóne s. m. [termine region. della Corsica, di prob. origine preromana]. – In geomorfologia, cavità alveolare subsferica che si forma in seguito a processi di alterazione nelle rocce cristalline e in alcune vulcaniti..."
La rivergola corsa
Le même dictionnaire répertorie le nom corse de la guimbarde et cite des vers du poète italien G.Ungaretti. On notera que l'auteur écrit Ghiuvanni conformément à la graphie corse de l'époque (et non GIOVANNI (administrativement toscanisé) qui s'est imposé comme nom de famille):
"rivérgola s. f. [voce còrsa, rivérgula o rivèrgula, affine all’ital. ribeba]. – Nome còrso dello scacciapensieri: Dentro i monti còrsi, a Vivario, Uomini intorno al caldo a veglia... Ors’Antone che canta ascoltano, Accompagnato dal sussurro della rivergola Vibrante di tra i denti del ragazzo Ghiuvanni (Ungaretti)".
Nous n'entrerons pas dans la discussion étymologique, ni dans les problèmes que pose l'emploi des termes techniques. Les controverses ne sont pas rares dans le domaine des instruments de musique anciens, surtout quand il s'agit de donner des équivalents dans les diverses langues.
Une guimbarde corse contre l'armée française d'Italie (BOCCHECIAMPE)
Pour rester dans le domaine onomastique, nous citerons le nom de famille typiquement corse BOCCHECIAMPE (fréquent surtout à Oletta, 2B) qui a été ainsi analysé:
"Boccheciampe: Porté en Corse, le nom est la forme plurielle du mot boccaciampa, qui désigne en corse la "guimbarde" (instrument de musique à cordes). Sans doute le surnom d'un joueur ou d'un fabricant de guimbardes".
Le terme boccaciampa (qui a une dizaine de variantes locales) est attribué à la région du Fiumorbo, la forme plurielle du nom de famille étant sans doute relativement récente. Les historiens indiquent que Bocca-Ciampa est le nom d'un aventurier corse commandant les insurgés de l'Armée Coalisée de la Pouille, révoltée contre l'armée Française d'Italie.
J. CHIORBOLI, 14/10/2013
(D'après "La légende des noms de famille",
J.Chiorboli, 2012, Albiana)