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À Ajaccio, l’épave Sanguinaires C renferme toujours de nombreux secrets


le Mardi 27 Juin 2023 à 21:27

Co-dirigé par l’Association pour la recherche archéologique sous-marine (ARASM) et le Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-Marines (DRASSM) le programme de fouilles pluriannuel 2021-2023 sur cette épave du XVIème siècle s’est achevé il y a quelques jours, après une dernière campagne qui s’est déroulée 31 mai au 23 juin. Les chercheurs espèrent toutefois bien pouvoir continuer leurs opérations l’année prochaine tant cette épave a encore beaucoup à apprendre



Découverte en 2005, l'épave Sanguinaires C gît par 19 mètres de profondeur au large des îles éponymes et n'en finit pas d'intéresser archéologues et passionnés d'histoire, au vu des nombreux secrets qu'elle renferme (Photo : Teddy Seguin / ARASM / DRASSM)
Découverte en 2005, l'épave Sanguinaires C gît par 19 mètres de profondeur au large des îles éponymes et n'en finit pas d'intéresser archéologues et passionnés d'histoire, au vu des nombreux secrets qu'elle renferme (Photo : Teddy Seguin / ARASM / DRASSM)
Elle git par 19 mètres de fond dans les eaux cristallines du golfe d’Ajaccio depuis le XVIème siècle. Découverte en 2005, l’épave « Sanguinaires C » intéresse depuis lors nombre de scientifiques et autres passionnés d’histoire. C’est pour tenter de percer ses fascinants secrets qu’en 2021 un programme pluriannuel de recherches archéologiques a été lancé pour trois ans par l’Association pour la recherche archéologique sous-marine (ARASM) et le Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-Marines (DRASSM), soutenus par le Ministère de la Culture et la Collectivité de Corse. Une opération qui vient de s’achever avec la campagne 2023 qui s’est déroulée du 31 mai au 23 juin.
 
Au fil de ces trois ans de fouilles, les chercheurs ont pu en apprendre un peu plus sur cette mystérieuse épave. À commencer par son origine. Au vu de son architecture particulière, le navire venait en effet sans nul doute de l’Europe du Nord, et avait surement été racheté par les Génois pour faire du transport de matériaux. D’ailleurs, sa cargaison principale était composée d’un chargement de pierres de calcaire dolomitique qui a au fil des ans a formé un impressionnant tumulus de pierres au fond de l’eau, contribuant à remarquablement bien préserver l’épave, malgré plus de 500 ans passés au fond de l'eau.  
 

Une découverte majeure

Marine Sadania, archéologue du DRASSM et co-directrice des recherches, et le capitaine de corvette Claude-Louis Gerbault, commandant du BBPD Pluton et du groupe de 10 plongeurs démineurs mobilisés sur cette campagne de fouilles (Photo : Michel Luccioni)
Marine Sadania, archéologue du DRASSM et co-directrice des recherches, et le capitaine de corvette Claude-Louis Gerbault, commandant du BBPD Pluton et du groupe de 10 plongeurs démineurs mobilisés sur cette campagne de fouilles (Photo : Michel Luccioni)
Cette année, les archéologues ont ainsi pu se concentrer notamment sur une cloison exceptionnellement bien conservée. « C’est relativement rare de retrouver de tels aménagements en place à l’intérieur d’une épave car ce sont des choses fragiles qui disparaissent avec le temps », indique Marine Sadania archéologue du DRASSM et co-directrice des recherches. « En étudiant cette cloison nous avions très peur qu’elle ne tienne pas et s’effondre. Nous avons été surpris car nous sommes parvenus à la suivre sur 6 mètres de long », abonde-t-elle en expliquant qu’arrivée à une certaine étape, son équipe a décidé de démonter la cloison pour prélever des planches et les documenter en surface. « Cela nous a permis d’étudier ce dispositif d’aménagement du bateau et de nous interroger sur le moment où il a été réalisé. Il est en outre porteur d’énormément de marques de charpentier. C’est tout à fait inédit pour nous. Nous avons une très grande étude à faire sur tous ces symboles de charpente », s’enthousiasme-t-elle en soulignant que l’étude de ces marques permettra de répondre à de nombreuses questions. 
 

Des appuis précieux

L'Alfred-Merlin, dernier né des navires du DRASSM, permet aux archéologues de travailler dans des conditions idéales (Photo : Michel Luccioni)
L'Alfred-Merlin, dernier né des navires du DRASSM, permet aux archéologues de travailler dans des conditions idéales (Photo : Michel Luccioni)
Au-delà de cette découverte majeure, cette campagne de fouilles a également permis aux archéologues de continuer à étudier la coque du navire afin de comprendre sa technique de construction et les essences employées. Par ailleurs, ils ont également enfin pu remonter deux meules de 600 kg grâce à l’Alfred Merlin, dernier né des navires du DRASSM. « Depuis 2022, son appui a changé vraiment beaucoup de choses pour nous. Les conditions de fouilles sont idéales et nous arrivons à atteindre des objectifs encore plus importants », sourit Marine Sadania. Construit en 2021, ce navire « extrêmement léger et peu polluant » est a en effet été spécialement conçu pour l’archéologie sous-marine. « Nous avons un portique très résistant à l’arrière qui nous sert pour remonter du matériel ou mettre des robots sous-marins à l’eau. Cela a changé pas mal de choses pour les archéologues en termes de confort et en termes d’outil de travail pour pouvoir remonter des pièces lourdes du fond. Avant ce n’était pas possible », explique ainsi Thibault Testut, le capitaine de l’Alfred Merlin.
 

La Marine Nationale en renfort

10 plongeurs-démineurs de la Marine Nationale ont apporter leur soutien aux opérations, en effectuant notant des prélèvements de bois (Photo : Teddy Seguin / ARASM / DRASSM)
10 plongeurs-démineurs de la Marine Nationale ont apporter leur soutien aux opérations, en effectuant notant des prélèvements de bois (Photo : Teddy Seguin / ARASM / DRASSM)
Afin que la campagne puisse atteindre l’ensemble de ses objectifs, pour la seconde fois depuis le début de ce programme pluriannuel, les chercheurs ont aussi pu compter sur l’appui des plongeurs-démineurs de la Marine Nationale. Après avoir permis de dégager l’important tumulus de pierres en 2021, ils ont cette fois été sollicités pour deux missions principales. « Tout d’abord, ils ont effectué des prélèvements dendrochronologiques, c’est-à-dire couper des sections de bois massives qui peuvent faire 30 cm de large par 20 cm de haut, et nous ont aussi aider à prélever la quille », détaille l’archéologue du DRASSM. « Et puis nous avons bien étudié la partie avant et comme il faut avancer dans la fouille, nous avons décidé de fermer cette zone de manière définitive. Cela ne veut pas dire que dans 20 ans des archéologues ne pourront pas y retourner mais nous avons décidé que c’était la fin et nous avons donc demander à la Marine Nationale de nous aider à fermer le site. Pour ce faire, nous avons déroulé des fibres végétales, nous avons remis le petit gravillon et le sable que l’on a prélevé et nous essayons de reprendre le niveau du tas de pierres tel qu’il était avant notre intervention humaine. Ces pierres vont permettre de protéger le site qui ne survivrait si on le laissait dégagé. C’est une étape indispensable », ajoute-t-elle en précisant que l’appui de la Marine Nationale, présente sur site durant 5 jours, « a été indispensable ».
 
« La plongée est quelque chose de fastidieux. On est toujours limité par le temps que l’on a au fond de l’eau. Et comme les archéologues ont de grands objectifs, nous apportons notre soutien pour mener des choses fastidieuses et longues à faire », glisse quant à lui le capitaine de corvette Claude-Louis Gerbault, commandant du BBPD Pluton et du groupe de 10 plongeurs démineurs mobilisés, en notant : « Pour nous cela revêt un petit intérêt d’entrainement, de sortir de notre cœur de métier qui est le déminage en mer et de plonger dans un autre univers ».
 

Une épave aux multiples trésors

L'une des céramique remontées de l'épave Sanguinaires C (Photo : Michel Luccioni)
L'une des céramique remontées de l'épave Sanguinaires C (Photo : Michel Luccioni)
Après ces trois années de recherches au sein de l’épave Sanguinaires C, les chercheurs ont d’ores et déjà fait des découvertes importantes pour l’histoire d’Ajaccio, mais aussi pour celle du commerce maritime en Méditerranée. D’autant plus que le navire abritait au fond de ses cales de nombreuses céramiques d’une grande qualité. « Les décors des céramiques peuvent nous en apprendre beaucoup sur le moment du naufrage car ils sont très évolutifs dans les décors et la forme au fil du temps », mentionne Hervé Alfonsi, président de l’ARASM et co-directeur des recherches. « Nous avons découvert une magnifique coupe « graffita a punta » intacte. Et puis, alors que jusqu’aux années précédentes, nous n’avions trouvé que des fragments de pichets, cette année nous avons pratiquement un demi pichet », se réjouit ce passionné et éminent spécialiste en la matière. Remarquablement conservées, ces céramiques affichent toujours de belles couleurs vives. « Comme si elles venaient de sortir de chez le potier », s’émerveille-t-il. 

Forts de ces multiples trésors, les chercheurs vont désormais s’ateller à effectuer un travail à terre pour en savoir plus sur ce bateau qui sombra un jour au large d’Ajaccio. « L’année 2023 marque la fin du programme pluriannuel. Il nous faudra construire un nouveau projet pour l’année prochaine dans la perspective d’atteindre la zone centrale du bateau », dévoile Marine Sadania. L’épave Sanguinaires C est en effet loin d’avoir livré tous ses secrets. « Le grand mystère désormais c’est l’emplacement du grand mât. C’est une recherche fondamentale qui nous donnera beaucoup d’informations », annonce d’ailleurs Henri Alfonsi. 
 

(Photos : Michel Luccioni)