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A Ajaccio, Paese di Legnu, est une passerelle pour les grands marginaux


Julia Sereni le Dimanche 6 Février 2022 à 14:25

Le 31 janvier dernier, un nouveau lieu de vie dédié aux grands marginaux s’est ouvert à Ajaccio, « Paese di Legnu ». L’objectif, offrir un espace passerelle entre la rue et les structures classiques. Dès le 7 février, les premiers occupants vont investir les lieux.



Christelle Bellina, directrice de la Fraternité du Partage
Christelle Bellina, directrice de la Fraternité du Partage
Sur la route d’Alata, un lopin de terre un peu coincé entre le magasin Leclerc et les locaux de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie. Çà et là, se dressent des petites unités semblables, comme des bungalows faits de pin laricio. C’est le tout nouveau site « Paese di Legnu », ouvert officiellement le 31 janvier dernier.
 
Un lieu inédit dédié aux grands marginaux, façonné par l’expérience et la volonté de Christelle Bellina, directrice de la Fraternité du Partage. « L’idée, cela faisait très longtemps que nous l’avions », raconte-t-elle. « Je trouvais qu’il n’était pas possible de ne pas pouvoir accueillir les gens avec leurs animaux, et j’avais toujours dit qu’avant de partir à la retraite, je ferai cela. » Pari tenu, à quatre ans de l’échéance. Et ce, presque grâce au hasard. En septembre 2020, l’État lance un appel à manifestation d’intérêt afin de créer des structures innovantes pour les personnes en situation de grande marginalité. « J’ai présenté ce que je voulais et ça a marché », résume, dans un sourire, Christelle Bellina. En novembre, la directrice apprend que son idée est retenue au niveau national.

« Tout le monde a apporté son aide »

Un projet à 579 000 euros, financé principalement par l’État, à hauteur de 312 000 euros, avec une participation de la Collectivité de Corse, de la Ville d’Ajaccio, et une part de mécénat privé. « Tout le monde a apporté son aide », souligne Gaëlle, cheffe de service social à la Fraternité du Partage.  Construction, meubles, décoration, les entreprises insulaires ont, elles aussi, joué le jeu. Et quatorze mois plus tard, « Paese di Legnu » est ouvert.

« On vient juste de recevoir les tables et les chaises d’extérieur ! », lance Christelle Bellina en montrant du regard le mobilier kaki installé sur la terrasse de la salle commune. Une pièce à la large baie vitrée, pour un effet « dedans dehors ». « Quand on a construit, nous avons réfléchi à leurs besoins et pas à ce que nous voulions voir nous », explique la directrice. « Pour celui qui a passé 25 ans dans la rue, ne serait-ce que dormir dans un lit, c’est à réapprendre », illustre Gaëlle. Volontairement, les quinze unités ne sont donc pas entièrement aménagées. Pas encore de kitchenettes, par exemple, même si les installations le permettent. « Pour certains, cela peut faire peur de rentrer dans quelque chose de tout beau, tout propre », poursuit-elle.

« Ils sont heureux de s’imaginer avec une clé »

Photos Michel Luccioni
Photos Michel Luccioni
Ici, 20 personnes pourront être accueillies, seules ou en couple, soit la moitié des grands marginaux du territoire ajaccien. « Mais ce n’est pas un lieu d’hébergement, c’est une forme d’habitat », insiste Christelle Bellina. Contrairement aux structures classiques, il n’y pas de durée de séjour définie, pas d’obligations non plus, ni d’objectifs à remplir. « On a un règlement hyper basique : est proscrit ici tout ce qui est interdit par la loi. » Ainsi, la consommation d’alcool ou la présence d’animaux seront autorisées. « On leur permet ainsi d’accéder à leur zone de confort », indique la directrice.

Dès le 7 février, les premiers bénéficiaires du projet intégreront les lieux. Au fil de la semaine, ils entreront deux par deux, pour arriver à six. « Nous avons choisi de faire progressivement pour un accompagnement personnalisé », précise Gaëlle. « Ils sont heureux de s’imaginer avec une clé », raconte la jeune femme. « L’un d’entre eux m’a dit  : ‘Je vais être le plus heureux du monde’ . » Une fois sur place, ils pourront participer à la création d’un potager, d’une ruche, ou encore d’un boulodrome. Pour les accompagner, sept personnes ont été recrutées. Parmi les profils, une horticultrice ou encore un pâtissier. « Nous avons pris des personnes, pas des travailleurs sociaux. Nous avons voulu avoir des gens avec du savoir-être », explique la directrice en traversant la passerelle artisanale, qui relie comme une métaphore un peu trop facile les deux parties du terrain.

En même temps que leurs yeux balaient les constructions de bois, les deux femmes réalisent le chemin parcouru. « Mille fois nous aurions pu abandonner. Le maître-mot, c'est la ténacité », souffle Christelle Bellina. 

​« On a hâte que ça vive maintenant. », conclut-elle, impatiente.