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James Ellroy sera au théâtre de Bastia, le 8 Mai


Nicole Mari le Mercredi 29 Avril 2015 à 00:34

Attention événement ! James Ellroy, l’un des plus grands écrivains de romans noirs vivant, adulé comme une rock star, présentera son nouveau roman, « Perfidia », le 8 mai, à partir de 17 heures au théâtre de Bastia. Il lira des extraits de son livre, qui sortira deux jours avant, le 6 mai, et répondra aux questions du public qu’il rencontrera, ensuite, dans le péristyle pour signer des dédicaces. Cet événement est d’autant plus exceptionnel que Bastia est l’une des trois villes que l’auteur, avare de ses apparitions, a choisie pour sa tournée française. Il a lieu dans le cadre des 2ème Rencontres littéraires « Una Volta, Dui Mondi », organisées par la Librairie des Deux Mondes et le Centre Culturel Una Volta, en partenariat avec la mairie de Bastia. Explications, pour Corse Net Infos, de Sébastien Bonifay, libraire aux Deux Mondes, et, en vidéo de Gilles Simeoni, maire de Bastia.



Dominique Mattei,  directrice du Centre Culturel Una Volta, Mattea Lacave, adjointe à la culture, Gilles Simeoni, maire de Bastia, Sébastien Bonifay et (en arrière plan) Pierre Negrel, libraires.
Dominique Mattei, directrice du Centre Culturel Una Volta, Mattea Lacave, adjointe à la culture, Gilles Simeoni, maire de Bastia, Sébastien Bonifay et (en arrière plan) Pierre Negrel, libraires.
- Comment avez-vous réussi à faire venir un monstre de la littérature, comme James Ellroy, à Bastia ?
- C’est, luxe suprême, la maison d’édition Rivages qui nous l’a proposé. Rivages est, pour moi, la plus grande maison d’édition de romans policiers devant La Série Noire. Elle fait, depuis trente ans, un travail phénoménal. Nous l’avons rencontrée pour préparer la deuxième édition des Rencontres littéraires du mois de juin : « Una Volta, dui mondi ». Nous passions en revue les auteurs, qui sortaient des livres pendant le premier semestre 2015, sans trouver grand chose. Mon interlocutrice me dit : « Il y a, quand même, James Ellroy ! C’est en mai, mais pourquoi pas ? ». J’ai failli tomber de ma chaise. Ça me semblait fou ! Jamais dans nos rêves les plus fous, on aurait pu solliciter la maison d’édition pour nous envoyer James Ellroy. Ça me semblait tellement inaccessible ! Et ça l’est puisqu’il fait de très rares apparitions, sélectionnées avec soin !
 
- De possible, le rêve est-il facilement devenu réalité ?
- Nous avons travaillé pendant deux mois. Rivages nous a demandé d’écrire une lettre de motivation pour expliquer pourquoi nous voulions recevoir James Ellroy et ce que nous pensions faire. Nous avons écrit, la lettre a plu. James Ellroy y a été très sensible. Quand la maison d’édition a effectué une sélection des centaines de demandes qu’elle a reçues de toute la France, elle nous a choisis et fait en sorte qu’il vienne chez nous. Elle a presque construit la tournée française par rapport à Bastia, puisque, hormis Paris, elle a choisi, en deuxième ville, Bastia, et, en troisième étape, une ville proche : Marseille.
 
- Pourquoi un tel calibre comme Ellroy accepte-t-il de venir dans une petite ville, comme Bastia, qui n’est pas réputée pour ses évènements littéraires ?
- Il y a, quand même, quelques grands auteurs qui sont venus ! Mais, c’est vrai que James Ellroy est d’un calibre différent ! Pourquoi choisit-il Bastia ? Parce que nous lui proposons, aussi, quelque chose de différent.
 
- C’est-à-dire ?
- D’abord, nous lui avons montré que nous étions, au-delà de vendeurs de livres, des gens qui aimaient vraiment la littérature, ce à quoi il est sensible, et que nous aimions la sienne, ce à quoi il est aussi très sensible. Ce n’est pas toujours le cas, croyez-moi ! Ensuite, nous avons proposé de le recevoir à la hauteur de ce qu’il est : un des plus grands, peut-être même le plus grand écrivain de romans noirs vivant. De toute évidence, le plus influent puisque très peu d’auteurs de romans policiers ne se revendiquent pas de lui, voire même ne disent pas que c’est grâce à lui qu’ils ont commencé à écrire. Il est aussi considéré comme un immense écrivain sans aucune barrière de genre. Joyce Carol Oates, autre grand écrivain américain, considère que James Ellroy est le Dostoïevski de notre époque. Ce n’est pas rien !
 
- De quelle manière spéciale, allez-vous le recevoir ?
- Pas dans une librairie, comme tout le monde lui propose, mais dans un grand théâtre. Nous lui avons dit que nous ferions les choses en grand, à sa mesure. La maison d’édition nous a appuyés. Elle nous a fait confiance. Elle a pensé que nous saurions faire les choses comme il fallait.
 
- Est-ce parce que James Ellroy est tout autant un personnage médiatique qu’un écrivain ?
- Je dirai le contraire : c’est un écrivain, avant d’être un personnage ! Contrairement à beaucoup d’auteurs qui ont bâti leur succès sur un personnage médiatique, souvent l’œuvre ne suit pas, James Ellroy est, d’abord, un grand écrivain. Ensuite, c’est un personnage à la hauteur de l’écrivain, provocateur, très drôle, attachant, presqu’une rock star ! Mais son côté, effectivement, très médiatique n’a jamais fait d’ombre à son œuvre. Jamais le personnage n’est passé devant l’œuvre qui, aujourd’hui, est considérée comme gigantesque !
 
- Qu’est-ce qui lui a valu son surnom de « Dog » ?
- C’est lui qui se l’est donné ! Il s’est donné pas mal de surnoms. Il sait qu’il faut donner du plaisir aux gens et ne pas se prendre au sérieux. Contrairement à la manière dont son œuvre est traitée en France, de manière quasi-religieuse par les plus grands médias qui lui vouent un culte incroyable. Il n’y a pas un auteur de polar qui soit, en France, autant considéré que lui ! Son accueil sera digne d’une rock star ! C’est en contradiction avec son œuvre qui est comme un shoot d’adrénaline, presqu’un comics, ces BD qui nous procuraient un plaisir immédiat par leur candeur, leur fraicheur, l’outrance des personnages et des histoires. James Ellroy, en vrai, c’est exactement ça ! Il ne joue pas un rôle, il veut que les gens l’écoutent et, pour ça, c’est le plus fort ! Ça lui a valu un intérêt médiatique et une passion de ses fans qui l’idolâtrent comme peu d’auteurs le sont.
 
- A-t-il un vrai public en Corse ?
- Oui ! Notre librairie vend énormément de romans noirs et James Ellroy est, peut-être, l’auteur que nous vendons le plus. Depuis que nous avons annoncé sa venue, des gens nous appellent, de toute la Corse, pour nous demander comment assister à sa rencontre. J’en profite pour préciser que c’est, évidemment, gratuit et ouvert à tous, mais qu’il ne faudra pas arriver trop tard pour avoir une place. L’an dernier, lors des premières rencontres littéraires, nous avons reçu des auteurs beaucoup moins médiatiques que James Ellroy, dont les romans n’ont pas été adaptés à Hollywood et n’ont pas eu d’Oscar, comme Régis Jauffret… Pour autant, ils ont attiré 200 à 250 personnes !
 
- Que représente, pour vous, sa venue à Bastia ?
- Sa venue est, évidemment, un événement considérable. Surtout, après avoir entendu pendant des années qu’ici, il ne se passe rien, qu’il faut partir pour se nourrir culturellement… Cela m’énerve beaucoup ! Je veux que ce soit le contraire ! Je veux que toute la France se dise : « Quelle chance ils ont d’être à Bastia, ils vont voir James Ellroy ! » et que tous les amateurs de romans noirs de France se disent : « Finalement, si on aime la culture, c’est peut-être bien d’être à Bastia ! ». C’est ce que nous allons essayer de prouver la semaine prochaine.
 

James Ellroy sera au théâtre de Bastia, le 8 Mai
- Comment situez-vous Perfidia ?
- Perfidia est le premier tome de son nouveau quatuor de Los Angeles. On retrouve une grande partie des personnages du quatuor, dix ans avant. L’histoire se passe à la fin de l’année 1941, avant et pendant Noël, au moment où Pearl Harbour est bombardé. A Los Angeles, plus que partout ailleurs aux Etats-Unis, vue la proximité du Japon, on met, alors en place des mesures drastiques, illégales, parfois même scandaleuses, proches de celles de l’Allemagne nazie avec des centres de détention pour les Japonais. James Ellroy raconte cela en mêlant, comme il le fait à chaque fois, la grande et la petite histoire, des sous-intrigues, des histoires d’amour…
 
- Quelle est l’intrigue principale ?
- L’intrigue est impossible à décrire, comme souvent chez James Ellroy. Elle est le mélange d’une dizaine de sous-intrigues qui racontent ce qui se passe à Los Angeles pendant ces quelques jours de folie où la loi a renoncé à exister dans une des plus grandes villes du monde. Des jours où tout le monde s’est senti autorisé à faire ce qu’il voulait, jusqu’aux plus hautes autorités de l’Etat. On voit comment certains des personnages les plus emblématiques de James Ellroy, comme Dudley Smith, que l’on retrouve dans nombre de ses romans et, dans Perfidia, dix ans plus jeune, vont tirer profit de la situation, ce qu’ils vont faire pour leurs propres intérêts, pour gagner de l’argent, pour obtenir de l’avancement, pour leurs relations amoureuses… Tout cela s’imbrique avec le meurtre dans une maison d’une famille de quatre Japonais qui, semble-t-il, s’est fait hara-kiri. A la fin du livre, il y a un glossaire de personnages sur vingt pages ! Il doit y avoir plus d’une centaine de personnages principaux dans le livre.
 
- Que pensez-vous de ce livre ?
- Ce livre est foisonnant, fascinant, étourdissant ! Il m’a épuisé physiquement tellement il est plein d’énergie, tellement il se passe de choses, tellement il demande de l’attention ! Certaines scènes d’action sont extraordinaires d’intensité, de jouissance. Elles donnent un plaisir euphorique pur. James Ellroy est un type qui n’a peur de rien, qui s’autorise tout dans la littérature. Il a inventé une langue, un style, il ne ressemble à personne. Perfidia le démontre, encore une fois, de manière éclatante.
 
- Qu’est-ce qui fait, selon vous, le génie de James Ellroy ?
- Son génie vient, d’abord, de son expérience personnelle protéiforme qui nourrit son œuvre. On se demande comment quelqu’un peut survivre à tout ce qu’il a traversé. De la mort de sa mère, quand il était jeune, à son errance dans les rues pendant une longue période, sa plongée dans la drogue, la manière dont il en est sorti et dont il est devenu l’écrivain qu’on connaît… Ça donne, quand même, du corps à une œuvre et une vérité que l’on retrouve dans peu de romans ! Ensuite, son génie, c’est sa langue. Il travaille d’une certaine manière, il lit ses textes à voix haute. Son style ressemble à un staccato de mitraillette : lapidaire, très rapide, presque comme un uppercut à l’estomac. Il a inventé sa propre langue, très difficile à traduire. Jean-Paul Gratias, son traducteur, a accompli un travail monumental.
 
- Certains romans d’Ellroy sont, également, difficiles à lire. Lequel de ses livres conseillerez-vous à un néophyte ?
- Difficile, Non ! Tout dépend des œuvres ! La série Underworld USA, qui compte American Tabloïd, American Death Trip et Underworld USA, est, en effet, assez difficile à lire. Ce n’est pas par là que celui qui veut découvrir James Ellroy doit commencer. Il y a une narration, une écriture, un style expérimental, lapidaire et télégraphique, qui exigent une vraie attention. Mais, ça vaut le coup ! Je conseillerai de commencer par Le Dahlia noir, un livre fondateur qui réunit tout ce qui fait Ellroy. Il est très abordable, même par les gens qui lisent peu. L’intrigue est formidable et l’histoire d’amour aussi ! James Ellroy est un auteur de romans noirs, mais aussi un auteur de romans d’amour extraordinaire, un auteur romanesque et romantique dans le vrai sens du terme. Les femmes jouent un rôle de premier plan dans ses livres. Les histoires d’amour sont magnifiques.
 
- Que conseillerez-vous d’autres ?
- Je conseillerai, aussi, Un tueur sur la route. Ce roman sur un tueur en série est tellement extraordinaire qu’il est étudié par les élèves profilers de Quantico et du FBI avant de se lancer dans la vie professionnelle. Je conseillerai, également, Lune Sanglante, qui fait partie de la trilogie Lloyd Hopkins. Ce sont des romans noirs, plus classiques dans leur construction, mais où l’on retrouve le style caractéristique d’Ellroy. Ils ne sont pas difficiles à lire, mais leur ampleur et leur ambition peuvent déconcerter. Je peux, néanmoins, vous garantir qu’une fois que vous avez commencé un livre de James Ellroy, vous n’arrivez plus à le lâcher, vous êtes accrochés, comme pour les romans de Dan Brown, de Jean-Christophe Grangé, d’Harlan Coben et de tant d’autres.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

Gilles Simeoni : « La venue à Bastia de James Ellroy est un événement sans précédent »