Emanuele Barbieri est ingénieur et enseignant-chercheur en finance et entrepreneuriat à la CCI de Corse/KEGDE Business School
- Avec la fin des aides à la pompe, les prix des carburants subissent une forte augmentation, 100 euros seront versés sur demande aux ménages les plus faibles qu’en pensez-vous ?
- Gouverner c’est agir, donc mettre en place une aide pour les plus faibles revenus, cela est évidemment un acte responsable de la part de l’État, mais gouverner c’est aussi de la symbolique même s’il s’agit, comme pour l’aide à la pompe, de mettre en œuvre une dépense publique onéreuse et probablement inefficace.
- C’est toujours 100 euros de plus dans les budgets de ménages déjà affectés par une forte inflation et cela sert à passer un moment difficile...
- C’est l'équivalent d’un plein d’essence et après ? Le gouvernement devrait avoir un cap qui consiste à décarboner, c’est-à-dire à réduire la dépendance de notre société face aux énergies fossiles tout en aidant ponctuellement les ménages avec un coup de pouce. L'augmentation du coût des carburants n’est pas juste un écueil à franchir ponctuellement, c’est un problème physique, c'est la réduction des réserves en pétrole et à court terme une pénurie qui deviendra chronique en énergies fossiles. Les prix à la pompe ne sont que le reflet de cette donne physique. Par contre, ce qui dégrade le budget des ménages, c’est l'utilisation autosoliste (une seule personne par voiture) des véhicules, encore très majoritaire qui est avant tout un problème d’usage.
- Selon vous, donc, la hausse du prix du carburant n'est qu'une aggravante du problème d’usage ?
- Oui. Aider les ménages à se maintenir dans un faux problème peut équivaloir à ne pas les aider, surtout quand on vise, comme c’est le cas actuellement, les ménages à plus faible revenu. Les messages, du type, l'energia hè u nostru avvene, tenimula à contu, doivent être pris au pied de la lettre dans un contexte où les forages pétroliers sur terre ou en mer sont dans un état de sous-investissement manifeste. Le domaine d’activité stratégique du pétrole, comme par ailleurs des centrales nucléaires sont devenues des vaches à lait, tant que cela rapporte sans trop de frais, on continue en cherchant à maximiser les profits.
Les pétroliers pour garder les actionnaires, et donc la valeur capitalistique de leurs entreprises, doivent augmenter les dividendes, ce qui n’est possible que par l’augmentation des prix à la pompe, acheter les carburants à 2 euros, c’est payer aux pétroliers leurs dernières années de vacances en 5 étoiles luxe.
- Mais les usagers n'ont pas le choix, ils sont obligés d'acheter les carburants même si chers, c’est une obligation pour continuer à se déplacer, aller travailler, à vivre...
- Oui c’est vrai, l’essence et l'énergie en général sont la base de notre société. Mais pour des milliers d’autosolistes, qui entrent et sortent de Bastia et d’Aiacciu tous les jours aux mêmes heures et selon le même trajet, le changement d’usage reste absolument possible. Si au lieu d’être seul vous êtes deux, arithmétiquement le litre ne coûte plus que 1 euro et si vous êtes 4 il vous en coûtera 50 centimes tout en gardant le confort inégalé de votre voiture et ainsi que le status symbole qu’elle vous confère. Toutes les initiatives favorisant d'autres moyens de transport tels que le bus, le train, le vélo électrique, la marche à pied sont à developper, certes, mais c’est dans le cycle de vie du conducteur de véhicule que les gens peuvent agir, librement et sans frais, juste en s’organisant et en s’entraidant. Les conditions sociales en Corse sont aussi favorables à cette organisation sociale apprenante qui serait un bel exemple d’économie des compétences.
- Les experts disent que l’avenir c’est l’électrique et la densification du transport en commun. Selon vous ce sont les seules solutions à développer ?
- En ville, l'abandon de la voiture est un choix contraint par manque de parking et à la campagne seul un état de détresse économique peut vous y conduire. Compte tenu de comment nous fabriquons nos véhicules et notre énergie, l’empreinte carbone de l'électrique continue à faire débat. Le vélo c'est peut-être la solution pour de courts trajets, mais cela n'égale pas le confort de la voiture. Moi-même, je me rends de Toga au campus de Kedge à Borgo plusieurs fois par semaine à vélo.
Mais, l’utilisation du vélo reste très confidentielle et personnellement, chaque franchissement du rond-point de Ceppe ou de n.4 me rappelle que l’excentricité est un un acte parfois puéril voir dangereux et je ne conseille à aucun de mes élèves d’en faire de même, idem pour le train qui s’arrête à Tragone qui est ma solution privilégiée de substitution du vélo, mais traverser à pied le rond-point n.4, c’est comme marcher sous un sérac avec des températures positives.
Et puis, concrètement, est-ce que plus de bus, plus de train, plus d’intermodalité joueraient un rôle substantiel vis- à- vis de notre dépendance au passage à la pompe tant que la possibilité de se déplacer en voiture sera offerte ? Je n’y crois pas.
- Quelles sont alors les solutions ?
- Prenons le cas des mesures très attractives d’isolation des bâtiments, des centaines de milliards d’euros, investis dans toute l’Europe. Les études conduites en 2022 montrent que malheureusement ces investissements n’ont pas fait baisser la consommation globale en énergie des ménages ni en France ni dans des pays comme l’Allemagne, Espagne, Italie ou encore l’Angleterre. Des réductions ont été constatées les deux premières années suivantes aux investissements et ensuite les consommations sont remontées à leur niveau avant travaux d’isolation. Il y aurait plusieurs raisons à cela, comme par exemple en Angleterre, l’augmentation des surfaces par la construction des vérandas et de façon plus générale une forme de manque d’attention à nos usages d’énergie sous couvert d’un sentiment de sécurité induit par les travaux d’isolation. Les foyers les plus pauvres, qui faisaient déjà très attention à leurs factures, ont certainement gagné en confort, mais n’ont pas fait des économies supplémentaires. Là, encore c’est un problème d’usage, et dans les cas du coût des carburants, le levier qu’il faut appuyer c’est la densification du covoiturage qui représente la réponse la moins idéologique, la moins infrastructurelle, la moins budgétivore, mais probablement la plus pédagogique, facile à mettre en œuvre et la plus durable au moins à court terme, car ce n’est qu’une modification relativement marginale du cycle de vie de la conduite de votre véhicule privé.
- Gouverner c’est agir, donc mettre en place une aide pour les plus faibles revenus, cela est évidemment un acte responsable de la part de l’État, mais gouverner c’est aussi de la symbolique même s’il s’agit, comme pour l’aide à la pompe, de mettre en œuvre une dépense publique onéreuse et probablement inefficace.
- C’est toujours 100 euros de plus dans les budgets de ménages déjà affectés par une forte inflation et cela sert à passer un moment difficile...
- C’est l'équivalent d’un plein d’essence et après ? Le gouvernement devrait avoir un cap qui consiste à décarboner, c’est-à-dire à réduire la dépendance de notre société face aux énergies fossiles tout en aidant ponctuellement les ménages avec un coup de pouce. L'augmentation du coût des carburants n’est pas juste un écueil à franchir ponctuellement, c’est un problème physique, c'est la réduction des réserves en pétrole et à court terme une pénurie qui deviendra chronique en énergies fossiles. Les prix à la pompe ne sont que le reflet de cette donne physique. Par contre, ce qui dégrade le budget des ménages, c’est l'utilisation autosoliste (une seule personne par voiture) des véhicules, encore très majoritaire qui est avant tout un problème d’usage.
- Selon vous, donc, la hausse du prix du carburant n'est qu'une aggravante du problème d’usage ?
- Oui. Aider les ménages à se maintenir dans un faux problème peut équivaloir à ne pas les aider, surtout quand on vise, comme c’est le cas actuellement, les ménages à plus faible revenu. Les messages, du type, l'energia hè u nostru avvene, tenimula à contu, doivent être pris au pied de la lettre dans un contexte où les forages pétroliers sur terre ou en mer sont dans un état de sous-investissement manifeste. Le domaine d’activité stratégique du pétrole, comme par ailleurs des centrales nucléaires sont devenues des vaches à lait, tant que cela rapporte sans trop de frais, on continue en cherchant à maximiser les profits.
Les pétroliers pour garder les actionnaires, et donc la valeur capitalistique de leurs entreprises, doivent augmenter les dividendes, ce qui n’est possible que par l’augmentation des prix à la pompe, acheter les carburants à 2 euros, c’est payer aux pétroliers leurs dernières années de vacances en 5 étoiles luxe.
- Mais les usagers n'ont pas le choix, ils sont obligés d'acheter les carburants même si chers, c’est une obligation pour continuer à se déplacer, aller travailler, à vivre...
- Oui c’est vrai, l’essence et l'énergie en général sont la base de notre société. Mais pour des milliers d’autosolistes, qui entrent et sortent de Bastia et d’Aiacciu tous les jours aux mêmes heures et selon le même trajet, le changement d’usage reste absolument possible. Si au lieu d’être seul vous êtes deux, arithmétiquement le litre ne coûte plus que 1 euro et si vous êtes 4 il vous en coûtera 50 centimes tout en gardant le confort inégalé de votre voiture et ainsi que le status symbole qu’elle vous confère. Toutes les initiatives favorisant d'autres moyens de transport tels que le bus, le train, le vélo électrique, la marche à pied sont à developper, certes, mais c’est dans le cycle de vie du conducteur de véhicule que les gens peuvent agir, librement et sans frais, juste en s’organisant et en s’entraidant. Les conditions sociales en Corse sont aussi favorables à cette organisation sociale apprenante qui serait un bel exemple d’économie des compétences.
- Les experts disent que l’avenir c’est l’électrique et la densification du transport en commun. Selon vous ce sont les seules solutions à développer ?
- En ville, l'abandon de la voiture est un choix contraint par manque de parking et à la campagne seul un état de détresse économique peut vous y conduire. Compte tenu de comment nous fabriquons nos véhicules et notre énergie, l’empreinte carbone de l'électrique continue à faire débat. Le vélo c'est peut-être la solution pour de courts trajets, mais cela n'égale pas le confort de la voiture. Moi-même, je me rends de Toga au campus de Kedge à Borgo plusieurs fois par semaine à vélo.
Mais, l’utilisation du vélo reste très confidentielle et personnellement, chaque franchissement du rond-point de Ceppe ou de n.4 me rappelle que l’excentricité est un un acte parfois puéril voir dangereux et je ne conseille à aucun de mes élèves d’en faire de même, idem pour le train qui s’arrête à Tragone qui est ma solution privilégiée de substitution du vélo, mais traverser à pied le rond-point n.4, c’est comme marcher sous un sérac avec des températures positives.
Et puis, concrètement, est-ce que plus de bus, plus de train, plus d’intermodalité joueraient un rôle substantiel vis- à- vis de notre dépendance au passage à la pompe tant que la possibilité de se déplacer en voiture sera offerte ? Je n’y crois pas.
- Quelles sont alors les solutions ?
- Prenons le cas des mesures très attractives d’isolation des bâtiments, des centaines de milliards d’euros, investis dans toute l’Europe. Les études conduites en 2022 montrent que malheureusement ces investissements n’ont pas fait baisser la consommation globale en énergie des ménages ni en France ni dans des pays comme l’Allemagne, Espagne, Italie ou encore l’Angleterre. Des réductions ont été constatées les deux premières années suivantes aux investissements et ensuite les consommations sont remontées à leur niveau avant travaux d’isolation. Il y aurait plusieurs raisons à cela, comme par exemple en Angleterre, l’augmentation des surfaces par la construction des vérandas et de façon plus générale une forme de manque d’attention à nos usages d’énergie sous couvert d’un sentiment de sécurité induit par les travaux d’isolation. Les foyers les plus pauvres, qui faisaient déjà très attention à leurs factures, ont certainement gagné en confort, mais n’ont pas fait des économies supplémentaires. Là, encore c’est un problème d’usage, et dans les cas du coût des carburants, le levier qu’il faut appuyer c’est la densification du covoiturage qui représente la réponse la moins idéologique, la moins infrastructurelle, la moins budgétivore, mais probablement la plus pédagogique, facile à mettre en œuvre et la plus durable au moins à court terme, car ce n’est qu’une modification relativement marginale du cycle de vie de la conduite de votre véhicule privé.