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Quand les meilleurs de sommeliers de France dégustent les vins rares de Corse


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Jeudi 15 Juin 2023 à 09:36

Mardi 13 juin, le CRVI, Centru di Ricerca Viticula di Corsica, implanté sur le Corsic’Agropôle de San-Ghjulianu, recevait une délégation de sommeliers français pour leur présenter le vignoble et les vins de Corse. L’occasion, pour ces professionnels qui officient dans les meilleurs restaurants du continent, de découvrir des vins étonnants, fruits du travail de ce centre en relation étroite avec les vignerons et viticulteurs de l’île.



Les sommeliers ont été reçus au le Corsic’Agropôle de San-Ghjulianu.
Les sommeliers ont été reçus au le Corsic’Agropôle de San-Ghjulianu.
Cette année, la finale de l’élection du Meilleur Sommelier de France se déroulait à Biguglia. La compétition rassemblait une cinquantaine de sommeliers venus de toutes les régions. Cette rencontre se suffisait sans doute à elle-même. Mais Sophie Mirande, Maître Sommelière de l’UDSF et présidente de l’Association des sommeliers de Corse qui en était la cheville ouvrière locale, n’a pas voulu laisser repartir les participants sans leur proposer une rencontre complémentaire : celle du CRVI. « Ce sont tous des chefs sommeliers, certains sont Meilleurs Sommeliers du Monde, il y a des enseignants dans le domaine… Or le CRVI est un centre unique en France ! Je souhaitais vraiment le faire découvrir à ce collège de haut niveau. Qu’ils comprennent comment on arrive à avoir de tels cépages ! Et qu’ils dégustent des vins issus de ces cépages qui, pour la plupart, leur sont totalement inconnus ! ».

Des échanges nourris
Ainsi, une partie de la délégation a-t-elle été reçue pour une présentation du centre, de ses missions, de ses actions. « La recherche est la fondation de tout ce qui émerge après », a souligné Nathalie Uscidda, directrice générale du CRVI, qui, devant une salle très attentive et avide d’informations, a insisté sur la richesse extraordinaire du portefeuille ampélographique insulaire : autrement dit, nos cépages corses. Les questions ont fusé… Les échanges ont été nourris. La trentaine de participants s’est notamment montrée curieuse des modalités d’adaptation au changement climatique et des expérimentations réalisées actuellement au domaine d’Alzipratu. Avec des observations parfois contre-intuitives : ainsi, l’altitude n’est pas forcément une réponse appropriée. On s’est en effet aperçu que les terroirs les plus frais étaient situés en bord de mer : « Il y aura des choix à faire, entre développement touristique et viticole », estime Nathalie Uscidda. Comment les différents cépages réagissent-ils sur des terroirs différents, s’est également interrogé l’un des participants. Une question d’autant plus pertinente que l’une des ambitions du CRVI est justement d’établir une cartographie des terroirs, permettant à chaque vigneron de se projeter dans l’avenir en identifiant le type de vin qui pourrait résulter de cépages spécifiques, plantés sur des terrains donnés.

La place de l’innovation
Les innovations ont également suscité l’intérêt : notamment les vins orange, les muscats pétillants avec par exemple un vin rouge frais et pétillant de type Lambrusco, produit à partir de Sciacarellu… « Ce que le vignoble corse a d’intéressant, c’est que les vignerons ne s’y sont rien interdit. Ils ne se sont pas enfermés dans une tradition, analyse Nathalie Uscidda. On va vers plusieurs techniques… Bien sûr, on a des vins blancs en vinification classique qui sont somptueux. Donc on cherche à élever la gamme. Mais on ne s’interdit rien : notamment les vins orange, qui sont très tendance ! ». Car l’innovation est aussi guidée par le goût des consommateurs : il a été question de l’engouement pour les rosés… qui, paradoxalement, a fait beaucoup de bien aux rouges corses : certains raisins utilisés précédemment pour faire du vin rouge – alors qu’ils n’étaient pas les plus appropriés – sont aujourd’hui mis à contribution pour la production de rosés… le vin rouge n’étant plus produit qu’à partir des variétés les plus adaptées. « Le Sciacarellu est le mieux de ce qui pouvait arriver au vignoble de Corse, remarque la directrice du CRVI. Mais il est en danger : on travaille dessus. » La désaffection pour le vin rouge est une constante que les sommeliers pointent également sur le continent : le rosé prend peu à peu sa place dans les goûts du consommateur qui privilégie des saveurs plus douces. « Mais on va vers d’autres types de rouge en Corse », affirme Nathalie Uscidda. Les arômes, fonction des contenants ou de la maturité des raisins, avec ces nez fleurs blanches, miel ou abricot sec… mais aussi camphre ou pétrolés ont été l’objet d’un bel échange très technique. L’audace des vignerons corses dans le choix de leurs cépages, l’amélioration des vins avec la variété de ces cépages et le travail d’assemblage réalisé par certains expliquent le bon niveau de qualité des vins corses actuels et augurent d’un futur plein de promesses gustatives renouvelées.

Nathalie Uscidda n’a pu s’empêcher de mentionner le dernier numéro de la Revue des Vins de France qui cite douze vins corses – dont cinq issus d’un assemblage de cépages – parmi les 100 plus grands vins de Méditerranée : « On est très contents ! »

Une dégustation de vins qu’on ne trouve nulle part ailleurs
Les échanges ont continué au cours d’une dégustation d’une vingtaine de vins “inédits”, fruits des travaux du CRVI en collaboration avec les producteurs, qu’accompagnait un buffet. Vins effervescents, rouges ou blancs, vins issus d’une vinification classique… les sommeliers prenaient des notes comme ils le font généralement en découvrant de nouveaux vins. « On est tous enchantés, souligne Lydie Jannot, membre de l’Association des Sommeliers de Paris, qui anime des présentations et dégustations pour les entreprises. Je me suis régalée. Ça donne du contenu, avec l’histoire… C’est d’autant plus intéressant qu’on travaille beaucoup sur l’innovation, les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle : notamment une application qui permet d’avoir la traçabilité des vins, de gérer les contrefaçons. J’ai donné des cours à HEC, notamment à des gens d’Harvard, à ce sujet… Cela fait écho avec les recherches menées au CRVI. Dommage que les jeunes [les candidats du concours] ne soient pas venus. Mais ils étaient vraiment trop fatigués… ».

La capacité à se projeter dans l’avenir
David Biraud, directeur du comité technique de l’Union de la sommellerie française, confirme l’intérêt qu’il a pris à cette rencontre : « Ma réaction est extrêmement positive. Quand on fait de la sommellerie, on s’intéresse au lien entre cépages, terroirs… » Il poursuit, soulignant les recherches menées par le CRVI avec « cette volonté d’investigation, de mener des enquêtes qui permettent de trouver des cépages anciens, à l’état naturel, clones ou variants… Et cette capacité de se projeter dans l’avenir, pour voir comment ces cépages représenteront la personnalité de la Corse, de son vignoble. C’est ce qu’on adore ! La conférence était super ! »

Soulignant qu’il n’y a rien de plus ennuyeux, pour un sommelier, que de découvrir des vins qui ressemblent à ceux qu’il connaît déjà, il insiste sur la diversité des cépages – « c’est ce qu’on aime ! » – et pointe le rôle fondamental que remplit le CRVI : gardien du temple. « Les effervescents, blancs et rouges, présentent des résultats assez percutants, note-t-il après la dégustation. C’est la porte ouverte pour une production de ce type, et surtout, avec des cépages locaux ! »
Quant aux autres, il faut voir « quels cépages auront potentiellement beaucoup de positif, pour l’avenir, avec le changement climatique. C’est extrêmement riche d’enseignements, ce type de rendez-vous ! »

Le mot de la fin est revenu à Fabrice Sommier, Meilleur Ouvrier de France, fondateur de la Wine School implantée à Macon et président de l’Union de la Sommellerie française : « Les vins de Corse sont quand même assez sublimes ! ». Une appréciation qu’on goûte d’autant plus qu’elle vient d’un expert en la matière.