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Bastia : L'homme nu…


Anne-Xavier Albertini le Jeudi 11 Septembre 2014 à 00:19

Si Charlie Chaplin n'avait pas connu la misère, il n'aurait pas tourné le kid.
Si Louis Schiavo n'avait pas connu le travail obligé, assidu , le travail de chaque heure du jour, mené à bien, bien fait jusqu'à son terme, il n'aurait pas fait autant de créations.



La tête de Christ - os de poissons -
La tête de Christ - os de poissons -

Mais Louis Schiavo a connu très jeune les petits matins griffés de sommeil, les aubes froides sous la pluie et dans le vent, les doigts raides du froid des poissons. Son père lui a appris la valeur travail. Sans cela, Louis Schiavo n'aurait pas dédié cette exposition à " tous les travailleurs qui se lèvent tôt " . Et la liste est longue.

La mère, évidemment, c'était la femme velours, la caresse d'un mot, la complicité d'un regard. Madame Schiavo, très croyante, ne ratait pas une messe, la prière était sa béquille. Elle chérissait son fils qui lui semblait être un tourbillon infernal et lui amenait quotidiennement un problème à résoudre. Elle était là, fidèle au poste, économe, parfaite maîtresse de maison et même sa loge à l'opéra de Bastia ne lui coutait rien grâce aux produits de la mer offerts par son père au directeur.



Madame Schiavo aimait l'opéra, particulièrement Verdi. Elle écoutait aussi toutes sortes de musique, car dans les années soixante l'électricité arrivait dans les maisons avec la TSF. On découvrait le jazz, les nouveaux musiciens, les nouvelles techniques, la modernité. Elle a parlé musique avec son fils, elle a parlé culture , sans beaucoup sortir de sa maison, elle lui a ouvert des portes. Les connexions mère/enfant sont tellement proches ! Et puis un jour elle lui a donné une clef :" Tiens, va t'installer, tu as des choses à faire" . Alors, Louis a fait et il a grandi .

Si Louis Schiavo n'était pas " du marché " comme on est d'un lieu à part, un peu magique, sa peinture serait sans doute moins charnelle, car elle suscite un désir sensuel : celui de toucher. Toucher les toiles, renifler les couleurs, s'imprégner de l'imagination du peintre, de ses émotions, de son intelligence. Louis s'est toujours servi de tout ce qu'il avait sous la main et devant les yeux, et surtout de ce qui ne coûtait rien quand il a commencé à peindre dans un monde pauvre et dévasté par la guerre. Sur un banc de poissons, il y a des poissons à vendre. Avec leurs arêtes, avec leurs vertèbres, Louis fabrique une tête de Christ, Lui-même étonné de cette ressemblance.


Pas d'école de peinture, pas de cours spécifiques, particulier, rien : la liberté. Le battement de coeur, la passion, la riche solitude , la hargne parfois,  et un morceau de soleil s'accroche aux pinceaux.

Chaque artiste possède sa propre originalité , celle de Louis Schiavo est de ne jamais se répéter.

Il invente, il transforme, fait du nouveau, du différent. On croit reconnaître son style ? Erreur ! Il est déjà ailleurs, dans une autre dimension. Louis est un évadé des conventions, des classements , pas de temps à perdre : il peint. Ce créateur désordonné arrache des émotions là où il passe, pour nous montrer ce que nous cachons, alors que lui ,  lâche ses freins. Ca donne à réfléchir.


Travailleur infatigable, la pointe d'un roseau tricote une dentelle grise, point par point, et la morue-dentelle est pendue sur
fond rouge. Baccala per corsica : Louis en a mangé.

U merca fait parti du patrimoine humain, le plus humain sans doute, de Bastia. Nous voyons dans les traits de l'artiste, dans les mouvements , des étincelles de coeur de ceux qu'il a connus. Mort ou vif, chacun a son histoire.  Si la tristesse s'affiche dans certaines toiles, elle est vite effacée, car il y a de l'amour dans la peinture de Louis Schiavo. La vie est là, baignant dans sa cruauté, son réalisme, ses besoins, belle dans sa douleur, elle rit de ses souvenirs. Elle est la vie de cet homme sans fard, cet homme nu. Dans les fourmillements de sa curiosité pétillante, l'artiste donne généreusement de la vie à la vie. On sort de ce Musée lumineux tout requinqué. Merci Louis.

 Anne-Xavier Albertini

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 A voir cette exposition jusqu'au 15 septembre, mais j'ai entendu dire qu'elle va être prolongée,car les nombreux visiteurs ne cessent d'en parler autour d'eux.