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Avocats et plantes exotiques : une opportunité pour l’agriculture corse ?


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Lundi 21 Mars 2022 à 18:23

Il y a près de trente ans, l’INRA effectuait encore des recherches sur l’implantation de la culture d’avocats en Corse : en 1989, Robert Vogel, publiait d’ailleurs les résultats d’une étude réalisée sur le sujet, à la station INRA-IRFA de San Ghjulianu.
Mais restrictions budgétaires obligent, l’INRA, devenu par la suite INRAE, et le CIRAD – cet organisme de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes – ont fini par se recentrer sur les agrumes qui représentaient un enjeu important pour l’île et plus généralement au niveau mondial. La collection de plants d’avocats a été arrachée. Les recherches abandonnées. « A l’époque, complète Isabelle Milleliri, spécialiste des fruits d’été à la Chambre d’Agriculture de Haute-Corse, il y a eu aussi beaucoup de problèmes avec le phytophthora, un champignon très résistant, qui a décimé de nombreuses plantations. » La maladie a mis globalement un coup d’arrêt à la production d’avocats. Seuls ont subsisté quelques petits vergers écoulant leur production sur le marché local.



(Photo Jeanne Leboulleux-Leonardi )
(Photo Jeanne Leboulleux-Leonardi )
Est-ce à dire que la culture des avocats – et au-delà de cela, celle des plantes exotiques – n’a pas d’intérêt pour l’agriculture corse ? Tout au contraire, cela pourrait bien être une opportunité. Mais à condition de respecter certaines règles…
 
Un produit bourré de qualités
« Il y a un avenir pour l’avocat en Corse, affirme Joseph Colombani, le Président de la Chambre d’Agriculture de Haute-Corse. C’est un produit intéressant, qui a énormément de qualités organoleptiques, nutritionnelles… ».  En effet, riche en vitamines – notamment la vitamine E – comme en minéraux, oligoéléments et caroténoïdes, il contient également des acides gras insaturés bénéfiques pour la santé cardio-vasculaire. Bref, c’est un trésor de bienfaits ! « Plutôt que de faire venir ce fruit du bout du monde, avec l’empreinte carbone que ça implique, nous pourrions le produire en Corse : on en cultivait avant, dans la Plaine orientale. Nous avons le soleil, nous sommes à proximité des marchés de consommation. Ce serait une garantie de fraîcheur. Et puis, il y a une demande extraordinaire ! »
 

Des marchés énormes à conquérir ?
Si l’on en croit Conso-Globe, la production mondiale d'avocats représenterait 176 kilos par seconde, soit près de 5,6 millions de tonnes par an. Et pour cause : la consommation de ce fruit dans le monde connait une croissance vertigineuse – rien qu’en Europe, elle s’est accrue de 220% entre 2008 et 2018. Dans ce palmarès, la France est la mieux placée : plus grosse consommatrice de l’Union Européenne, elle représenterait un marché de près de 160 000 tonnes annuelles.
 

Des plants andalous
Cette opportunité incroyable, les agriculteurs corses refusent de la laisser passer. Depuis quatre ou cinq ans, quelques plantations plus importantes – une dizaine d’hectares – ont ainsi vu le jour sur notre île. « A la Chambre d’Agriculture, nous nous y sommes intéressés après un problème sanitaire qui avait touché des fruits à noyaux sur Vescovatu. La culture de l’avocat peut en effet permettre une diversification des exploitations : cela limite les risques », précise Isabelle Milleliri.
C’est en Andalousie, dans la région de Malaga, que ceux qui veulent se lancer vont aujourd’hui chercher pépiniéristes et savoir-faire. Et pour cause : depuis que la Corse a abandonné ses recherches sur le sujet, aucune région française n’a repris le flambeau – notre île représentait en fait la limite nord de sa zone de culture. Or, « ça a beaucoup évolué au niveau des porte-greffes, explique Isabelle Milleliri. Ils ont maintenant une résistance plus grande aux maladies et aux champignons comme le phytophthora ».


Une culture qui reste délicate
Mais il ne faut pas pour autant sous-estimer les difficultés : l’avocat est un fruit fragile qui craint le gel et le vent. Pas question de le planter n’importe où, mais sur des talus orientés à l’Est ou au Sud-Est. « Il faut un microclimat. A ma connaissance, il y a un producteur d’avocats du côté d’Aiacciu. Mais la zone la plus favorable, c’est plutôt la Plaine orientale. C’est le climat qui impose la zone de production ». Pour autant, il faut prendre quelques précautions : les trois ou quatre premières années, des voiles d’hivernage entourent généralement les jeunes plants, en attendant que l’arbre se structure. Il faut aussi miser sur des variétés qui se récoltent le plus tôt possible dans l’année, pour ne pas que les fruits tombent prématurément sous l’effet du froid ou du vent.
On pourrait penser que le réchauffement climatique est de nature à favorise la culture de plantes plus exotiques, mais la hausse actuelle des températures reste insuffisante pour repousser vers le nord la limite de culture. « Et depuis trois ou quatre ans, nous avons régulièrement des tempêtes », ce qui préjudiciable à un fruit qui n’aime pas le vent ! Enfin, il y a la question de l’arrosage : l’avocat est gourmand en eau.
 
Une filière en pleine explosion
Bref, il y a encore bien des inconnues qui poussent certains agriculteurs à réaliser des tests sur de petites surfaces avant de se lancer, voire à différer leur projet. Pour autant, « la filière est depuis trois ou quatre ans en pleine explosion » explique Isabelle Milleliri. La Chambre et l’APFEC – l’Association des producteurs de fruits d’été de Corse – s’organisent : « Nous n’avons pas encore beaucoup de recul sur l’acclimatation de cette culture au niveau local, sur les problèmes de maladie, les besoins en eau… L’Espagne, ce n’est pas exactement le même climat, le même type de sol. L’an passé, nous avons organisé une formation pour les producteurs sur les avocats – qui sont centraux parmi les espèces exotiques implantables en Corse – et sur les mangues. Mon objectif, cette année, c’est de créer un réseau avec quelques producteurs, pour suivre les cultures, au niveau sanitaire, fertilisation, irrigation : observer les pratiques pour voir comment les ajuster, les améliorer. »
En projet, également, l’implantation, avec l’AREFLEC – la station expérimentale de San Ghjulianu – d’un petit verger variétal avec diverses espèces exotiques…
 
Ne pas tuer la poule aux œufs d’or !
« La culture de l’avocat, c’est une opportunité pour la Corse. Mais il ne faudrait pas en faire une filière spéculative, met en garde Joseph Colombani. Ça doit rester une production de niche, sur de petites surfaces ; un complément, à côté de cultures essentielles pour l’autonomie alimentaire. Et pour cela, il faut maîtriser le développement de la filière, avec un schéma directeur adapté ».
 
D’autant que multiplier les surfaces génèrerait à terme des difficultés pour écouler le produit. Cela finirait par tuer la poule aux œufs d’or !