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Assemblée de Corse : après l'avancée sur l'autonomie, retour sur terre avec le budget primitif


le Jeudi 28 Mars 2024 à 21:06

A l’assemblée de Corse, la gueule de bois a un nom : le budget primitif 2024. La douce, bien que fragile euphorie collective ayant accompagné l’adoption du projet d’écriture constitutionnelle mercredi soir, s’est dissipée dès le lendemain face au principe de réalité : l’autonomie est encore loin, et dans l’immédiat, il y a un budget primitif à adopter. Un budget « d’alerte », se sont accordés les élus. Qui n’ont pas la même manière de tirer la sonnette. Au final, le budget a été adopté mais seulement grâce aux voix de la majorité.



Les élus de l'Assemblée de Corse ont adopté le budget primitif après 4 heures de débat. PHOTO PAULE SANTONI
Les élus de l'Assemblée de Corse ont adopté le budget primitif après 4 heures de débat. PHOTO PAULE SANTONI
« L’autonomie, c’est de l’espérance, mais aujourd’hui il n’y a rien de concret », est intervenu Xavier Lacombe. Par ces propos, l’opposant du groupe de droite Un Soffiu Novu tenait à ancrer les débats dans l’immédiateté d’un budget qui fixe pour cette année la politique de la majorité. Ce budget, c’est Alex Vinciguerra qui l’a présenté. Longuement. Et d’abord en chiffres, ce qui semble logique pour un budget.

Un budget « contraint », qui s’équilibre à hauteur de 1,657 milliard d’euros, soit 236 millions en deçà du budget primitif 2023. Les dépenses de fonctionnement atteignent 1,037 milliard d’euros, en augmentation de 2,62 %. « Je vous rappelle le contexte inflationniste », glisse le président de l’Agence du développement économique de la Corse (ADEC). C’était déjà le cas l’an dernier et la Collectivité de Corse avait dû emprunter 99,29 millions d’euros pour arriver à l’équilibre. Cette année, c’est pire puisque c’est un emprunt de 118,84 millions d’euros qui doit être souscrit. En conséquence, la capacité de désendettement va passer de 5,82 à 6,75 années. « Elle reste bien en-dessous des neuf ans », qui constituent généralement le seuil d’alerte, a voulu rassurer Alex Vinciguerra : « Nous maîtrisons notre dette, nous ne sacrifions pas l’avenir. »

 

Alex Vinciguerra ne se dit pas inquiet de la situation financière de la Collectivité de Corse, mais il reste en alerte.
Alex Vinciguerra ne se dit pas inquiet de la situation financière de la Collectivité de Corse, mais il reste en alerte.
Paul-Félix Benedetti (Core in Fronte) a comme un doute : « Cette dette aujourd’hui, elle est inexorable. 100 millions empruntés en 2023, 120 millions en 2024. Au rythme du déficit chronique et structurel, vous serez au minimum à 140 millions d’euros en 2025. Parce qu’il n’y a pas de recettes nouvelles. En revanche, vous empruntez car il y a des coupes drastiques sur le budget, par exemple sur la culture et le sport. » En effet, celui-ci sera de 16,5 M€ cette année, contre 19,86 M€ en 2023. Il a fallu faire des choix, reconnaissent les élus de la majorité, à l’image de Louis Pozzo Di Borgo qui préside la commission finances : « Nous le regrettons et espérons pouvoir changer la donne. Mais il faut voir aussi que sur le social ou la santé, les crédits augmentent (de 4,81%). » Cette coupe dans le budget de la culture et du sport, Alex Vinciguerra tient à la relativiser : « En 2019, le budget qui les concernait était de 13,9 millions... »

Des recettes "gelées"

C’est principalement la faute de l’État et de la conjoncture inflationniste, a déroulé en substance le président de l’ADEC : « Les dépenses de fonctionnement subissent une augmentation mécanique malgré nos efforts de maîtrise. » Depuis la fusion/création de la CDC en 2018, « la masse salariale a connu une augmentation de 39 millions d’euros », alors que le nombre d’agents est resté similaire, « aux alentours de 4 200 », a précisé Louis Pozzo Di Borgo. Une situation qui découle « de l’intégration de l’augmentation des points d’indice suite à des décisions du gouvernement, regrette Alex Vinciguerra. Il y a aussi eu le glissement vieillesse technicité. » De même qu’une mesure qui avait été souhaitée par l’exécutif corse en 2018 : « L’harmonie vers le haut des régimes indemnitaires des trois anciennes collectivités. » 

Mais c’est surtout au niveau des recettes que la pilule a du mal à passer. Les droits de mutation à titre onéreux, qui sont reversés à la collectivité au terme de la vente d’un bien immobilier, sont en baisse de 8 %, « ce qui reflète une difficulté d’accès à la propriété pour une majorité d’insulaires ». La Corse doit s’en remettre à la fiscalité sur le tabac « dont la consommation impacte lourdement la santé publique » et à celle sur le carburant « qui pollue toujours davantage », ne pavoise pas Alex Vinciguerra. Le conseiller territorial estime par ailleurs que notre île n’est pas logée à la même enseigne que les autres régions françaises : « Notre dotation de continuité territoriale est figée depuis 2009. Si elle avait été indexée sur la TVA depuis 2017, ça nous aurait permis de générer 40 millions d’euros de recettes supplémentaires par an. Or, en Corse, la part est de 21 %, contre 54 % de TVA reversée dans les recettes pour les régions de droit commun qui voient donc leurs ressources dopées par l’augmentation de la TVA. Devant une telle inégalité, je dois avouer que ma fibre républicaine se distend », s’est tendu l’élu autonomiste.

"L'autonomie qui rend heureux"


Un argument qui a agacé Jean-Michel Savelli, du groupe Un Soffiu Novu : « Ce chiffre de 54 % n’existe pas. On ne peut pas comparer la Collectivité de Corse avec une région de droit national, ou même un département. Une collectivité territoriale, c’est ni l’un ni l’autre, ou les deux à la fois, et on est obligé de faire des moyennes pondérées. Et nous l’avons faite : on est à 31 %, pas 54 %. »  Quoi qu’il en soit, l’élue indépendantiste Josepha Giaccometti-Piredda a saisi l’occasion de resituer le débat sur le projet d’autonomie  (pour lequel elle a voté contre) : « Les débats avec l’État vont consister en quoi ? A prendre ce qu’il voudra bien nous donner ? Ou à exiger ce que l’on nous doit ? Va-t-on aussi réfléchir à comment rompre les liens de la dépendance ? Un transfert hypothétique de la fiscalité, la recherche de ressources nouvelles, la mobilisation de l’épargne, les prospectives sur les secteurs porteurs à identifier… Est-ce qu’on a entamé ce travail ? » a interrogé l’élue d’opposition. 
 

Josepha Giaccometti a enjoint l'exécutif à réclamer "ce qui lui est dû" à Paris.
Josepha Giaccometti a enjoint l'exécutif à réclamer "ce qui lui est dû" à Paris.
« Je vais rejoindre Josepha, a acquiescé Louis Pozzo Di Borgo. Il y a des choses qui nous sont dues. Je ne vais pas faire appel à l’autonomie qui rend tout le monde heureux, je vais faire appel à un processus qui est en cours. Et il me semble qu’il faut d’ores et déjà organiser des travaux au sein de cette assemblée, dans le cadre de ce processus, mais pas que. C’est un processus à temps long. Nous devons aussi raisonner sur le temps court qui va nous permettre de travailler dans la concorde et l’intérêt collectif des Corses, et ce afin de présenter à l’État un futur pacte fiscal et financier. »

En dépit des reproches adressés à l’État et à l’inflation, et tout en revendiquant son choix de ne pas augmenter les taux d’imposition, l’exécutif entend maintenir un niveau d’investissements important (bien qu’en baisse de 35 millions par rapport à 2023). Ainsi cette année, les crédits qui seront affectés à l’investissement s’élèveront à 331 millions d’euros. Des dépenses d’investissement « en trompe-l’oeil », a fustigé Jean-Christophe Angelini. Le leader du groupe Avanzemu a épluché toutes les délibérations prises dans l’assemblée sous la mandature de Gilles Simeoni. Et il en résulte, selon lui, que « 3 % » desdites délibérations font état d’un investissement compris entre un et dix millions d’euros, et « 0,6 % » d’un investissement supérieur à 10 millions d’euros. « Ce sont des faits objectifs, qui découlent de vos choix politiques », a attaqué le maire de Porto-Vecchio. Valérie Bozzi (Un Soffiu Novu) l’avait précédé quelques minutes plus tôt sur ce terrain-là : « Depuis que vous êtes aux responsabilités, on a des études, mais on a peu de constructions et de premières pierres. Vous avez beau tenté de nous faire croire que l’investissement est bien présent, il manque les projets structurants. Les collèges, les lycées, on les attend encore. »

La politique du rail


 « C’est vrai, on n’a pas sorti de collège ou de lycée, a convenu le président de l’exécutif, Gilles Simeoni. Mais on a systématiquement augmenté les budgets des établissements. » Se sentant obligée de défendre son bilan, la majorité a mis en avant son travail dans le rural, avec le déploiement généralisé de la fibre. Pour cette année, la volonté première de l’exécutif est d’aider les communes et communautés de communes à sortir leurs projets, grâce à l’octroi de subventions d’un montant total de 30,3 millions d’euros. Il y aura notamment 22 M€ pour l’apprentissage, 8 M€ pour l’enseignement supérieur, 41 M€ pour l’action économique et 11M€ pour l’environnement. Mais c’est le poste transports qui sera le plus conséquent :  « Nous allons investir 107 millions d’euros dans les infrastructures routières, entrées de ville, la pénétrante Caldaniccia-Bodiccione dans le grand Ajaccio", a détaillé Alex Vinciguerra, qui note « l’effort manifeste et massif sur les ports et aéroports, et surtout les chemins de fer et l’intermodalité avec 23 millions d’euros d’investissement ». La CDC entreprend notamment d’achever la Commande Centralisée de la Voie Unique (CCVU) et le transfert du dépôt ferroviaire de Bastia à Casamozza. Elle entend poursuivre sa politique de modernisation et de mise en accessibilité des gares et haltes (notamment dans le périurbain bastiais et ajaccien) et de réhabilitation des ponts (Ascu, Muzzeli, Albanu, Casamozza et Prunelli). 

Gilles Simeoni a eu le mot de la fin : « Nous avions les moyens budgétaires de ne pas présenter un budget d’alerte, en majorant un peu les recettes et l’impôt, en faisant des jeux d’écriture… Nous avons fait le choix inverse qui est le choix de la sincérité, de la transparence et de l’alerte anticipée. Et si nous voulons investir, il faut qu’on emprunte. Ce n’est pas un emprunt de confort, c’est pour financer les investissements dont nous avons besoin. » Le président entend aller chercher de nouveaux financements : « Il y a de la ressource qui ne fait pas l’objet de prélèvements suffisants, a-t-il estimé. Notamment sur la question de la fiscalité immobilière et de la taxation de la plus-value immobilière pour qu’elle ait soit un effet dissuasif, soit un effet générateur de recettes. Ce travail-là, il est quand même devant nous. » Avant de conclure ce débat de quatre heures, Gilles Simeoni a tenu à mettre le point sur le « i » d’autonomie : « Je ne veux pas qu’il sorte de ce débat la compréhension chez les Corses que l’autonomie est une bouée de sauvetage budgétaire ou financière pour la Collectivité de Corse. Ce n’est pas ce que nous disons. Ce que nous disons, c’est que les discussion sur l’autonomie doivent être l’occasion de remettre à plat l’ensemble de l’équation. Cette discussion, qu’elle aboutisse ou pas d’ailleurs, doit être l’occasion de construire un nouveau pacte budgétaire et financier. »

Sans surprise, tous les groupes d’opposition (Avanzemu, Core in Fronte et Un Soffiu Novu) ont voté contre le budget présenté, de même que les deux élus non inscrits, Pierre Ghionga et Josepha Giaccometti-Piredda. Un budget qui a malgré tout été adopté grâce aux voix de la majorité.
Gilles Simeoni a encaissé les nombreuses critiques, mais il garde le cap. PHOTO PAULE SANTONI
Gilles Simeoni a encaissé les nombreuses critiques, mais il garde le cap. PHOTO PAULE SANTONI