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Procès de Jean-Louis Emmanuelli : Quatre ans de prison requis dont 30 mois ferme, la défense plaide la relaxe


Nicole Mari le Mercredi 1 Juin 2016 à 23:01

C'est dans un tribunal cadenassé et une Cour d'appel bondée et fermée à clé que s'est tenu, à Bastia, le procès en appel de Jean-Louis Emmanuelli, qui comparaissait pour « violences volontaires sur dépositaire de l’autorité publique ». La condamnation en 1ère instance du Balanin à cinq ans de prison dont trois ferme et son incarcération ont déclenché une émotion considérable en Balagne et la création d’un très large comité de soutien en faveur du prévenu qui nie les faits. Lors de ce second procès, le ministère public a réduit ses réquisitions à quatre ans de prison dont 30 mois ferme. La défense, qui accuse l’enquête d’avoir été sciemment bâclée, a apporté des éléments nouveaux et plaidé la relaxe. Le jugement est mis en délibéré au 15 juin. Réactions, en vidéo, pour Corse Net Infos, d’Antoine Allegrini, membre du Comité de soutien de Jean-Louis Emmanuelli, et de Me Jean-Sébastien de Casalta, avocat de la défense.



L'avocat de la défense, Me Jean-Sebastien de Casalta.
L'avocat de la défense, Me Jean-Sebastien de Casalta.
C'est une affaire hors-norme qui a été jugée, mercredi après-midi, en seconde instance devant la Cour d'appel de Bastia. Hors norme parce que le prévenu n'est pas un criminel, qu'il n'y a pas réellement de victime, pas de mobile et que l’affaire repose sur la parole, le sentiment et la confusion d’une partie contre la parole, le sentiment et la confusion de l’autre partie. Hors norme par l’exceptionnelle lourdeur de la condamnation en première instance : 5 ans de prison dont trois ferme avec mandat de dépôt ! Hors norme par la vague de colère et d'indignation qu'a immédiatement déclenchée en Balagne cette incarcération. Hors norme, le comité de soutien qui s'est formé autour de Jean-Louis Emmanuelli, ne faiblit pas depuis lors et a envahi le Palais de justice de Bastia. Hors norme, une population qui prend fait et cause pour un accusé et une affaire qui n'aurait jamais dû raisonnablement prendre de telles proportions. Hors norme enfin, ce procès dans un tribunal transformé en camp retranché par peur de la vindicte populaire. Hors norme et quelque peu ahurissant !
 
Peur et confusion
L’affaire débute le 6 février dernier à Monticello par une opération de police qui visait, non le prévenu, mais son fils soupçonné de trafic de stupéfiants. En tout début d’après-midi, des gendarmes et des policiers encerclent la maison de Jean-Louis Emmanuelli au moment où celui-ci sort de chez lui au volant d’une camionnette pour aller faire du vélo. Comme l’opération ne le concerne pas, les forces de l’ordre ne l’interpellent pas avant de se raviser de crainte qu’il n’avertisse son fils et ne compromette son arrestation. Et, c’est là que la confusion s’installe.
Pris en étau par cinq enquêteurs, Jean Louis Emmanuelli affirme ne pas les reconnaître comme tels et face à des inconnus non identifiables, pour certains cagoulés et lourdement armés, avoir cru à un guet-apens. Pris de panique, il tente de s’enfuir et fonce à deux reprises, en marche arrière puis en marche avant, sur un gendarme, l’adjudant Buisson. En riposte, les forces de l’ordre, qui certifient porter des brassards de police et avoir fait les sommations d’usage, canardent le véhicule : 12 balles sont tirées dont 9 avec un fusil d'assaut. Le prévenu réussit à s’échapper et téléphone à sa femme qui lui apprend que les policiers ont investi sa maison. La méprise dissipée, il se rend immédiatement. 
 
Intentionnel ou pas ?
Jugé en comparution immédiate pour « violences volontaires sur dépositaire de lautorité publique », en l’occurrence l’adjudant Buisson, Jean-Louis Emmanuelli est condamné, le 14 mars, à 5 ans de prison dont deux avec sursis, mandat de dépôt, interdiction de détenir une arme pendant 5 ans et interdiction de permis de conduire pendant un an. Sous la pression populaire, il est libéré sous caution le 20 avril après sisx semaines de détention et placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter la Corse et obligation de pointer à la gendarmerie d’Ile Rousse chaque semaine.
La question au cœur de cette audience en appel, comme celle de la précédente, est de déterminer l’intentionnalité de l’acte. Le prévenu a-t-il oui ou non reconnu les policiers, comme ceux-ci le prétendent, ou a-t-il eu peur d'un guet-apens comme il le martèle ? Les policiers, qui étaient en civil, étaient-ils aisément identifiables ? Arboraient-ils des signes distinctifs, brassards et plaque ? Portaient-ils des cagoules ? Sur ce point, aucune certitude ne se dégage, juste des sentiments qui s'affrontent, des versions divergentes et des interprétations subjectives du comportement des uns et des autres que la présidente de la Cour d'Appel, Marie-Laure Piazza, tente de démêler.

Des signes distinctifs ?
Le prévenu crie son innocence : « J'ai eu fortement peur. Je vois quelqu'un, vêtu en civil, sortir d'une voiture banalisée qui me braque. Sans signe distinctif. Je ne vois pas de brassard de police. Je suis dans un cul de sac, je fais une marche arrière sans regarder où je vais, sans voir personne derrière. Je suis dans l'affolement. Je n'ai jamais voulu écraser personne ! ».
La présidente ne cache pas son scepticisme : « C'est bizarre ! Tout le monde entend les sommations, sauf vous ! ».
- Réponse : « Je venais d'essuyer des coups de feu. Je faisais marche arrière. Je n'ai pas entendu. Je n'entends les sommations qu'après avoir essuyé des coups de feu. J'identifie des policiers, mais je n'y crois pas. Je ne vois pas pourquoi des policiers viendraient m'interpeller. Je crois à un guet-apens. Je repars en marche avant. Je n'ai pas d'autre solution pour m'en sortir ».
- « Pourquoi tomberiez-vous dans un guet-apens ? Avez-vous quelque chose à vous reprochez ? »
- « J'ai 35 ans de travail derrière moi, je n'ai jamais eu affaire à la police. Je n'ai aucun casier. Je me suis toujours arrêté devant les gendarmes. Pourquoi ne l'aurais-pas fait ? Quand j'ai su par téléphone ce qui s'est passé, je me suis rendu à pied à la gendarmerie ».
- « La thèse de la peur ne peut débuter qu'au moment où on vous tire dessus. Avant, vous n'avez aucune raison d'avoir peur ! ». La présidente n'en démord pas. Pour elle, le prévenu ne peut pas ne pas avoir vu les brassards, ni entendu les sommations. Cet interrogatoire à charge déclenche des bruissements de protestation du public. Tout comme la décision de l’avocate générale de ne poser aucune question au gendarme présent.

Pas de certitude !
L’adjudant Buisson, qui s’est constitué partie civile, est le seul représentant des forces de l’ordre a être présent à la barre. Là, aussi, pas de certitude, le sentiment prime : « Je pense qu'il m'a vu derrière lui parce qu'il m'a croisé à deux reprises. Selon moi, dés qu'il est sorti de la maison, il a compris. Il avait la place pour passer. Il m'a foncé dessus. Je ne dis pas que c'est impossible qu'il ne m'ait pas vu. Il doit me voir ! ». Il n’est formel que concernant les signes distinctifs permettant d’identifier les forces de l’ordre : « Je crie Gendarmerie. Tout le monde crie. On ne peut pas interpeller quelqu'un sans avoir un brassard et sans s'identifier. Je ne sais pas si Mr Emmanuelli a vu ou non les signes. Mais s'il ne les a pas vus, ça ne veut pas dire qu'il n'y en avait pas ! ». Un avis qui n’est pas partagé par les témoins cités par la défense, les seuls à comparaître qui confirmeront, d’une même voix, les dires du prévenu. La défense produit, en sus, des pièces nouvelles, photos et vidéo, à décharge.
L’affluence du public qui a envahi la salle d’audience et déborde dans les coursives et jusqu’à l’extérieur, n’est du goût, ni de la Cour, ni de l’accusation : « Pourquoi venez-vous avec autant de monde ? Vous n'avez pas confiance dans les jugements qui sont rendus ? N’est-ce pas un moyen de pression pour intimider la justice ? », s’enquiert, mécontente, la présidente. « Ce sont des amis qui sont venus spontanément me soutenir et me donner un coup de main dans mon travail. Je suis dépressif, je ne dors plus depuis l'affaire. J'ai vécu des moments difficiles », répond Jean-Louis Emmanuelli.
 
Des éléments objectifs
La médiatisation de l’affaire, c’est ce que la partie civile, représentée par Me Laurence Gaertner de Rocca Serra, reproche d’emblée en débutant sa plaidoirie : « C'est un peu le procès des forces de l'ordre. Les débats sont menés de façon unilatérale depuis deux mois. Le monde à cette audience le prouve ». Pour elle, la problématique de l’affaire est concentrée sur la position de Jean-Louis Emmanuelli : « Qu'il ait eu peur, on peut le comprendre. Cela peut expliquer son comportement, mais pas le justifier. Il plaide une sorte de légitime défense à deux versions. Il sait pertinemment que si on devait le tuer, il serait déjà mort dix fois ! Il y a quand même des éléments objectifs qui sont les déclarations des enquêteurs ». Elle daube « les pertes de mémoire étonnantes » du prévenu, « juste au moment des faits, il perd deux sens parmi les cinq : l'ouïe et la vue ». Elle appelle à « ne pas se tromper de procès, ne pas se tromper de victime. Mr Buisson risque sa vie, il manque de se faire écraser, il est frôlé par le véhicule de Mr Emmanuelli. Il a eu très peur et s'est retrouvé dans une situation où il a du faire usage de son arme pour la première fois de sa carrière. On n'attente pas à la vie de Mr Emmanuelli, on cherche à stopper sa progression. La victime, c'est l'adjudant Buisson ! ».

Lors d'une suspension d'audience, explications courtoises entre Jean-Louis Emmanuelli et l'adjudant Buisson.
Lors d'une suspension d'audience, explications courtoises entre Jean-Louis Emmanuelli et l'adjudant Buisson.
Pas de mobile
Une thèse reprise par l'avocate générale, Véronique Escolado, qui qualifie la scène de « violences envers l'adjudant Buisson ». S’appuyant unilatéralement sur les témoignages des policiers qui, pour elle, « sont corroborés par les enregistrements radio », elle rejette tous les torts sur l’accusé : « Que c'est curieux quand même qu'il soit revenu pour prendre une veste cycliste ! Sans son comportement troublant, totalement invraisemblable, l'opération se serait déroulée normalement… Croyez-vous que des policiers prendraient le risque d'interpeller sans identification ? C'est une question de professionnalisme et de bon sens judiciaire ». Faisant la part de « ce qui est vraisemblable et de ce qui est acté », elle juge que les allégations du prévenu ne le sont pas ne croit pas à la thèse du guet-apens « qu'aucun élément objectif ne peut accréditer. La vraie question est pourquoi au-delà de la panique alléguée et de la thèse du guet-apens qui ne tient pas, pourquoi prend-il tous les risques et fait-il encourir un danger aux autres ? ». Partant de là, elle s'interroge sur son intention, échafaude des hypothèses pour essayer de dégager le mobile qui fait défaut dans le dossier. Considérant le prévenu coupable, elle requiert au final un quantum de peine légèrement réduit : quatre ans d'emprisonnement, 30 mois ferme assortis d’un mandat de dépôt et la confirmation des peines complémentaires.

Une procédure indigente
Des peines que l’avocat de la défense, Me Jean Sébastien De Casalta, trouve démesurées : « L’audience de 1ère instance à été le lieu de prédilection du conformisme et de la surenchère répressive. Le statut de gendarme du plaignant a contribué à balayer toutes les incertitudes. Cette condamnation d'une exceptionnelle sévérité était l’expression d'une violence indicible. Depuis sa condamnation et son incarcération, mon client s'est enfermé dans une sorte de dépression et d'obstination à faire reconnaître sa bonne foi et son innocence ». Dénonçant « le caractère indigent de la procédure » et « un emballement judiciaire avec cette procédure de comparution immédiate, délivrée dans l'urgence », il liste toutes les défaillances et l’ambivalence de l’enquête : « On n'a pas jugé opportun d'organiser une reconstitution dynamique des faits, ni une confrontation directe du prévenu avec ses accusateurs, tous les policiers participant à cette opération n'ont pas été entendus, on ne s'est même pas soucié de rechercher les témoins de la scène… Le travail d'investigation n'a même pas été fait à minima ». Il apostrophe le ministère public qu’il accuse de s'être abandonné à l'interprétation et à l'extrapolation : « J'ai eu le sentiment d'entendre la chorale des détenteurs de certitudes. Je regrette que vous vous réfugiez dans l'imaginaire pour construire un espèce de mobile pour des raisons fumeuses que je n'ai pas saisi ! ».
 
Demande de relaxe
Résumant l’affaire à « deux interprétations antagonistes dans une opération policière non maîtrisée », il pointe l'impossibilité de discerner l'intention, les circonstances et les sentiments. « La rapidité des scènes et des réactions doivent être appréhendées au travers du prisme de l'émotion, du stress et de la peur ». Démontant une à une les affirmations de l’accusation notamment sur le port des brassards de police, il s’insurge, vidéo à l’appui : « Pourquoi seuls les gendarmes auraient-ils dit la vérité ? La peur a été partagée par les deux camps. Jean-Louis Emmanuelli a aussi vu sa vie en danger. La parole des policiers n'a pas à être sacralisée ! ». Puis s'interroge sur le nombre et la trajectoire des tirs qui justifient, selon lui, la légitime défense. « Quel est l'intérêt de se dérober à la police pour se rendre immédiatement après ? Ce n'est pas crédible ! La peur est plausible dans le contexte corse. Cette affaire est sensible comme la suspicion qui pèse sur cet homme ». Jugeant difficile d'appréhender la responsabilité pénale « par le prisme des témoignages qui ne sont pas neutres », il conclut que « l'incertitude, l'équivoque, l'ambiguïté » du dossier justifie la relaxe.
Le jugement a été mis en délibéré au 15 juin.
 
N.M.

Réactions d'Antoine Allegrini, membre du Comité de soutien à Jean-Louis Emmanuelli et de son avocat, Me Jean Sébastien de Casalta.