« Vous connaissez l’omelette-frigo ? s’amusait encore Paul-Antoine de Rocca Serra, en présentant la soirée. Vous prenez tout ce qui s’y trouve et vous obtenez quelque chose de délicieux ! Eh bien c’est exactement ce que nous allons faire ce soir ! » La recette a tenu ses promesses : humour, harmonie, talent et poésie ont transporté les spectateurs, du XVIIIe siècle à nos jours.
Une dizaine de violoncellistes – et même une hautboïste le temps d’une interprétation d’une composition de Piazzola – ont joué plusieurs œuvres comme une promenade dans l’histoire, nous conduisant de Luigi Boccherini à Dimitri Chostakovitch, en passant par une récitation de poème sur fond de violoncelles.
« Avec ce qui se passe en Ukraine, on aurait pu ne pas jouer Chostakovitch, a expliqué l’un des interprètes, Frédéric Audibert. Pourtant, quand on sait ce qu’a vécu cet homme, adulé comme un génie, mais contraint par le régime… Il a élaboré des compositions à double niveau de lecture. C’est lyrique, profond, dynamique… ». Le groupe de violoncellistes a présenté une version originale, tourmentée et géniale du 1ermouvement du 1er concerto de ce compositeur difficile, qui a conquis l’auditoire. Comme à d’autres nombreux moments au cours de la soirée, il a été ovationné pour son interprétation.
Un compositeur injustement tombé dans l’oubli
Le programme faisait aussi une place à des compositeurs moins connus : ainsi, les deux frères Audibert, en un duo remarquable, ont-ils fait découvrir aux spectateurs Jean-Baptiste Barrière, violoncelliste contemporain de Jean-Sébastien Bach, qui, en 1736, séjourna en Italie pour étudier auprès de son confrère italien, Francesco Alborea – un célèbre virtuose de cet instrument. Ce compositeur qui a contribué à l’introduction du violoncelle en France, est connu pour la sensibilité mais aussi la difficulté technique de ses compositions dont rendait bien compte la pièce interprétée vendredi soir.
Carnet de bal…
Enfin, la Corse elle-même n’était pas oubliée dans ce programme. Outre la langue qui était à l’honneur sur les affiches et dans l’introduction de la présidente de l’association, Marie-Paule Chipponi, prononcée intégralement in lingua nustrale, le groupe a offert au public l’interprétation d’airs venus tout droit de notre fonds culturel.
Car si Filippu Francescu Filippi, médecin originaire de Moitaet passionné de musique, avait laissé en legs son violoncelle, dont la découverte est à l’origine des Rencontres de Moita, il avait également laissé un petit bout de papier sur lequel étaient écrites deux lignes de musique – l’air de la Mauresque – et une sorte de carnet de bal dans lequel figuraient des thèmes de danse : scottishs, quadrilles, et autres mazurkas : deux ou trois airs connus et également six ou sept que les plus fins connaisseurs de notre musique traditionnelle n’avaient jamais entendus. C’est dans ce fonds Filippi que les musiciens des Rencontres ont sélectionné deux airs festifs, témoignant qu’en ce milieu du XIXe siècle, les Corses savaient également s’amuser…
Surprise, surprise !
Cette capacité d’offrir aux spectateurs des programmes toujours renouvelés, piochant dans tous les styles et toutes les époques, avec des musiciens inattendus de dernière minute, c’est aussi ce qui fait le charme des Rencontres de Moita. De la fantaisie, de la fraîcheur, du plaisir à être ensemble et à partager la musique !
De génération en génération…
Les deux dernières Rencontres – de samedi 16 à Moita et de dimanche 17 à Campi – devraient également fournir leur lot de – bonnes – surprises ! Puis il faudra patienter jusqu’à l’année prochaine… Car, par chance, ces Rencontres ne sont pas près de prendre fin : dans le noyau dur de musiciens qui reviennent tous les ans, la consigne se passe de génération en génération – de père en fils… ou en fille. « Il y a même un bébé de cinq mois qui participe aux répétitions, s’amuse la présidente. C’est la troisième génération dans le groupe ! ». La relève est prête !