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Le verger de l'INRAE de San Giuliano : Plus de 1 000 variétés d'agrumes présentées au public


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Samedi 16 Décembre 2023 à 17:27

Samedi 16 décembre, sur son site de San Ghjulianu, l’INRAE de Corse – Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement – organisait sa traditionnelle journée portes-ouvertes : l’occasion de découvrir un verger d’agrumes tout à fait exceptionnel et de s’entendre conter l’histoire plus que millénaire de ces fruits étonnants.



Le soleil était au rendez-vous, samedi, et nombreux étaient les visiteurs qui avaient répondu présent pour découvrir ce patrimoine “naturel” remarquable, au cœur de la Plaine orientale. « Nous avons toujours eu beaucoup de monde, se félicite Simone Riolacci, la chargée de communication de l’Institut. Mais cette année, l’engouement est exceptionnel ! Plus de 350 visiteurs ! Est-ce parce que l’an passé nous n’avons pas pu l’organiser ? »

Le public était accueilli dans une salle d’exposition, où il pouvait dans un premier temps découvrir, sur les tables, un bel échantillon des fruits qui poussent à San Ghjulianu. Des panneaux explicatifs l’y informaient également sur le cédrat et la clémentine, les agrumes fétiches de notre île, et un stand lui faisait découvrir la faune qui peuple les vergers : oiseaux, insectes, serpents, tortues ou salamandres… Les 14 hectares sur lesquels pousse la collection d’agrumes de l’INRAE ne sont pas traités : « Depuis six ou huit ans, explique Yann Froelicher, chercheur au CIRAD et généticien, nous sommes totalement sortis de la chimie. Mais de ce fait, il faudrait beaucoup plus de main d’œuvre ! C’est difficile de lutter contre le maquis. On a beau faucher… Au pied des arbres, il pousse des figuiers sauvages, des chênes… et pire, des ronces et du lierre. Le lierre, aucune machine ne peut le retirer. Nous sommes obligés de tout faire manuellement. Et on en souffre. Car du personnel, il y en a de moins en moins… On a bien essayé les moutons : mais ils ont fini par trouver que les agrumes, c’était très bon ! Quant aux chèvres, elles mangent l’écorce : elles tuent les arbres, c’est radical ! »

Un verger exceptionnel

Pour cette journée particulière, quatorze agents INRAE et CIRAD prenaient en charge de petits groupes de visiteurs, simples curieux ou jardiniers amateurs venus chercher des conseils pour mieux s’occuper de leurs plantes. Certains n’avaient pas hésiter à faire des kilomètres, comme ce couple venu de Sagone, pour découvrir enfin ce lieu réputé : « Mon voisin qui est agriculteur dans le bio m’en avait parlé en 2019. Cela faisait longtemps que nous voulions venir ! ». Et c’est parti pour un grand tour de verger : plus d’une heure de promenade au milieu d’arbres chargés de fruits. « Je ne veux pas utiliser de produits chimiques dans mon jardin, explique une visiteuse. Mais les fruits tombent avant de mûrir ! Je suis venue voir comment on peut faire… » La recette ? C’est la nature qui la donne : « Il y a la faune. Ce sont des auxiliaires : il faut que ça s’équilibre ! », explique le chercheur. Une nature qui donne et qui reprend : « Au moment de la floraison, il ne faut pas qu’il y ait de stress ! Cette année, en Corse, on a 30 % de clémentines de moins que les autres années. Et cela, parce qu’il a fait pluvieux et froid au mois de mai… », rapporte Yann Froelicher, avant d’expliquer le rôle du sol, et la nécessité de faire le choix du porte-greffe le plus adapté : « Le plus vieux porte-greffe utilisé dans le monde, depuis des milliers d’années, c’est le bigaradier, un hybride de mandarine originaire de Chine, et de pamplemousse venu du Vietnam, de la Thaïlande et de l’Indonésie. C’est celui que l’on trouve dans les vergers anciens de Corse. Mais la Tristeza, une maladie qui lui est spécifique, est arrivée et il a fallu chercher de nouveaux porte-greffes, comme le Poncirus. »

Si le virus a épargné jusqu’à présent la Corse, il fait actuellement des ravages en Italie. Main de bouddha aux doigts torturés, quinotto de Sicile prisé pour son amertume, pamplemousse géant qui peut atteindre le poids d’un kilo, mais qui a un goût d’huitre, calamondin – cet arbre puissant et magnifique, très ornemental, dont les fruits minuscules assaisonnent les nems en Asie – ou encore lime de Tahiti « extraordinaire avec des huitres ! », le verger est un lieu magique où l’on va de surprise en surprise. Les visiteurs goûtent aux différents fruits. La découverte est en effet aussi celle du goût : de la mandarine japonaise si suave, aux vertus médicinales appréciées, au kinnow – une mandarine originaire du Pakistan et de l’Inde, en passant par le clemendor, ce fruit lilliputien mais exceptionnel… Au détour d’un chemin, voici la clémentine page, un hybride américain délicieux, le citron Beldi du Maroc, dont les Tunisiens agrémentent leurs pâtisseries, ou encore la lime douce, utilisé au Mexique pour parfumer l’eau tout en la désinfectant. Mais également la bergamote, cette « star de la parfumerie » qui connaît une renaissance marquée, au service à la fois de l’industrie et de la gastronomie. Et le pamplemousse chandeleur dont la chair reste rosée sous nos climats mais vire au rouge en zone tropicale.

L’orange : l’agrume le plus plastique
La mandarine est ainsi présente sous de multiples formes, de la Temple, légèrement acide, à l’américaine Sunburnst très colorée et beaucoup plus douce. Et bien sûr la mandarine corse ! Elle a perdu du terrain devant la clémentine pour trois raisons : sa peau moins résistante – c’est un problème pour le transport –, ses pépins, et surtout le fait qu’elle alterne : autrement dit, elle ne produit pratiquement qu’une année sur deux. Mais des sachets suspendus à certains arbres témoignent de ce que les chercheurs ne l’ont pas abandonnée : « On fait des essais pour créer une variété tardive et acidulée, sur la Corse. Actuellement, il y a une variété en test chez certains agriculteurs. »

Quant aux cédrats, on en trouve ici plusieurs variétés, dont bien sûr le cédrat de Corse. Sa particularité ? « C’est un double mutant. De ce fait, il n’est pas acide contrairement aux autres. » Tous ces agrumes ont une histoire qui remonte à la nuit des temps. Originaire d’Asie du Sud-Est, de la Chine à l’Australie, ils ont évolué sur des milliers d’années. Un changement climatique a provoqué l’isolement des variétés sauvages ancestrales de cédrat, mandarine, pamplemousse et micrantha qui sont à l’origine des agrumes cultivés actuels. « Puis l’homme est arrivé. Il s’est mis à déplacer ces agrumes… qui se sont rencontrés. Et se sont hybridés ». Sont nés alors tous ces fruits que nous connaissons, d’une diversité génétique étonnante. Avec un cas particulier : l’orange « qui est incroyable, parce qu’on peut la cultiver dans un milieu tropical mais aussi chez nous. C’est l’espèce la plus plastique ! Ce n’est pas le cas des autres agrumes… », rapporte le chercheur visiblement passionné par son sujet.

Une passion communicative, pour une très belle initiative qui a mobilisé au total seize personnes sur le site et a attiré très largement, bien au-delà du périmètre de notre île : « Nous avons reçu des gens de Fourcès dans le Gers, de Châteaudun, de Lyon et de Bretagne, souligne Simone Riolacci. Tous ces gens avaient fait le déplacement spécialement pour la visite ! »