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"Une sécurité d’emploi et de formation, à vie, préférable au revenu universel"


Nicole Mari le Samedi 28 Janvier 2017 à 00:12

La Corse expérimentera-t-elle le revenu universel ? Le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni a présenté, vendredi matin, en session, un rapport proposant la mise en place d’une Commission de réflexion sur la question. Le rapport a été adopté grâce aux voix de la majorité nationaliste, de la gauche et du Front national, la Droite et Christophe Canioni se sont abstenus. Ce principe d’un revenu versé à tous, sans condition, ni contrepartie, proposition phare et très controversée du programme de Benoît Hamon, en cours d’expérimentation en Finlande ou en Alaska, peut-être bientôt en Gironde, a suscité autant de débats dans l’hémicycle territorial que dans la campagne présidentielle. Le Front de Gauche, très réservé sur le sujet, soulève un certain nombre d’objections et lui préfère le principe d’une sécurité d’emploi et de formation garantie à vie. Explications, pour Corse Net infos, de Michel Stefani, conseiller territorial du groupe Front de gauche.



Michel Stefani, conseiller territorial du groupe Front de gauche.
Michel Stefani, conseiller territorial du groupe Front de gauche.
- Pourquoi avez-vous voté le rapport sur le revenu universel ?
- Nous n’avons pas voté pour le revenu universel. La question, qui était posée, était de mettre en place une commission pour pousser la réflexion qui est déjà bien engagée au plan national. Il y a eu un rapport d’information de la mission sénatoriale et, au bénéfice de la campagne électorale pour la présidentielle, un regain autour de cette question. Mais aussi, un oubli essentiel ! Celui de situer les responsabilités concernant la situation des personnes affectées par la précarité, la pauvreté et le manque de moyens pour vivre.
 
- Où, selon vous, se situent les responsabilités ?
- La première est le système capitaliste dans lequel nous sommes. Cela peut paraître paradoxal, mais au moment où la crise économique s’aggrave, les riches s’enrichirent considérablement ! Aujourd’hui, huit personnes dans le monde sont aussi riches que 3,5 milliards de personnes en situation de pauvreté ! Cette réalité nécessite d’engager une action publique et de s’attaquer aux raisons de cette pauvreté et de l’aggravation du chômage. Nous considérons qu’en Corse, des dispositifs de réfaction de TVA (Taxe sur la valeur ajoutée) et de franco de port sont détournés de leur objet au détriment des ménages et de leur pouvoir d’achat.
 
- C’est-à-dire ?
- Théoriquement, ces dispositifs devraient améliorer la consommation, à travers les biens de consommation courante. Si les aides apportées aux entreprises, 100 millions € par an, étaient réorientées vers la stabilité de l’emploi et la revalorisation des salaires, elles permettraient d’autres résultats que ceux qui nous sont présentés régulièrement. Ces aides n’ont conforté que les trésoreries des entreprises. Le Préfet de Corse a expliqué que l’île a connu, sur les vingt dernières années, une croissance importante et une augmentation du PIB (Produit intérieur brut). Le volume d’argent, réfaction de TVA-aides aux entreprises, atteint près de 5 milliards d’euros sur 20 ans. Dans le même temps, en 2010, selon les derniers chiffres dont nous disposons, 1 600 ménages insulaires déclaraient des revenus annuels moyens de 180 000 € tandis que 20% des ménages avaient des revenus inférieurs au seuil de pauvreté.
 
- Ce revenu universel a un coût élevé. Comment le financer ?
- Si nous estimons que 30 000 personnes en Corse pourraient bénéficier d’une telle disposition et que celle-ci ne pourrait pas être inférieure au seuil de pauvreté, c’est-à-dire 1000 € mensuels, nous arrivons à 360 millions € par an. Il faut, par conséquent, réfléchir, dans le cadre de la solidarité nationale. D’ailleurs, la mission sénatoriale considère que le financement devrait s’opérer sur l’impôt.
 
- Qui va payer ?
- Le capital doit contribuer ! La responsabilité de la crise incombe aux entreprises qui ne peuvent pas s’en exonérer et continuer comme elles le font ! Au bénéfice d’une telle disposition qui se mettrait en place, elles pourraient accentuer la pression sur les salaires qui seraient maintenus au plus bas, et ne plus cotiser. L’autre aspect, qui nous semble particulièrement dangereux dans ce type de dispositif, est l’absence de possibilités contributives aux cotisations, donc à la protection sociale. Ce serait un désavantage important pour notre modèle de sécurité sociale. On ne peut pas évacuer cette question !
 
- Que préconisez-vous en échange ?
- Nous préconisons une sécurité d’emploi et de formation qui garantit des droits, tout au long de la vie, par des périodes de formation et de travail. Ces droits seront rattachés à la personne, quelque soit son cheminement, du début à la fin de son activité professionnelle. Cela suppose, en même temps, un contrat de travail à durée indéterminée, une baisse du temps de travail, une autre mobilisation de l’argent du crédit et une politique de développement des services publics, en particulier un grand service public de l’emploi et de la formation. Nous y ajoutons la nécessité de créer un revenu étudiant qui permettrait de sortir du processus, dans lequel nous sommes aujourd’hui, de transmission de la précarité d’une génération à l’autre.
 
- Serait-ce une sorte de revenu universel étudiant ?
- Ce serait un revenu qui garantirait l’autonomie des étudiants. Nous ajoutons également la nécessité de créer des droits nouveaux pour les salariés dans l’entreprise afin qu’ils puissent intervenir dans la gestion et dans l’organisation du travail. Le but est d’imposer le respect des règles de sécurité et de tout ce qui est, aujourd’hui, plus ou moins régulièrement bafoué.
 
- Vous semblez réservé. Pourtant le candidat socialiste à la Primaire de la gauche, Benoit Hamon, s’est fait le chantre de ce revenu…
- Les ardeurs de Benoit Hamon ont été quelques peu refroidies lorsque des économistes se sont penchés sur la question du financement. Ils ont expliqué que cette proposition, qui porterait le RSA (Revenu de solidarité active) à 650 €, coûterait plusieurs centaines de milliards d’euros. Je crois que c’est même supérieur au budget de la Sécurité sociale ! Il faut apporter des réponses à ces questionnements. Pour le reste, il semble assez hypothétique de rechercher un consensus avec ceux qui, par exemple derrière Fillon, attaquent la Sécurité sociale à la tronçonneuse, ou ceux qui, derrière Macron, nous promettent la loi Travail, toute la loi Travail, rien que la loi Travail ! Autrement dit, le retour au bonheur du 19ème siècle ! Nous ne voulons pas que des illusions soient créées !
 
- Participerez-vous aux travaux de la Commission ?
- Oui ! Bien sûr ! Mais en portant nos propositions, notre réflexion pour veiller à ce que, justement, des illusions ne viennent pas perturber, à la fois, la nécessité de situer les responsabilités de la crise dans laquelle nous nous trouvons, et de dégager une politique qui soit véritablement tournée vers la prise en compte de cette urgence sociale. Il faut apporter des réponses sérieuses, efficaces aux problèmes que rencontrent les personnes et les ménages les plus en difficulté dans notre région. Il faut, aussi, une relance de l’emploi industriel pour générer de l’emploi stable, des salaires rémunérateurs et une protection sociale qui puisse, sur la base de la péréquation, permettre à chacun de vivre dignement.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.