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Levée du statut de DPS du commando Erignac : Les réactions politiques en Corse


Nicole Mari le Vendredi 11 Mars 2022 à 21:41

Les réactions politiques s’enchainent en Corse après l’annonce de la levée, vendredi matin, par le Premier ministre, Jean Castex, du statut de DPS (Détenu particulièrement signalé) de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. Cette décision intervient après six jours de manifestations et de tension qui secouent la Corse après la tentative d’assassinat perpétrée contre Yvan Colonna, le 2 mars à la centrale d’Arles. Les quatre groupes nationalistes saluent le geste du gouvernement, mais l’estiment très insuffisant. Explications, pour Corse Net Infos, du député Jean-Félix Acquaviva pour Femu a Corsica, Jean-Baptiste Arena pour Core in Fronte, Jean-Christophe Angelini pour le PNC, Jean-Guy Talamoni pour Corsica Libera.



Manifestation à Corti. Photo CNI.
Manifestation à Corti. Photo CNI.

Le député Jean-Félix Acquaviva, Femu a Corsica : « Il faut aller plus loin, nouer un dialogue politique avec des actes concrets »

Le député Jean-Félix Acquaviva.
Le député Jean-Félix Acquaviva.
« C’est un premier pas enfin ! Ce n’est que l’application du droit. Il y a eu la mobilisation de ces quelques jours, mais aussi tout le travail politique de soutien légitime qui a été fait depuis des années et surtout depuis quelques mois. Il est évident qu’il faut aujourd’hui le rapprochement des prisonniers, et, dans un délai raisonnable et rapide, leur libération normale et non entravée puisque des jugements en première instance ont déjà validé leurs projets de semi-liberté. Et puis, il faut la justice et la vérité sur la tentative d’assassinat d’Yvan Colonna qui est un véritable scandale d’État. Nous allons tenter de le démontrer, dès les auditions qui commenceront le 16 mars à l’Assemblée nationale en Commission des lois où je siègerai. Ce sont ces actes concrets et immédiats que réclame la Corse aujourd’hui. Nous allons aussi, dès lundi, au travers d’une conférence de presse avec six groupes parlementaires, demander qu’une Commission d’enquête parlementaire naisse, ainsi qu’un processus de règlement politique global de la question Corse sur tous les sujets qui se posent : le statut institutionnel, les questions économiques et sociales, notamment la question de la fiscalité des successions et des prix du carburant par exemple, la question de la spéculation foncière et immobilière, le règlement des dossiers Fijait des anciens prisonniers...
 
Le point d’orgue de la colère, qui explose aujourd’hui, a été provoquée par la tentative d’assassinat extrêmement grave d’Yvan Colonna, mais aussi par l’accumulation de la défiance de l’État vis-à-vis de la Corse, une défiance qui s’est accélérée depuis quelques semaines avec le mandatement d’office dans l’affaire de l’amende de la Corsica Ferries, la décoration de Bertolini, ARRITTI, le règlement intérieur de l’Assemblée de Corse, la conduite du PTIC… Tout cela a évidemment alimenté la colère parce que c’était une attitude volontaire contre la démocratie exprimée dans les urnes, contre le pouvoir légitime du président du Conseil exécutif. Nous n'avons eu de cesse de dire à l'État que la situation était tendue et de l’appeler au compromis. Nous l’avons averti précisément sur tous les sujets de tension. Il est donc le seul responsable, non seulement dans la tentative d’assassinat d'Yvan Colonna, au mieux de grandes défaillances, au pire de connivence, mais aussi du pourrissement de la situation insulaire. C’est, donc, à l’Etat de répondre à la hauteur de la situation. Les petits pas, cela ne suffit plus ! Il faut aller plus loin, saisir cette crise pour nouer un dialogue politique avec des actes concrets. Il faut que l’État dans sa continuité, au-delà des vicissitudes électorales, redresse la barre et donne la preuve de sa volonté de changer définitivement de braquet. Pour cela, nous pensons que la mobilisation doit être démocratique, responsable, déterminée et élargie à toutes les couches de la société corse, les forces économiques et sociales, les associations, les groupes culturels, les syndicats étudiants, les institutions de la Corse… puisque c’est tout le peuple corse qui est traumatisé et concerné par cette situation ».

Jean-Baptiste Arena, conseiller territorial Core in Fronte : « On a plus avancé en sept jours de violence qu’en sept ans de négociations. C’est un constat dangereux pour l’État ! » «

Jean-Baptiste Arena.
Jean-Baptiste Arena.
C’est un petit pas que nous prenons en compte d’un point de vue politique. Je voudrais avoir, d’abord, une pensée pour les familles de tous les patriotes qui ont été incarcérés dans les geôles de l’hexagone depuis maintenant près d’un demi-siècle, et qui ont subi, par conséquent, cette triple peine, et plus particulièrement pour mon ami Antoine Alessandri. Il faut rappeler à tout le monde que l’État ne fait qu’appliquer le droit, ce droit que nous lui demandons sans répit d’appliquer depuis cinq ans, notamment pour Pierre Alessandri et Alain Ferrandi qui ont déjà effectué 23 ans de prison et sont conditionnables depuis cinq ans. Cela fait, donc, cinq ans que ce statut aurait dû être levé, sachant que l’institution judiciaire est déjà intervenue dans ce sens. Ensuite, la tentative d’assassinat d’Yvan Colonna est juste l’étincelle qui a mis le feu aux poudres, mais le problème est beaucoup plus profond. Cela fait sept ans que la majorité territoriale nationaliste, la précédente et l’actuelle, n’est pas prise en compte par l’Etat au niveau de ses revendications. La jeunesse ne va pas s'arrêter à ce simple geste, et nous non plus d’ailleurs ! La jeunesse, aujourd’hui, n’en peut plus, elle n’a plus accès à sa terre, elle ne peut plus se loger, penser sereinement à l’avenir, elle attend des actes forts, notamment pour lutter contre la spéculation immobilière et permettre l’accès au foncier et au logement, ce qui est une urgence.
 
Nous restons ferme sur les trois points validés lors de la coordination de Corti, à savoir toute la vérité sur la tentative d’assassinat d’Yvan Colonna, la libération pure et simple de Pierre Alessandri et d’Alain Ferrandi, qui doit s’enchaîner très rapidement. Et bien entendu, la reconnaissance du peuple corse à travers des discussions officielles avec le président de l’Exécutif de la Collectivité de Corse et toute l’assemblée de Corse dans ses différentes composantes. Des discussions que Paris doit engager rapidement, notamment sur le statut de résident, le bilinguisme et sur tous les problèmes qui sont soulevés depuis sept ans par les différentes majorités nationalistes. Il est temps que le Président de la République, qui s’était engagé auprès du Président de l’Exécutif en 2017 à ouvrir un véritable dialogue pour la Corse, tienne enfin ses promesses. Aujourd’hui, nous sommes obligés de constater qu’on a plus avancé en sept jours de violence qu’en sept ans de pourparlers et de négociations. C’est un constat dangereux même pour l’État ! Que ce soit pour la Corse ou demain pour d’autres thématiques au niveau national français. Il nous reste un mois avant l’élection présidentielle, on ne doit surtout pas relâcher la pression. De nouvelles forces rejoignent la mobilisation, notamment des syndicats, le STC et même la CGT qui a appelé à manifester, également les socioprofessionnels. Il faut que la mobilisation continue et que l’unité soit au rendez-vous dimanche et les jours qui vont suivre. Nous attendons aussi l’arrêt des poursuites pour tous les jeunes qui ont été mis en garde à vue depuis le début de la mobilisation et qui, dans la plupart en plus, ont été mutilés. On le dit clairement : on n’acceptera jamais qu’ils soient mis en examen ! ».

Jean-Christophe Angelini, leader du PNC : « Ce n’est pas une solution politique, mais un acte qui peut ouvrir un processus de sortie de crise »

Jean-Christophe Angelini.
Jean-Christophe Angelini.
« La levée des statuts de DPS est, d’abord, le fruit d’une mobilisation qui est allée très loin et qui a débordé le cadre des mouvements et des institutions, donc c’est avant tout le fruit d’un combat militant. C’est, ensuite, un premier pas. Ce n’est pas une solution politique, mais incontestablement un acte qui peut ouvrir un processus, pour peu que la mobilisation continue, et que l’État en prenne l’exacte mesure. Il faut que cette mobilisation continue sous la forme que la jeunesse et le peuple corse lui donneront : manifestation, assemblée générale, veillées.... L’important, on l’a dit, c’est que nos jeunes ne s’exposent pas – ils l’ont dit eux-mêmes - de façon déraisonnable et excessive afin que leur intégrité physique soit respectée. Bien sûr qu’on est partisan de l’apaisement, mais on sait bien, tous et toutes, quelque soient les appels des uns et des autres, qu’il ne pourra intervenir qu’après des conditions politiques qui seraient acceptables. Pour être sûr que les engagements, qui vont être pris, seront bien respectés, il faut formaliser un protocole. Aujourd’hui, l’élection présidentielle véhicule l’idée selon laquelle le président sortant a de fortes chances d’être réélu, nous n’allons pas nous limiter à cette possibilité. Nous sommes en mesure de conclure un protocole de sortie de crise phasé et qui enjambe l’élection présidentielle en mettant les choses en perspective. Personne, ni dans la majorité, ni dans l’opposition, ne se contentera d’un engagement qui consisterait à reporter au lendemain de l’élection le moment des choix. Celui-ci doit être imminent. Ensuite, il doit s’accompagner d’un phasage et d’un processus ».

Jean-Guy Talamoni, Corsica Libera : « La revendication majoritaire, ce n’est plus le rapprochement, c’est la libération pure et simple des prisonniers politiques »

Jean-Guy Talamoni.
Jean-Guy Talamoni.
« C’est une bonne chose, mais c’est largement insuffisant au regard des revendications qui sont portées par la société corse, notamment en référence à la délibération unanime du Conseil d’administration de l’université. Pour moi, la position de la Corse est celle-là, parce que l’université est la seule institution qui n’est pas contestée en Corse aujourd’hui. Je pense que toutes les forces vives sont calées sur cette délibération, notamment celles qui étaient à Corte à la réunion. La revendication majoritaire, ce n’est plus le rapprochement, c’est la libération pure et simple des prisonniers politiques. On est très loin du compte, même si la levée du statut de DPS va dans le bon sens. Elle prouve que le blocage était politique, absolument pas judiciaire ou lié à des considérations pénitentiaires avec un détournement des textes et une application artificielle d’un statut de DPS aucunement justifié. C’était donc une vengeance d’État ! Un ministre nous en donne aujourd’hui la preuve éclatante en enlevant ce statut parce qu’il y a des tensions en Corse. Il faut s’organiser pour faire pression sur l’État français de manière générale à travers tous les moyens que nous avons à notre disposition : les élus, les syndicats et les associations, etc... C’est ce que j’ai proposé depuis maintenant plusieurs années. Cela évitera aux jeunes de se mettre en danger. Évidemment, nous sommes très inquiets pour leur intégrité physique. Si on veut que les choses s’apaisent à cet égard, ce ne sera pas en allant leur faire la leçon et en leur disant de se calmer, pour nous ce n’est pas la bonne méthode !
 
La bonne méthode, c’est que les responsables prennent précisément leurs responsabilités. Les seuls reculs, que nous avons observé de la part de Paris, c’est ce qui vient de se passer pour le statut de DPS et c’est lorsqu’Alain Mosconi a bloqué le bateau qui emmenait des gendarmes et du matériel pour les forces de répression. Le bateau est reparti. C’est la première fois que l’Etat a reculé alors qu’il ne recule sur rien depuis des années ! C’est simplement la preuve que la stratégie que nous préconisons et que nous réitérons est la bonne. Il est temps que les Nationalistes revendiquent le respect de la démocratie et du suffrage universel qui, depuis 2015, dit un certain nombre de choses dont Paris n’a pas tenu compte. Ce déni de démocratie, si on veut y mettre un terme, il faut précisément un rapport de force avec Paris. Il y a, à cet égard, une motion déposée à l’Assemblée des jeunes par les trois groupes nationalistes, qui est très claire et qui parle de bras de fer. Nous avons les moyens de faire pression et de bloquer totalement, tranquillement, avec détermination, le fonctionnement de l’administration française en Corse. Si on veut empêcher l’administration d’État de dérouler sa stratégie en Corse, je crois qu’on aura aucun mal, encore faudrait-il avoir la volonté politique commune de le faire, et cette volonté politique commune malheureusement a fait défaut ces dernières années. La seule garantie que les choses avancent dans le sens des intérêts de la Corse et de la démocratie, c’est une mobilisation large, organisée, unitaire. L’alternative à ce qui s’est passé, depuis plusieurs jours, est une alternative de lutte, pas une alternative de soumission.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.