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La fête des maires


Jacques RENUCCI le Jeudi 4 Avril 2019 à 21:59

Pour sa dernière rencontre avec les élus, le Président de la République a été confronté aux revendications de la Corse profonde.



La fête des maires

A Cuzzà, la dernière étape du tour de France d'Emmanuel Macron n'a pas failli à la règle du jeu qu'il a fixée. Un one man show affiné au fil du périple et des maires qui disent leurs inquiétudes, leur désarroi, voire leur révolte, avec le poids supplémentaire d'une insularité déconsidérée. A les écouter, on comprend la crise des vocations qui frappe l'écharpe tricolore.

Depuis le 15 janvier, point de départ de sa course d'obstacles à travers le pays, le Président de la République a eu le temps de mesurer l'écart, si ce n'est la fracture, qui existe entre les territoires et le pouvoir central. Pire que d'abandon, on parle d'ignorance, comme si le gouvernement menait sa vie hors sol, loin des réalités souvent amères qui l'entourent et le pressent. « La France d'à côté », comme la nomme le président du Sénat Gérard Larcher, se sent surtout avec raison la France d'en bas. Le mouvement des gilets jaunes, soudain et inattendu, a remis en cause, entre autres, la verticalité excessive du pouvoir. Mais les revendications exprimées visaient non seulement le chef de l’État et son premier cercle, mais aussi les institutions dans leur légitimité.
 

C'est pourquoi Emmanuel Macron, dans une démarche pragmatique, a paré au plus pressé : il n'a pas remis en cause les attaques contre l'Assemblée Nationale ou le Sénat, mais il a décidé de miser sur les élus locaux en en faisant ses interlocuteurs privilégiés. Cela a-t-il fonctionné ? Il est encore trop tôt pour le dire ; il existe pourtant un indicateur, les enquêtes d'opinion. Selon le dernier sondage en date, le Président, avec 25% d'opinions favorables, retrouve le niveau de popularité qui était le sien avant la parenthèse des gilets jaunes, au cours de laquelle il avait nettement chuté. Les événements ont mis en relief une évidence : En Marche, en tant que jeune parti, n'a pas d'assise locale stable, Emmanuel Macron ayant sauté en mode personnel les passages naturellement obligés de la démocratie.

 

Des maires qui en appellent à l’État

 

C'est pourquoi il mise aujourd'hui sur la proximité pour asseoir son ancrage, lui donner une stabilité et l'inscrire dans la durée. La nouvelle articulation qu'il veut donner à une décentralisation peu dans sa nature s'appuie sur les élus locaux de base, en l'occurrence les maires, qui selon lui représentent mieux le tissu national que les assemblées régionales, les sénateurs ou les députés. A ce titre, il n'en fait pas mystère : un de ses objectifs est, dans cette logique, de rendre aux maires une légitimité mise à mal. Les premiers magistrats des communes attendent à présent un statut de l'élu, qui les protégerait et surtout définirait avec clarté le périmètre de leurs prérogatives.
 

En caressant les maires dans le sens du poil, Emmanuel Macron trace les voies de sa longévité présidentielle. En Corse, où le fond de méfiance est tenace et où le conflit avec la direction territoriale complique les choses, l'adhésion est mitigée. A Cuzzà, il y avait plus de gardes mobiles que d'élus, et la crispation sécuritaire trop perceptible laissait peu augurer de la qualité de l'échange. Pourtant, celui-ci a eu lieu, sur une tonalité marquée par un certain pessimisme. Les maires, auxquels le Président a porté la bonne parole sur le mode tonique, quadrillent une terre épuisée, pauvre, qui a l'impression que, quand elle dit sa misère, on la juge arrogante. Les élus locaux ont le sentiment que la défiance vis-à-vis de l'institution territoriale rejaillit sur eux : la sanction politique rebondirait sur la gestion quotidienne de base, pour le désagrément de tous. Bridés par le manque de moyens, bridés par les contraintes extérieures, les maires en appellent à la sincérité de l’État, à sa lucidité, dans un partage des droits mais aussi des devoirs, dans la volonté d'être utiles, dans l'harmonie, pour citer le Président, « des idéaux et de l'enracinement ».


(Photo Michel Luccioni)
(Photo Michel Luccioni)