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Corsica Linea : Des ambitions dans le développement local, l’emploi et l’environnement


Nicole Mari le Vendredi 8 Février 2019 à 15:43

Etre une compagnie régionale corse, responsable et durable avec des valeurs environnementales et sociétales, c’est l’ambition de la compagnie maritime Corsica Linea. Après trois ans d’activité et un redémarrage réussi, l’entreprise aux bateaux rouges, détenue par un pool d’entrepreneurs insulaires, aborde une seconde étape de sa stratégie de croissance basée sur trois axes : le client, le développement local et la protection de l’environnement. Pierre-Antoine Villanova, directeur général de Corsica Linea, fait, à Corse Net Infos, des annonces fortes en matière de sous-traitance, d’emploi, de formation, de valorisation de la filière maritime et de transport maritime vert avec, dès cette année, des bateaux plus propres et l’achat d’un navire neuf propulsé au GNL.



Pierre-Antoine Villanova, directeur général de la compagnie maritime, Corsica Linea.
Pierre-Antoine Villanova, directeur général de la compagnie maritime, Corsica Linea.
- Après trois ans d’activité, êtes-vous satisfait du bilan de l’entreprise ?
- Ah oui ! C’est un bilan incroyablement positif ! A plusieurs titres. D’abord, c’est un succès collectif qui est la somme du travail de toute une équipe, du patron à l’ensemble des marins. Au début, ce fut difficile, mais les marins ont rapidement adhéré au projet et modifié leurs façons de travailler. Dès le premier mois, nous avons dit que le plus important était la satisfaction du client et qu’en étant meilleurs sur l’expérience client, nous regagnerons des clients fret et passagers. Trois ans après, le bilan est simple : on peut parler de restructuration réussie, de transformation, de redécollage… l’entreprise est saine, elle fonctionne bien et a regagné des parts de marché sur le fret, qui est notre activité principale, comme sur le trafic passagers. Son chiffre d’affaires est passé de 170 millions € en 2016 à 220 millions € cette année. Les clients sont de retour parce que l’expérience, qu’ils vivent à bord chez nous, est différente de celles qu’ils peuvent vivre à bord ailleurs : ils adhèrent. L’entreprise a vraiment réussi sa croissance, elle est prête maintenant à entamer une seconde étape sur du long terme.
 
- Que projetez-vous pour cette étape suivante ?
- Nous nous projetons à 5 ans. Nous voulons construire une compagnie maritime méditerranéenne qui soit belle et fière de ce qu’elle est. Cela passe, pour nous, par trois axes essentiels de développement : client, sociétal et environnemental. Le premier est de consolider tout ce que nous avons fait pour le client. L’expérience client va encore s’améliorer, principalement par la digitalisation au niveau fret et passager. Du côté du fret, toute la gestion du client s’effectue par un portail informatique dédié, ce qu’on appelle un extranet. A partir de la semaine prochaine, toutes les réservations de remorques seront prises sur les quais, via des tablettes et non plus du papier, ce qui permettra d’accélérer le process client. Du côté du passager, au-delà de la forte amélioration de toutes les fonctions du site Internet, le bateau connecté est l’avenir des cinq prochaines années.
 
- De quelle façon ?
- La question est : Comment les nouvelles technologies permettront à nos clients d’avoir des expériences à bord qui soient différentes ? Par exemple, mettre du wifi pour passer des appels, proposer de la vidéo à la demande durant la traversée, offrir des prestations et des applications qui feront vivre différemment les 12 heures passées à bord. C’est un enjeu client fort pour les prochaines années.
 
- Que recouvre le second axe que vous qualifiez de sociétal ?
- Pour nous, une entreprise moderne doit avoir un sens sociétal. Nous y croyons fortement. Corsica Linea est une compagnie maritime régionale, basée en Corse, qui fait le lien entre la Corse et Marseille. Nous avons vocation à faire travailler des PME et des ETI (Entreprise de taille intermédiaire) régionales ou locales plus que des grands groupes internationaux. Nous voulons que tous nos partenaires soient des entreprises comme la nôtre. Nous trouvons normal de tisser un lien économique et de développer le tissu proche des lieux où nous opérons : la Corse et Marseille. Cela veut aussi dire : l’emploi. Nous considérons qu’il est essentiel pour nous de participer au développement économique du territoire, notamment en Corse.
 
- Quel est le pourcentage actuel des entreprises corses parmi vos prestataires ?
- La partie technique est fortement basée à Marseille parce que tous les bateaux partent et arrivent de Marseille où se trouve le chantier naval… Le reste est largement basé en Corse. Par exemple, au départ, on travaillait avec une grande agence de publicité basée à Paris. Aujourd’hui, on travaille avec une agence locale basée à Ajaccio qui fait un excellent travail. Même chose concernant la fourniture de la nourriture, le Conseil RH, la formation en management… et plein d’autres sujets. Les compétences existent en Corse. C’est un peu plus difficile de les trouver, mais elles sont au même niveau que sur le continent et nous pouvons travailler avec elles sur le long terme. Nous avons l’ambition de dépenser 10 millions € de plus localement en sous-traitance dans les 5 prochaines années.
 
- Vous parlez d’emploi. Pouvez-vous donner des chiffres précis ?
- Les chiffres sont simples. En 2018, Corsica Linea, c’est 10% d’heures travaillées de plus que l’année précédente. Cela représente 75 équivalent temps plein. Nous employons 900 salariés l’hiver et 1400 l’été. Nous avons dépassé 60% de CDD en Corse contre 20% quand nous sommes arrivés. Nous avons augmenté de 30% l’emploi en Corse l’an dernier. Ces chiffres précis démontre que notre ambition en Corse n’est pas théorique, elle est vraiment pratique et se fait poste par poste. Je le redis : ce qui est vraiment génial, c’est qu’on trouve de la compétence en Corse. La partie sociétale, c’est, aussi, pour nous, de réaffirmer le fait que nous battons pavillon français et que, donc, nous employons des marins français aux conditions des pavillons français 1er registre, c’est-à-dire bien rémunérés. C’est notre volonté de rester sur ce cadre social.
 
- L’emploi en Corse, est-ce la raison de votre partenariat avec le lycée maritime de Bastia ?
- Oui ! Nous souhaitons participer au développement du lycée maritime afin que des jeunes, qui obtiennent un Bac maritime, viennent travailler sur nos bateaux. La Corse n’est pas assez tournée vers la mer. Nous disons aux jeunes Corses : « Corsica Linea est la deuxième plus grosse entreprise de Corse. Elle est là pour longtemps. Il va y avoir du boulot pour longtemps à bord de nos navires. Allez vous former ! Une fois que vous serez bien formés, vous aurez du travail garanti ». Il n’y a pas beaucoup d’entreprises en Corse qui peuvent dire ça ! Cela concerne aussi les officiers. Nous avons signé, avant-hier, un partenariat avec l’école nationale des marines marchandes (ENSM) pour que, dès l’année prochaine, le concours national d’ENSM ait, aussi, lieu en Corse. Nous incitons les jeunes à passer le concours qui ouvre sur une formation d’officiers Bac +5. Nous nous sommes rapprochés du Rectorat pour que nos marins puissent présenter nos métiers dans les collèges et les lycées. Nous voulons vraiment travailler sur la filière maritime en Corse et redonner envie aux jeunes de travailler sur nos navires parce que ce sont de beaux métiers et qu’il y a beaucoup d’emplois disponibles à bord.
 
- L’environnement est votre troisième axe de développement et un sujet sensible qui suscite beaucoup d’attente. Que comptez-vous faire ?
- L’environnement, c’est l’axe le plus important ! Une entreprise comme la nôtre ne peut pas exister si elle n’a pas une conscience environnementale réelle. Cela passe par trois points. Premier point, l’électrification des postes à quai. Un bateau à quai a besoin de produire de l’énergie, donc il consomme, pas du fuel lourd comme en mer, mais du diesel. Nous avons équipé trois de nos navires - le premier sort de chantier en mars, les deux autres en début d’année prochaine - d’armoires électriques pour se brancher à quai à un câble électrique installé par le port. Résultat : il n’y a plus de fumée durant la journée sur le port. Le port de Marseille est équipé. Je lance un appel aux ports de Bastia et d’Ajaccio pour qu’ils accélèrent le mouvement et s’équipent rapidement de connexions à quai.
 
- Avez-vous eu des contacts avec les Chambres de commerce insulaires ?
- Oui ! Je sais qu’elles ont des projets et qu’elles avancent sur le sujet, mais il faut accélérer. Les armateurs sont prêts et la population est en attente. Le deuxième point est l’installation de traitement de fumée– ce qu’on appelle des scrubbers - sur nos navires. Cela représente un investissement de 25 millions €. Le Vizzavona est déjà équipé pour se mettre aux normes MARPOL 2020 de réduction des oxydes de souffre (SOx). Trois navires supplémentaires seront équipés d’ici à un an : le Pascal Paoli en décembre 2019, le Jean Nicoli et le Paglia Orba avant avril 2020. Le troisième point est notre ambition d’acheter un navire neuf propulsé au GNL dès 2019. Les spécifications techniques sont établies, le financement est bouclé, nous sommes en phase de consultation des chantiers internationaux et nous voulons passer une commande d’ici à la fin de l’année. Ce sera le premier navire propulsé au gaz naturel liquéfié, l’énergie la plus propre dont on dispose actuellement. J’espère que cela créera un mouvement de transport maritime vert pour la Corse.
 
- Quel est le montant total de ces investissements ? Comment les financez-vous ?
- Tout l’argent, que l’entreprise a gagné, est réinvesti. Pas un centime de dividende ne remonte aux actionnaires qui sont d’accord pour tout réinvestir ! Cet argent est investi majoritairement dans le développement durable, l’emploi et l’environnement en Corse. Nous avons une vraie volonté de réussir cette mutation le plus rapidement possible. Nous mettons des moyens colossaux pour le faire et nous remercions les banques qui nous suivent sur ces projets. La somme des investissements s’élève pratiquement à 200 millions € sur 5 ans. Nous espérons faire plus, mais il ne faut pas oublier qu’il y a trois ans, nous n’existions pas et que tout le monde ne donnait pas 15 jours de vie à l’entreprise. Aujourd’hui, l’entreprise est saine et a une vision sociétale et environnementale forte. Les Corses peuvent en être fiers parce que cela a été fait en Corse par des Corses.
 
- Pour vous, la reprise de l’entreprise par des Corses a-t-elle tout changé ?
- Ah oui ! Cette ambition environnementale et sociétale, nous l’avons aussi parce que nous vivons ici. J’habite en centre-ville à Ajaccio, je vois ce que signifie l’emploi en Corse, notamment pour les jeunes. Je ressens au quotidien l’impact que l’entreprise peut avoir sur la vie des gens, que ce soit d’un point de vue environnemental ou économique. Nous nous sommes donnés comme fil rouge de développer l’emploi chez nous et de protéger notre environnement parce que, tous les jours, nous ouvrons nos fenêtres, nous allons sur le marché, sur le port, nous croisons les gens qui nous parlent… Nous voulons être une belle compagnie régionale corse qui a des valeurs dans lesquelles les Corses se reconnaissent. C’est, à mes yeux, ce qu’est l’entreprise hypermoderne : elle ne fait pas la course à l’échalote, à la taille, aux low cost à tous prix…, elle comprend l’écosystème dans lequel elle est et elle essaye de le développer. C’est notre ambition.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Dans le port d'Ajaccio.
Dans le port d'Ajaccio.