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José Rossi : « Nous n’avons pas à donner de consigne de vote. A titre personnel, je voterai blanc »


Nicole Mari le Lundi 1 Mai 2017 à 23:35

La droite corse ne donne aucune consigne de vote pour le second tour des élections présidentielles et refuse de choisir entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. José Rossi, président du groupe de droite « Le Rassemblement » à l’Assemblée de Corse, votera blanc, comme beaucoup d’élus et de militants de droite. Il explique, à Corse Net Infos, ce refus d’un front républicain contre le Front national (FN) qui est arrivé en tête dans l’île. Annonçant qu’il ne se représentera pas aux élections territoriales de décembre prochain, José Rossi livre, avec une grande liberté de parole, son analyse du résultat des 1er tour des présidentielles et du bouleversement de la donne politique nationale. D’un point de vue local, il estime qu’il faut préparer une offre alternative à une possible évolution vers l’indépendance.



José Rossi, président du groupe de droite « Le Rassemblement » à l'Assemblée de Corse.
José Rossi, président du groupe de droite « Le Rassemblement » à l'Assemblée de Corse.
- Pourquoi votre groupe a-t-il décidé de ne pas prendre position sur le 2nd tour des élections présidentielles ?
- Nous estimons qu’un groupe de l’Assemblée de Corse n’a pas à donner de position, ni de consigne de vote. Il n’a pas à remplacer un parti politique et à s’exprimer en son nom. Le groupe est composé d’individualités qui appartiennent aux Républicains, à l’UDI (Union des indépendants), ou qui ne sont pas encartées dans un parti politique. Comme de simples citoyens, nous nous exprimerons dans la transparence, mais sans que personne ait vocation à coloniser son voisin. Un sentiment, assez largement répandu dans notre groupe, consiste à voter blanc ou à laisser les électeurs libres de leur vote. A titre personnel, je voterai blanc.
 
- Que pensez-vous de l’appel de certains leaders de votre parti à constituer un front républicain contre Marine Le Pen ?
- Nous sommes dans une situation très particulière, notre candidat a été battu dans des conditions que nous n’avions pas envisagées, alors que notre famille de la droite et du centre est la plus importante du paysage politique français. Il y a beaucoup de déception dans nos rangs. En même temps, les candidats du 2nd tour proposent une offre politique qui ne correspond pas à notre vision des choses. Marine Le Pen a une vision de la place de la France en Europe et de la construction européenne qui est incompatible avec les choix qui sont les nôtres. Emmanuel Macron est arrivé à la candidature à la présidentielle par des voies mystérieuses. Il apparaît comme l’héritier de François Hollande et des Socialistes. Sa candidature est soutenue par de grands groupes financiers, souvent propriétaires de médias. Son comportement, pendant la campagne électorale traduit une forme de fragilité dans sa manière d’être, ses discours et ses incantations. Il n’inspire pas confiance à beaucoup de gens de notre famille politique.
 
- Donc, pas de consigne de vote de la droite corse ?
- Non ! Nous ne pouvons pas faire ça ! D’autant plus qu’en Corse, Emmanuel Macron n’a obtenu que 18% des suffrages ! Nous serions dans une position délicate si nous demandions à des électeurs, que souvent nous n’avons pas convaincus au 1er tour, de voter pour lui. Ils doivent se déterminer en toute liberté. Ceux qui, à droite, défendent le front républicain, le font avec conviction. C’est le cas de François Baroin qui a une position constante par rapport au Front national. Notre candidat François Fillon a affiché une position, dès l’annonce des résultats, qui a pu choquer certains militants par sa rapidité. Nous comprenons tout cela, nous pensons qu’il ne faut pas avoir une attitude autoritaire à l’égard du corps électoral.
 
- Que vous inspire l’appel des Nationalistes à faire barrage au FN ?
- C’est un peu tard ! Comme pour nous d’ailleurs ! Nous aurions pu être un peu plus actifs pour la campagne de François Fillon. Camille de Rocca Serra l’a été, même si ça n’a pas changé fondamentalement les choses. Les Nationalistes n’ont pas soulevé le lièvre au 1er tour. Gilles Simeoni s’est abstenu et Jean-Guy Talamoni continue de ne pas voter. On peut discerner les raisons qui les poussent à cette démarche : retrouver une forme de respectabilité républicaine pour être reçus dans les salons dorés de la République et obtenir quelques menus avantages du type de ceux obtenus avec le ministre Baylet. S’il s’agit de ménager les relations avec le nouveau président de la République pour mieux négocier après, je peux comprendre… Mais je trouve que, pour des militants qui ont mené la lutte armée ou qui l’ont soutenue et cautionnée, rechercher une respectabilité dans la République… ça va les mettre en grande difficulté par rapport à leurs troupes !
 
- Cette élection, comme les primaires qui l’ont précédée, avec le dégagement des deux grands partis nationaux et de leurs ténors, instaure-t-elle une nouvelle donne politique ?
- Elle témoigne d’une profonde volonté de renouvellement. Voir arriver de nouvelles têtes, c’est toujours gratifiant ! Emmanuel Macron a, incontestablement, une nouvelle tête, mais il faut voir ce qu’il y a dedans et ce qu’il va en faire ! En Corse, je serai le premier à en tirer des conclusions en n’étant pas candidat aux prochaines territoriales en décembre. Ceci dit, il faut respecter ceux qui votent Le Pen, comme ceux qui ont voté Fillon dans la difficulté – c’était méritoire ! – ou qui votent Macron dans l’attractivité de la nouveauté. Il ne faut pas stigmatiser ceux qui prendraient une position considérée par certains comme attentatoire à l’esprit républicain ou comme une démission par rapport à un danger susceptible d’apparaître demain. Non ! A force de tenir ces raisonnements, on a vu le Front national monter de manière régulière et être, aujourd’hui, en tête en Corse.
 
- Comment analysez-vous le score important réalisé par Marine Le Pen en Corse ?
- Le score est important, mais pas beaucoup plus qu’il y a cinq ans. Marine Le Pen avait déjà obtenu 25% des suffrages au 1er tour, elle en obtient plus de 27%. François Fillon obtient quelques points de moins que Nicolas Sarkozy à l’époque. La même chose pour Emmanuel Macron par rapport à François Hollande. La véritable nouveauté est que Marine Le Pen est, cette fois-ci, devant le candidat de droite. Il n’empêche que notre famille politique a un socle très fort avec ses 25% de suffrages, ses parlementaires sortants et sa capacité à gagner les trois sièges de député qu’elle détient déjà, et, peut-être même à gagner le quatrième puisque Paul Giacobbi ne se représente pas.
 
- La droite peut-elle gagner les élections législatives nationales, comme l’espèrent certains ?
- Tout est possible ! Elle a ses chances ! Tout dépendra des résultats de l’élection présidentielle, de l’état de fragilité ou de force d’Emmanuel Macron. Même s’il a de grandes chances d’être élu, le score peut se resserrer et de grandes divisions se développer parmi ceux qui pourraient constituer sa majorité potentielle. Les Socialistes veulent revenir dans le jeu, Macron ne veut pas d’eux. S’il présente des candidats non enracinés, sous l’étiquette société civile, la plupart vont se planter ! Au final, il y aura forcément des accords entre les candidats socialistes et les Macronistes défaits dans beaucoup de circonscriptions. Imaginez ce que sera l’attitude de l’opinion avec un FN fort et une droite, pour l’essentiel, rassemblée ! Macron, confronté aux réalités politiciennes, n’aura d’autre choix que, soit rester droit dans ses bottes et perdre l’élection législative, soit contracter avec des partis politiques traditionnels et perdre, à ce moment-là, un certain nombre de soutiens qui avaient joué la modernité. Il y aura une grande phase de confusion au lendemain de la présidentielle, surtout si le score est serré.
 
- Que se passera-t-il pour la droite si elle perd, aussi, les élections législatives ?
- Si elle perd avec un score important, elle reprendra son rôle d’opposition classique. Elle devra se renouveler, se régénérer, repenser une organisation politique avec des gens plus jeunes et des idées nouvelles. C’est ce qui a été réalisé, en très peu de temps, grâce à un concours de circonstances inouïes, par Emmanuel Macron, mais qui, pour l’instant, n’est pas concrétisé dans les faits.
 
- En Corse, pensez-vous obtenir le grand chelem ?
- Je ne vois aucun problème dans la circonscription de Camille de Rocca Serra. Aucun problème non plus dans la circonscription d’Ajaccio, malgré l’avancée des Nationalistes et du FN. Le poids de la ville et de la communauté d’agglomération jouera, même dans une triangulaire, pour notre candidat qui était le suppléant du député sortant. Dans la circonscription de Bastia, le député Sauveur Gandolfi-Scheit a le tempérament et le tonus pour surmonter les situations les plus improbables. Ses réactions par rapport à l’élection présidentielles sont saines et correspondent à ce que pensent les gens. Je ne serais pas étonné qu’une part de l’électorat populiste, qui a voté nationaliste aux territoriales et FN aux présidentielles, votent, en définitive, pour lui. C’est le plus crédible pour exercer un mandat parlementaire. Enfin, la circonscription de Corte-Balagne, qu’on disait imprenable, est ouverte. Il est impossible de faire un pronostic. Il est clair que s’il y a trop de candidats de droite, aucun n’obtiendra 12,5% des inscrits, soit 20 à 22% des suffrages au 1er tour pour pouvoir se maintenir ou être second. Un resserrement des candidats de droite n’est pas exclu.
 
- A chaque élection présidentielle, la droite perd du terrain dans l’île : - 5,5% par rapport à 2012 et - 11,5% par rapport à 2007. Ne craignez-vous pas un effritement de son électorat ?
- La droite est victime de l’émergence du FN qui, au-delà de son enracinement dans les quartiers populaires aussi bien à Ajaccio qu’à Bastia, a percé dans les villages. Ici, le FN a des origines plus à droite qu’à gauche. Tant qu’il n’avait pas franchi le seuil pour être présent au 2nd tour des élections territoriales, son électorat, qui exprimait au 1er tour un vote de contestation, se reportait à 80% sur les candidats de la droite républicaine, en particulier à Ajaccio. A partir du moment où le FN a obtenu 10% des suffrages à la dernière élection territoriale, la droite a perdu cet électorat dans le report des voix au 2nd tour. Sans compter les électeurs qui sont partis chez les Nationalistes dans une volonté de changement et de renouvellement. La droite a, quand même, fait 27% des suffrages. Mais, il est vrai que cela nous pose un problème pour l’avenir.
 
- C’est-à-dire ?
- Le FN fera au moins 10% aux prochaines territoriales, peut-être même 12% ou 15 %. Il prendra, aussi, des voix aux Nationalistes. On a vu dans les villages qu’il y a une perméabilité très grande des électeurs nationalistes, au moins pour un tiers d’entre-eux, avec le FN. Peut-être se posera, un jour, la nécessité d’une grande coalition contre les extrêmes ?
 
- Est-ce une option envisageable pour le prochain scrutin territorial ?
- Pas pour décembre, c’est trop tôt ! Mais, dans quatre ans, Gilles Simeoni sera-t-il toujours le leader avec la même popularité qu’on lui connaît aujourd’hui ? Si c’est le cas, sa liste obtiendra toujours le plus de suffrages ? Sera-t-il toujours l’allié de Jean-Guy Talamoni qui est indépendantiste ? Avons-nous demandé, à ce jour, de faire un front républicain contre l’indépendantisme ? Ce qui nous conduirait à stigmatiser, tous les jours, la majorité territoriale ! Nous ne l’avons pas fait ! D’une part, pour respecter le suffrage universel, d’autre part parce que nous défendons les intérêts de la Corse mieux que certains. Il faut voir comment évoluent les choses. Le cap de Mr Talamoni est clair : c’est l’indépendantisme !
 
- Croyez-vous vraiment que la Corse évolue vers l’indépendance ?
- Beaucoup disent : « L’indépendance, ce n’est pas possible ! N’y pensez pas un seul instant ! ». Il n’empêche que les idées progressent ! S’il n’y a pas une contre-proposition à celle d’une évolution vers une forme d’indépendantisme à laquelle Gilles Simeoni s’associerait directement ou indirectement avec un discours plus doux, des garanties démocratiques plus importantes, un référendum… Nous n’allons pas polémiquer là-dessus tous les jours, mais nous devons préparer une offre alternative à une majorité faite d’Indépendantistes et d’Autonomistes. A un moment donné, ou bien les Autonomistes prennent leur distance en faisant un choix d’autonomie dans la République française et nulle part ailleurs, ou ils ne le font pas et ils seront aussi, de notre point de vue, dangereux ! Si les Corses veulent l’indépendance, ils la choisiront ! D’autres l’ont dit avant nous : Raymond Barre en son temps. A mon sens, les Corses n’en veulent pas, ils n’y croient pas un seul instant ! Mais ceux, qui la défendent, y croient.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.